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Lésion professionnelle et droit de gérance : savoir faire preuve de doigté!

Quel gestionnaire n’a pas eu à « gérer » un employé difficile qui, comble de malheur, a été victime d’une lésion professionnelle! Dès lors, le contexte juridique des relations du travail doit tenir compte de ce nouvel élément.

21 septembre 2010
Julie Samson

La Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP)[1] prévoit une mesure de protection en faveur des travailleurs victimes d’une lésion professionnelle qui découle de l’objectif général de cette Loi à caractère social inscrit à l’article 1 : la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les travailleurs.

Cette mesure est prévue à l’article 32 de la LATMP :

« 32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.

« Le travailleur qui croit avoir été l’objet d’une sanction ou d’une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l’article 253. »

Les notions de « mesures discriminatoires », de « représailles » et de « sanction » sont très larges et permettent à un travailleur insatisfait d’une décision de l’employeur de tenter d’obtenir une réparation en déposant une plainte à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

Toutefois, lésion professionnelle ou pas, un employeur conserve son autorité envers ses employés et doit continuer d’exercer son droit de gérance de la façon la plus objective possible.

Conditions d’application de ce recours

  1. Être un travailleur
    Pour déposer une plainte en vertu de l’article 32, il faut d’abord être un travailleur au sens de la Loi,[2] c’est-à-dire une personne physique exécutant un travail rémunéré pour un employeur en vertu d’un contrat de travail. La Loi prévoit certaines dispositions particulières pour exclure des catégories de travailleurs.
     
  2. Être victime d’une lésion professionnelle ou exercer un droit prévu à la Loi
    Cette question de l’exercice d’un droit prévu à la Loi a été très largement interprétée par les tribunaux. À titre d’exemple, il peut s’agir d’avoir déposé une réclamation à la CSST[3], d’avoir déclaré un fait accidentel à son employeur ou d’avoir contesté une décision de la CSST. Effectivement, un travailleur peut toujours exercer ses droits de contestation à l’encontre d’une décision qui refuse sa réclamation.
     
  3. Option entre le grief et la plainte à la CSST
    Lorsqu’une convention collective s’applique, les travailleurs doivent exercer un choix entre la procédure de grief ou une plainte à la CSST. Le recours devant la CSST est plus souple et moins coûteux qu’un arbitrage de griefs. Par ailleurs, dans l’exercice de sa juridiction, la CSST doit se limiter à évaluer si les motifs invoqués par l’employeur sont de véritables motifs et non un prétexte cherchant à dissimuler son désir de sanctionner le travailleur qui exerce ses droits prévus à la LATMP. La CSST n’a pas la compétence pour évaluer le caractère raisonnable de la sanction contrairement à un arbitre de griefs. Toutefois, le fait que l’employeur ait appliqué une sanction disproportionnée par rapport à la faute du salarié peut être un facteur incitant la CSST à conclure que le motif invoqué est un prétexte. C’est pourquoi l’employeur a intérêt à respecter les principes qui s’appliquent en matière disciplinaire en toutes circonstances.
     
  4. Délai
    Le dépôt d’une plainte doit avoir lieu dans les trente (30) jours suivant la connaissance de l’acte, de la sanction ou de la mesure imposée par l’employeur[4]. Toutefois, un travailleur pourra être relevé de ce défaut s’il démontre un motif raisonnable. Selon la jurisprudence, de façon constante, l’argument de l’ignorance de la Loi ne constitue pas un motif raisonnable. De plus, le travailleur doit faire preuve de diligence dans la conduite de son dossier.
     
  5. Être l’objet d’une mesure ou d’une sanction
    Pour déposer une plainte, il faut d’abord avoir fait l’objet d’un congédiement, d’une suspension, d’une mesure discriminatoire, de représailles ou de toute autre sanction ou avoir été déplacé.

D’abord, la notion de congédiement est assez large; elle comprend le congédiement disciplinaire, pour incompétence, vol, activités incompatibles avec sa lésion professionnelle ou usage de drogues ou d’alcool en contrevenant aux règlements de l’entreprise, ainsi que le congédiement administratif, lequel est causé par une abolition de poste, une réorganisation organisationnelle ou même une fin de contrat à durée déterminée.

Quant aux notions de mesure discriminatoire, de représailles ou de sanction, elles peuvent viser diverses situations comme le refus d’accorder une promotion ou une augmentation de salaire à laquelle le travailleur aurait eu droit n’eût été de sa lésion professionnelle[5]. Le refus d’offrir des heures supplémentaires à un travailleur qui effectue une assignation temporaire pourra aussi donner ouverture à une plainte, s’il est démontré que le travailleur aurait effectué des heures supplémentaires « en toute probabilité selon la proportion d’acceptation dans les années précédentes »[6]. Toutefois, le refus de l’employeur d’accorder une assignation temporaire ne peut être assimilé à une mesure, puisqu’il ne s’agit pas d’un droit conféré au travailleur par la Loi.

Fardeau de preuve
La Loi prévoit une présomption en faveur du travailleur lorsque la mesure est imposée par l’employeur dans les six (6) mois suivant la date de la lésion ou de l’exercice d’un droit prévu à la LATMP. Cette présomption est prévue à l’article 255 de la LATMP.

Pour renverser cette présomption, l’employeur doit faire la démonstration qu’il avait une « raison juste et suffisante » d’imposer cette mesure, c’est-à-dire un prétexte réel, et que ses motivations n’étaient aucunement reliées au fait que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle ou a tenté d’exercer un droit prévu à la LATMP. La jurisprudence est abondante sur l’interprétation à donner à cette notion. Toutefois, il est à noter qu’elle n’est pas équivalente à celle « d’une autre cause juste et suffisante » prévue à la Loi sur les normes du travail[7].

Conséquences d’une plainte accueillie en faveur du travailleur
L’article 257 prévoit les pouvoirs d'ordonnance de la CSST lorsqu'elle dispose d'une plainte en vertu de l'article 32. Elle peut ordonner à l’employeur qu’il réintègre le travailleur dans son emploi avec tous ses droits et privilèges et qu’il lui verse le salaire perdu avec avantages jusqu’à ce qu’elle dispose de la plainte. Le travailleur a donc droit, même s’il ne demande pas la réintégration, au versement de dommages. La CSST pourra aussi ordonner le paiement d’un intérêt[8].

La CSST peut également ordonner à un employeur d’annuler une sanction ou de cesser d’exercer une mesure de représailles. Toutefois, elle ne peut ordonner à l'employeur de présenter des excuses au travailleur puisque ce pouvoir d'ordonnance n'est pas prévu à la Loi. À cet égard, la décision Gareau et Métro Richelieu[9] rendue récemment confirme que la Commission des lésions professionnelles (CLP) n’est pas habilitée à rendre un jugement de nature déclaratoire.

Toute décision rendue par le conciliateur ou le décideur disposant d’une plainte déposée en vertu de l’article 32 a un effet immédiat même si elle est contestée devant la CLP, et l’employeur doit se conformer à une ordonnance rendue dans les huit (8) jours suivant sa notification.

Enfin, en vertu de la Loi, la CSST a le pouvoir discrétionnaire d’intenter une poursuite pénale contre l’employeur qui a contrevenu à l’article 32 de la Loi puisque des amendes sont prévues à cet effet.

Conclusion
Chaque cas étant un cas d’espèce, il est nécessaire d’analyser l’ensemble des circonstances afin d’exercer son droit de gérance avec doigté et pouvoir faire valoir ses arguments lors du dépôt dune plainte en vertu de l’article 32 de la Loi.

Par ailleurs, avant d’envisager de mettre fin au lien d’emploi d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle, un gestionnaire doit aussi soupeser les diverses conséquences sur son dossier CSST. En effet, il ne sera plus possible de maintenir une assignation temporaire, le suivi médical et la gestion médico-administrative risquent d’être compromis, la période de consolidation risque de s’allonger et le travailleur pourra bénéficier de mesures de réadaptation au moment de la détermination de la capacité de travail, ce qui représente des coûts additionnels importants.

Cet article a pour but de fournir des commentaires généraux. Il n’a pas pour but de fournir des conseils ou des opinions juridiques. Le lecteur ne doit pas prendre des mesures sur la foi des renseignements qui y sont contenus, car il est fortement suggéré de prendre conseil auprès d’un avocat à l’égard des questions particulières qui le concernent.

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Source : VigieRT, septembre 2010.


1 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001.
2 Art. 2 de la LATMP.
3 Pépin et Caisse populaire de Ste-Clothilde de Horton, [2008] C.L.P. 5.
4 Article 253 de la LATMP.
5 Gagnon et Osram Sylvania ltée, [2005] C.L.P. 1085.
6 Crown Cork & Seal Canada inc. et Tyo, C.L.P. 362097-64-0811, 5 octobre 2009, L.Boudreault.
7 Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1.
8 Art. 261 de la LATMP.
9 C.L.P. 398661-71-0911, 13 avril 2010, S. Séguin.

Julie Samson