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Le gestionnaire et les problèmes de santé mentale

Prendre le bon angle pour poser les bonnes questions et poser les bons gestes.

5 mai 2010
Michel Villiard, CRHA

Les problèmes de santé mentale sont devenus un enjeu majeur pour les entreprises, principalement à cause de l’augmentation des coûts qu’ils engendrent. En 2004, le Global et Economic Round Table on Addiction and Mental Health rapportait que les coûts directs et indirects reliés aux problèmes de santé mentale représentent pour la société canadienne une somme annuelle de 33 milliards de dollars.

En 2007, la firme Watson Wyatt mentionnait que le stress et les problèmes de santé mentale figurent au premier rang des causes de demandes de règlement d’invalidité de courte et de longue durées, respectivement 82 % et 72 %. Selon l’Organisation mondiale de la santé, si la tendance se maintient, la dépression sera au deuxième rang des maladies invalidantes en 2020.

Problème individuel ou organisationnel?
Les personnes sont-elles plus « fragiles » ou les entreprises sont-elles plus exigeantes? Les personnes arrivent-elles malades ou les entreprises les rendent-elles malades?

On pourrait aborder ces questions sous l’angle traditionnel, voire médical de la prépondérance des facteurs individuels plutôt que des facteurs environnementaux. Une analyse similaire a été utilisée lors d’apparitions de problèmes physiques et psychologiques chez les employés à la suite de l’introduction des outils de bureautique. On a d’abord considéré que les personnes qui démontraient différents problèmes physiques étaient plus « fragiles » ou encore refusaient de s’adapter. Lorsque les mêmes problèmes furent constatés chez un ensemble d’individus, on s’est interrogé sur l’impact de facteurs environnementaux liés au contexte organisationnel, tels que l’ergonomie des postes de travail ou des outils eux-mêmes.

Les études des dix dernières années, conduites par différents Centres de recherche au Québec et ailleurs en Occident, ont répertorié plusieurs facteurs environnementaux susceptibles de contribuer au développement des problèmes de santé mentale chez les individus. Même si l’on doit considérer l’impact de caractéristiques propres à chaque personne, c’est plutôt l’angle systémique qu’il faut utiliser pour cerner cette problématique et agir d’une façon durable et efficace à cet égard.

Reconnaître pour agir
Les problèmes de santé mentale les plus fréquents en milieu de travail, soit les troubles d’adaptation, les troubles de l’humeur et les troubles d’anxiété, ont pour caractéristique commune d’être le résultat d’un déséquilibre entre les ressources d’une personne (bagage génétique, traits de personnalité, culture, valeurs et expériences) et les situations auxquelles elle doit faire face dans son environnement personnel, social et professionnel (deuil, rupture, ambiguïté de rôles, conflit).

Chaque personne vit des périodes d’irritabilité, de déprime ou de stress. Ces moments de déséquilibre léger et passager ne sont pas inquiétants. Par contre, si l’individu ne dispose pas des ressources nécessaires pour y faire face, le déséquilibre peut devenir important et persistant et générer par le fait même un problème de santé mentale. Cela se traduira chez la personne par des changements dans son humeur, ses comportements, ses pensées, par une difficulté à fonctionner dans son quotidien ou encore par l’apparition de problèmes physiques tels que des troubles digestifs, de l’insomnie, une sensation de fatigue généralisée…

Ces changements sur le plan physique, émotif ou comportemental ont un impact sur la contribution au travail de l’individu, relativement à sa présence, à son rendement, à ses comportements ou attitudes. Ainsi, le problème peut provoquer des absences ou des retards répétés. On peut aussi noter une difficulté à respecter les échéances ou des décisions erronées, ce qui entraîne une baisse dans la qualité du travail effectué. Et sur le plan du comportement et des attitudes, on peut observer une baisse de motivation et d’engagement, des relations conflictuelles avec l’entourage, causées parfois par une plus grande irritabilité.

Questions clés
Comment savoir si ces observations nécessitent une intervention? Voici quelques questions à se poser avant de prendre une décision.
  • S’agit-il d’une situation inhabituelle d’après la connaissance qu’on a de cette personne?
  • La situation dure-t-elle depuis un certain temps?
  • S’agit-il d’un problème qui a tendance à diminuer, à rester stable ou à augmenter?
  • Quel est l’impact de la situation observée sur la personne elle-même, sur sa contribution ou sur son entourage?

Selon les réponses à ces questions, le gestionnaire sera en mesure de déterminer s’il y a lieu d’intervenir, puis de documenter ses éventuelles interventions.

Poser le problème de cette façon permet d’éviter l’angle du diagnostic, propre aux professionnels de la santé, pour adopter celui de l’évaluation de la contribution au travail, propre au champ de la gestion. Cela confortera également le gestionnaire dans son rôle d’encadrement et lui permettra de déterminer le type de soutien à offrir à l’employé afin de l’aider à retrouver son équilibre.

Une fois établi qu’il s’agit d’une situation qui nécessite une intervention du gestionnaire, il reste à déterminer la marche à suivre. Comment aborder la personne lorsqu’elle affirme qu’il s’agit d’une situation passagère, que c’est personnel et que cela ne concerne donc qu’elle-même, qu’elle va prendre les moyens pour la régler et que les choses vont bientôt revenir à la normale? Le gestionnaire doit-il se satisfaire de ces réponses? Où commence et où s’arrête sa responsabilité selon qu’il s’agit d’un problème personnel ou généré par le contexte organisationnel?

Voici une démarche qui guidera les interventions du gestionnaire et qui lui permettra d’identifier ses responsabilités en fonction des facteurs en cause.

Première étape : la rencontre
  • Rencontrer l’employé pour décrire les faits observés et préciser leur impact sur sa contribution, sur celle de son entourage ou sur ses relations avec la clientèle.
  • Démontrer pourquoi un changement est nécessaire pour réduire l’écart entre la contribution actuelle et celle qui est désirée en fonction des attentes et des exigences.
  • Identifier avec l’employé les facteurs en cause. S’agit-il de problèmes personnels (problèmes de santé, rupture amoureuse, difficultés familiales) ou d’éléments présents dans le contexte organisationnel (surcharge de travail, ambiguïté dans son rôle ou ses tâches, conflits dans l’équipe, manque de reconnaissance)?

Le schéma ci-dessous illustre la nature du lien entre la contribution et les facteurs en cause.

Deuxième étape : agir sur les facteurs et partager les responsabilités
À ce stade, le rôle du gestionnaire est d’identifier les facteurs en cause afin d’apporter à l’employé le soutien nécessaire pour en réduire les impacts sur sa contribution. Les mesures offertes ainsi que le rôle du gestionnaire dans la mise en place des mesures identifiées seront différents selon qu’il s’agit de facteurs individuels ou organisationnels.

Si le problème est d’ordre individuel, l’objectif poursuivi est d’offrir à la personne concernée des mesures qui correspondent à ses besoins et à la réalité organisationnelle. Qu’il s’agisse d’un problème de santé ou d’un problème conjugal, le gestionnaire doit en déterminer l’impact sur la contribution de la personne ou sur celle de ses collègues. Le fait de se concentrer sur la contribution permettra au gestionnaire de demeurer dans un contexte de relation professionnelle, où se situe son champ d’intervention et de compétences, tout en rassurant la personne sur ses intentions. Une approche qui pourrait se résumer ainsi : écouter, sensibiliser, conseiller, guider, orienter et faire un suivi.

Dans le cas d’un problème associé au milieu de travail, un dialogue devrait s’établir entre la personne et son gestionnaire sur les causes exactes des ennuis éprouvés, afin de déterminer les mesures à prendre.

Contrairement aux problèmes d’ordre individuel, ceux qui prennent leur source dans le milieu de travail nécessitent une participation active des gestionnaires à l’identification et à la mise en œuvre des mesures et au suivi des améliorations souhaitées dans la contribution de l’employé. Ce qu’il faut retenir : leadership et suivi.

Dimension individuelle
Facteurs en cause Mesures de soutien
  • Problèmes de santé
  • Difficultés familiales
  • Rupture amoureuse
  • Deuil
  • Soutien psychologique (PAE)
  • Allègement temporaire de la charge de travail
  • Mesures de conciliation travail/famille
  • Programme d’amélioration de la santé physique
Dimension organisationnelle
Facteurs en cause Mesures de soutien
  • Surcharge de travail
  • Conflit dans l’équipe
  • Sentiment d’incompétence
  • Manque d’autonomie
  • Ambiguïté dans les tâches
  • Coaching, formation
  • Réévaluation des tâches en fonction des compétences
  • Révision des mécanismes de prise de décision
  • Consolidation d’équipe

Résumé de la démarche

La démarche du gestionnaire auprès d’un employé dont la contribution ne répond pas aux attentes exprimées devrait comprendre les étapes suivantes:
  • aider l’employé à prendre conscience de l’écart entre sa contribution actuelle et le rendement visé;
  • établir un consensus sur la contribution attendue;
  • identifier les problèmes en cause;
  • identifier les mesures de soutien à mettre en place pour en réduire l’impact sur sa contribution et sur celle de son entourage;
  • déterminer le partage des responsabilités dans la mise en œuvre des mesures, suivant qu’il s’agit d’un problème individuel ou organisationnel;
  • déterminer un échéancier réaliste, en fonction du contexte personnel et organisationnel, pour «normaliser» la situation;
  • établir un mécanisme de suivi.

En résumé, un problème de santé mentale associé à un trouble d’adaptation, à un trouble de l’humeur ou à un trouble d’anxié­té résulte principalement de l’incapacité de la personne à faire face adéquatement à des stimuli extérieurs présents dans son environnement. Une incapacité qui peut se transformer en déséquilibre psychologique se traduisant par des réactions physiques, cognitives ou comportementales. C’est dans la mesure où ces manifestations ont un impact sur la contribution de l’individu ou sur celle de son entourage qu’il appartient au gestionnaire d’agir par la mise en place des mesures de soutien appropriées. C’est ainsi que l’employé pourra retrouver son équilibre, reprendre possession de ses moyens et parfois acquérir de nouveaux mécanismes d’adaptation, ce qui lui permettra d’atteindre les objectifs fixés.

Michel Villiard, CRHA, président, Virage Solutions

Source : Effectif, volume 13, numéro 2, avril/mai 2010.


Michel Villiard, CRHA