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Santé et sécurité du travail : de la frilosité à l’originalité

La fin de la première décennie des années 2000 est apparue mouvementée et pimentée de scandales financiers et de crise économique. Dans ce contexte, les coûts des régimes de santé et de sécurité du travail sont jugés trop élevés au Québec.

26 février 2010
Luc Baillargeon, CRHA

Un sentiment d’urgence incite les entreprises à agir avant même d’analyser pourquoi leur régime semble trop onéreux. On veut diminuer ces coûts rapidement, car sur le marché planétaire, on a la perception que la compétition ne doit pas respecter les mêmes obligations. Doit-on chercher la solution magique instantanée ou doit-on plutôt choisir l’avenir que l’on veut créer? C’est à chaque organisation de choisir…

Une réaction frileuse…
Les entreprises à l’esprit conservateur s’en tiendront à des mesures qui ont fait leurs preuves. Elles continueront à avoir recours systématiquement à la contestation des réclamations et aux demandes de partage de coûts pour tous les motifs légaux ou prétendument légitimes. Elles auront recours aux programmes d’assignation temporaire sans toujours garder comme objectif de favoriser le rétablissement complet de l’employé. Elles imposeront même des mesures disciplinaires aux employés victimes de lésions pour les convaincre d’être plus prudents et de ne plus se blesser! La recherche de profits à court terme poussera ces organisations à contrôler les coûts par une diminution des « dépenses » en prévention. Cette tendance restera, on le sait, mais elle n’apporte rien de plus à ce qui est déjà. On répétera les mêmes gestes en espérant des résultats différents.

…devant une situation en mutation rapide
Une telle réaction peut se justifier si on se refuse d’observer la réalité. Les changements se font à un rythme effréné. Les statistiques de toutes sortes montrent que les nouveaux empires étaient inexistants au début du siècle. La technologie d’aujourd’hui est déjà en train de montrer des signes de désuétude, avant même qu’on ait eu le temps de constater les dommages qu’elle a pu occasionner. Les employés connaissent de plus en plus de changements d’emplois et d’employeurs. Certains changent même plusieurs fois d’employeur sans bouger de leur poste. Toutefois, ils subissent des bouleversements dans leurs routines et leurs conditions de travail. Cette précarité a des effets sur la santé mentale, sur la capacité d’attention et sur la concentration, affectant ainsi la vigilance requise pour la sécurité. Dans les emplois de production, la vitesse ne cesse de s’accroître alors que le niveau d’autonomie diminue; or, on sait que l’autonomie a un impact sur la perception de stress au travail. Le temps de transport pour se rendre au travail est en croissance constante, ce qui entraîne une augmentation du niveau de fatigue physique et psychique. Par conséquent, il y a hausse de la vulnérabilité face aux syndromes musculo-squelettiques et aux détresses psychologiques. Bien que les employeurs ne soient pas les premiers responsables de cette réalité, une fois au travail, les employés sont sous leur direction, dans l’état où ils se trouvent à ce moment précis.

Les nouveaux emplois qui se créent sont souvent à temps partiel, car les entreprises veulent payer uniquement pour ce qu’elles utilisent. Toutefois, ceux qui occupent ces postes ne vivent pas à moitié, ils ont besoin d’un plein revenu; ils cumulent alors plusieurs emplois dont les caractéristiques, associées à celles du premier, peuvent avoir des effets néfastes pour leur santé. Il suffit de penser à l’agencement des horaires de travail, aux exigences physiques et intellectuelles, à la quantité d’information à traiter, au niveau d’attention requis. Qu’adviendra-t-il du traitement de ces dossiers en cas d’arrêt de travail ou de traitement de santé?

Ainsi, le monde du travail génère une pression intense sur les individus, entraînant des problèmes de santé physique et mentale justifiant des arrêts de travail et des soins de santé assimilés à de nouvelles maladies professionnelles. La réglementation actuelle n’est pas adaptée à cette éventualité. Tout va trop vite pour qu’on puisse départager systématiquement le niveau de responsabilité de chacun. Le jour où ces cas seront reconnus comme reliés au travail, les dossiers seront acceptés, les frais seront engagés et les cotisations globales seront ajustées en conséquence. À moins que le législateur ne soit atteint d’un élan de prévoyance et ne mette en place les politiques nécessaires pour prévenir et gérer la situation, on risque de se retrouver devant une nouvelle réalité forçant à réagir, sans prévoir les problèmes que ces réactions créeront.

Au plan des réclamations à l’assurance collective, on a vu une hausse fulgurante des indemnisations pour détresse psychologique; les compagnies d’assurances remettent de plus en plus en question le fait que ces réclamations ne soient pas prises en charge par la CSST, car elles se sentent injustement affectées.

Une autre tendance observée au cours des dernières années est le fait que la proportion des réclamations pour maladie est en hausse par comparaison aux accidents proprement dits. Cette proportion qui est en train de changer ne saurait être attribuable uniquement à la croissance des cas de maladie professionnelle. Il faut reconnaître que des améliorations sont apportées sur le plan de la sécurité. L’offensive de la CSST visant la réduction des chutes, le cadenassage et l’amélioration de la protection des machines a des effets positifs non seulement sur la sécurité du lieu physique, mais aussi sur la perception de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas.

D’autre part, la notion de diligence raisonnable, qui s’est accentuée avec la modification du code criminel en 2004, a eu un effet persuasif sur la perception de responsabilité des entreprises à l’égard de la sécurité. C’est notamment pourquoi on voit un nombre croissant d’organisations adopter un système structuré de gestion de la santé et de la sécurité. Que ce soit OHSAS 18001, CSA Z1000 ou tout autre programme, ces outils sont des guides prisés par les entreprises, car ils leur garantissent la quiétude requise à la mise en œuvre de leur plan d’affaires. Le recours à un bon système de gestion de la santé et de la sécurité devient un préalable pour les investisseurs sérieux qui recherchent la sécurité de leur investissement et la sauvegarde d’une réputation d’éthique et de bonne gouvernance.

Entreprise en santé et employeur de choix
Autant certaines entreprises s’en remettront aux moyens traditionnels, autant certaines voudront se démarquer en créant une nouvelle référence en terme de santé et de sécurité du travail. Les plus observateurs ont même pu constater les premiers signes de la tendance qui marquera la prochaine décennie. Cette tendance ira même jusqu’à s’inspirer de plusieurs concepts de récréologie. Une utopie? Pas du tout. Ne dit-on pas que les entreprises ont besoin de créativité pour prospérer? L’idée même de la récréologie repose sur le besoin que les humains ont de se recréer pour vivre mieux et plus longtemps tout en conservant leur vitalité. Rien à voir avec la notion d’amusement qui peut se faire de manière totalement destructrice.

Il serait illusoire de croire que l’on verra une masse d’entreprises mettre sur pied un département de récréologie. On verra plutôt une approche qui permettra de limiter l’érosion accélérée des capacités des ressources humaines par l’implantation de programmes favorisant le plein épanouissement du personnel. Un groupe appréciable d’entreprises joindront les rarissimes qui ont déjà adhéré volontairement à la norme Entreprise en santé. Cette norme, enregistrée au Bureau de normalisation du Québec (BNQ), ose proposer de mettre en place une série de mesures favorables à l’épanouissement des employés dans l’organisation. Ultimement, on verra les plus avant-gardistes y intégrer des programmes de formation continue permettant à leur personnel d’optimiser leur plein potentiel professionnel et humain.

L’adhésion aux principes de cette norme peut être perçue comme un coût à première vue. Avec un peu plus de perspicacité, on y verra un investissement sûr et, avec un bon sens de l’éthique et une vision responsable de l’avenir, cela deviendra un avantage concurrentiel.

Investir dans des activités d’incitation, d’information et de formation du personnel pour soutenir une démarche responsable d’équilibre de vie, de nutrition avisée, d’activité physique ou de santé psychologique nécessite une vision à long terme. Quelle autre motivation pourrait justifier d’investir?

L’actuel ralentissement économique fait oublier la réelle pénurie de main-d’œuvre. Combien d’entreprises font vraiment de la sélection de personnel depuis cinq ans? Lorsqu’on en est à installer des banderoles permanentes, à offrir des bonis de référence ou d’embauche pour attirer les candidatures, on ne sélectionne plus, on se fait sélectionner. La seule façon de renverser la vapeur est d’être la référence afin de choisir son personnel. Comment faire si ce n’est en devenant un employeur de choix? Le vieux modèle ne parvient plus à conserver son pouvoir d’attraction. Il faut agir et vite! La relève s’attend à quelque chose de différent, immédiatement. Le vieux modèle avait du sens lorsqu’on avait grandi dans l’abstinence et que les années de service équivalaient à un meilleur traitement. La relève a obtenu ce confort dès la plus tendre enfance et continue d’en bénéficier chez au moins un de ses deux parents. L’abondance est une référence pour les jeunes. Ils veulent être bien maintenant et le demeurer dans le futur. Les employeurs qui répondront à leurs attentes seront en mesure de choisir les meilleurs éléments parmi eux. Ainsi, simplement sur le plan de la sélection du personnel, la tendance favorisant l’adoption des principes de l’Entreprise en santé est une clé pour l’avenir.

Un individu en santé, équilibré, épanoui offre une productivité inespérée. Par opposition, s’il a des délais irréalistes, des objectifs inatteignables et qu’il côtoie des collègues surmenés, il ne faudra pas se surprendre de son absence… Lorsqu’il devient plus intéressant de perdre une demi-journée dans un cabinet de médecin que d’aller travailler, il y a un problème. L’employé qui prend conscience que le marché offre des milieux où les employés sont considérés et respectés deviendra loyal à son futur employeur avant même d’avoir quitté celui chez qui il souffre. On remarque ainsi que la tendance en santé et sécurité tout comme le monde des affaires s’ouvre sur une approche globale.

La tendance qui se dessine en est une où le domaine de la santé et de la sécurité englobera aussi le bien-être. Les adeptes auront un avantage concurrentiel quasi insurmontable. Dans un contexte planétaire, l’employeur de choix sera en mesure de sélectionner parmi les meilleurs de la planète. La technologie et les communications rendent cela possible dès aujourd’hui. Imaginez les bénéfices pour ces entreprises qui se créeront un tel avenir…

Luc Baillargeon, CRHA, directeur, santé et sécurité du travail, Parmalat CANADA

Source : Effectif, volume 13, numéro 1, janvier/février/mars 2010.


Luc Baillargeon, CRHA