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Pandémie de grippe – Quelles sont les obligations et responsabilités de l’employeur et de l’employé?

L’épidémie de SRAS qui a frappé la région de Toronto en 2003 l’a démontré. Il arrive parfois que les questions de santé publique aient un impact sur les relations du travail et, plus largement, sur la gestion des ressources humaines. Qu’arriverait-il si, demain matin, le Québec faisait face à une telle situation?

21 septembre 2009
Martin Bouchard

Me Marie-Hélène Jetté, CRIA, avocate chez Ogilvy-Renault, l’avoue d’emblée : « On ne retrouve pas nécessairement de dispositions en matière de pandémie dans les lois du travail au Québec ». Les employeurs ont plutôt l’obligation générale de s’assurer que le milieu de travail qu’ils offrent aux travailleurs est exempt de risques ou que les risques sont contrôlés. Comment peuvent-ils alors respecter leurs obligations dans un contexte de pandémie?

En fait, plusieurs questions restent à élucider en ce qui concerne la responsabilité des employeurs en cas de pandémie, mais pour Me Pierre Pilote, CRIA, avocat chez Gowlings-Lafleur-Henderson, la Loi sur les normes du travail continue de s’appliquer et de prévaloir. « Par exemple, si un immeuble est mis en quarantaine pour cause de pandémie, l’entreprise qui s’y trouve devra mettre à pied temporairement ses employés », dit-il. Ce licenciement s’effectuera légalement, car la Loi sur les normes du travail en matière de licenciement et de licenciement collectif stipule que l’employeur doit donner des avis ou des indemnités de licenciement seulement si la mise à pied est de six mois ou plus. « Ce ne serait probablement pas le cas d’un licenciement découlant d’une pandémie », ajoute-t-il.

Par ailleurs, comme l’explique Me Marie-Josée Sigouin, CRIA, avocate et associée chez Les avocats Le Corre & Associés, il arrive parfois que le gouvernement prenne des mesures d’exception pour soutenir les entreprises et leurs employés. Les banques de congés spéciaux créés par le gouvernement ontarien lors de la crise du SRAS pour soutenir les gens mis en quarantaine au retour d’un voyage en avion en sont un exemple. « De cette façon, les victimes de la quarantaine n’avaient pas à piger dans leur banque de vacances », dit-elle. Selon elle, il est probable que de telles mesures soient prises à nouveau. « Le délai de carences de deux semaines de l’assurance-emploi risque également d’être réduit, car les salariés ne seront probablement pas absents longtemps », ajoute-t-elle.

Plusieurs entreprises ont par ailleurs élaboré des politiques ou des conventions collectives qui prévoient des dispositions en cas de pandémie. « Certains employeurs paieront jusqu’à deux semaines d’absence. Or, selon la loi, il n’y a aucune obligation de payer. Si l’arrêt de travail devait durer, les salariés devront donc se tourner vers l’assurance-emploi », laisse tomber Me Jetté.

De mesures sont également prévues pour les personnes qui devront apporter leur soutien à un proche. De fait, explique Pierre Pilote, « la Loi sur les normes du travail prévoit qu’un salarié peut s’absenter jusqu’à dix jours par année, sans salaire, pour assumer ses obligations à l’égard de la santé d’un de ses proches. Il est certain, continue-t-il, qu’en cas de pandémie, de nombreux salariés se prévaudraient de ce droit ». Là encore, plusieurs entreprises se sont dotées de politiques internes qui prévoient le paiement de ces congés.

Il se peut également que la peur de certains employés devienne irrationnelle et que certains refusent de se présenter au travail par crainte de contracter le virus. Du point de vue de Me Jetté, « il faut alors se demander si la peur de l’employé est raisonnable ou non ». Pour sa part, l’avocate croit que, si l’entreprise a mis en place des mesures d’hygiène et de sensibilisation et qu’il n’y a aucun cas de grippe déclaré au sein de l’entreprise, la peur de l’employé sera jugée déraisonnable. « Ces questions donneront lieu à plusieurs débats, avertit-elle, car l’employé a le devoir de se présenter au travail à moins d’une bonne raison, et ce fait ne change pas en contexte de pandémie ».

Cela dit, aucune mesure n’est prévue pour compenser une perte de salaire due à un ralentissement économique. « Si, à cause d’une pandémie, les gens ne vont plus au restaurant et qu’il y a fermeture d’établissement, les employés devront se tourner vers l’assurance-emploi », tranche Pierre Pilote. « L’employeur qui ferme par manque de clientèle n’est pas tenu de payer les employés; lui aussi est pénalisé à cause de la pandémie! », soutient Marie-Josée Sigouin. Toutefois, selon elle, des mesures législatives seraient probablement adoptées pour soutenir les salariés particulièrement touchés.

Confidentialité, droits de la personne et pandémie
Dans un désir de prévention, certains employeurs verront à ce que chaque employé soit vacciné contre la grippe. Est-ce légal? Pour Marie-Hélène Jetté, la question n’est pas encore tout à fait tranchée. « Objectivement, il est peu probable qu’un employeur puisse forcer un employé à se faire vacciner, commence-t-elle. Par contre, je pense que, dans certains milieux plus à risque, l’employeur pourrait temporairement retirer du travail les salariés qui ne veulent pas se faire vacciner, et ce, sans solde ». Il en est de même pour les salariés qui refuseraient de se faire vacciner pour une raison religieuse.

Un jugement rendu en 2009 concerne justement cette situation. En 2005, à la suite d’une éclosion de grippe, le CSSS de Rimouski avait demandé à ses infirmières de se faire vacciner. « Certaines ont refusé et l’employeur les a retirées du travail sans les payer », continue Marie-Josée Sigouin. À son avis, le jugement, qui a donné raison à l’employeur, trace la ligne sur ce sujet délicat, mais demande une certaine prudence quant aux dangers d’extrapolation.

La question de la confidentialité est aussi mise sur la sellette. « En entreprise, on ne demande habituellement pas de certificat médical ou de diagnostic aux employés qui présentent un dossier d’assiduité normale et qui s’absentent pour trois jours ou moins », affirme Marie-Hélène Jeté. Elle estime qu’en contexte de pandémie, cette situation sera appelée à changer. « Afin de protéger la santé des autres employés de l’entreprise, l’employeur sera tenté de questionner le salarié qui appelle pour signaler son absence », pense-t-elle. Ainsi, il serait justifié pour les employeurs de demander la nature des symptômes d’un employé malade, et celui-ci, par respect pour ses collègues, devra répondre. Marie-Josée Sigouin partage ce point de vue. « En période de pandémie, ce ne serait pas une intrusion dans la vie privée d’un salarié que de lui demander la cause de son absence », valide-t-elle. Pour elle, les salariés doivent user de souplesse afin d’aider les employeurs à contenir le virus et à protéger le reste des employés. Ainsi, selon Pierre Pilote, « en présence de certains symptômes associés à la grippe, un employeur pourrait demander à un salarié de rester à la maison pour une période de sept jours, soit la période de contagion du virus ».

Une question de prévention
Pour Pierre Pilote, l’employeur doit respecter certaines obligations de base, par exemple en ce qui concerne l’hygiène sur les lieux de travail. « Il doit également informer les employés sur l’état de la propagation du virus et sur les mesures à prendre pour la prévenir. De fait, l’employeur doit demeurer attentif aux symptômes et isoler les personnes atteintes », explique-t-il. De surcroît, des directives de la santé publique ont été émises en août dernier et touchent les enseignantes enceintes, de niveau préscolaire à collégial. « Celles qui sont en contact avec la clientèle étudiante devront être retirées pour toute la période épidémique », affirme Marie-Josée Sigouin.

La prévention ne s’arrête toutefois pas là. Selon les autorités compétentes, une pandémie pourrait survenir à tout moment. Beaucoup d’entreprises ont commencé à se préparer au pire en mettant sur pied des plans de continuité en cas de pandémie. Beaucoup ont aussi accru la sensibilisation et les mesures d’hygiène. « En général, la grande entreprise, très structurée, a déjà des politiques et des guides internes concernant l’éclosion d’une pandémie. Certaines ont même réfléchi aux solutions de rechange en cas de fermeture temporaire des lieux physiques, par exemple le télétravail », avance Marie-Hélène Jeté. Cependant, au dire de Pierre Pilote, si l’employeur a identifié des salariés devant travailler de la maison, il devra leur installer un poste de travail adéquat et payer l’équipement nécessaire.

« En cas de pandémie, il y aura certainement des avis émis quotidiennement par la santé publique. À l’employeur de faire circuler l’information et de s’assurer que tout le monde est informé », insiste Pierre Pilote. Par exemple, le lavage des mains, l’utilisation de produits nettoyants désinfectants, la sensibilisation et le dépistage des symptômes sont quelques-unes des mesures de prévention reconnues pour contenir le virus. En un mot, l’hygiène est la meilleure prévention et la prévention est la meilleure stratégie.

Martin Bouchard, journaliste indépendant

Source : VigieRT, numéro 40, septembre 2009.


Martin Bouchard