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Avant que ça dégénère en affaire de harcèlement

Mieux vaut prévenir que guérir, c’est un proverbe que chaque gestionnaire en ressources humaines entend généralement mettre en application avant qu’un incident de harcèlement psychologique ne se produise.

19 juillet 2007
Denise Perron, CRHA et Marc Rosset

Ainsi, depuis l’entrée en vigueur des amendements qui introduisent la notion de harcèlement psychologique au travail dans la Loi sur les normes du travail en juin 2004, bon nombre d’organisations ont élaboré et diffusé une politique sur le sujet.

Y sont exposés, de façon plus ou moins détaillée, l’objectif de la politique, son champ d’application, les définitions pertinentes, les mécanismes de recours, le rôle et les responsabilités des gestionnaires comme des employés, les pénalités et les délais de traitement d’une plainte pour harcèlement, y compris pour harcèlement psychologique.

Est-ce pertinent?
Sans aucun doute. Un employeur peut être mis en cause pour des actes fautifs commis par les membres de son personnel sur les lieux de travail. Il est de sa responsabilité d’assurer un climat de travail convenable.

En plus, l’employeur doit prendre des moyens raisonnables pour prévenir et faire cesser les situations de harcèlement en milieu de travail qui sont portées à son attention. L’élaboration d’une politique est donc maintenant incontournable. Elle permettra de limiter la responsabilité de l’employeur si une plainte est déposée à la Commission des normes du travail, à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec ou devant un tribunal.

D’ailleurs, l’adoption d’une politique pour contrer toute forme de harcèlement (et même de discrimination) est de rigueur pour les employeurs qui mettent en œuvre soit un programme d’équité en matière d’emploi dans le cadre de la législation fédérale, soit un programme d’accès à l’égalité dans celui de la législation québécoise.

En effet, l’élaboration de tels programmes comprend l’analyse des systèmes d’emploi d’une entreprise afin de vérifier si les politiques et les pratiques de gestion des ressources humaines ont des effets potentiellement discriminatoires sur les membres de groupes visés.

Ainsi, lorsqu’on fait l’analyse des systèmes d’emploi, il est nécessaire de recenser les mesures mises en application dans l’entreprise pour faciliter l’intégration des membres des groupes visés et minimiser le taux de roulement du personnel issu de ces groupes. L’adoption d’une politique pour contrer le harcèlement fait partie de ces mesures.

S’il n’y a pas de politique ou de mécanismes mis en place, il devient alors essentiel d’en inscrire l’élaboration à titre de mesure d’égalité des chances à l’étape de la mise en œuvre d’un programme d’accès à l’égalité ou à l’étape de l’élaboration d’un plan d’équité en matière d’emploi.

Le harcèlement psychologique
La définition du harcèlement psychologique retenue au Québec par le législateur est la suivante :

« …une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. »

Par ailleurs une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.

La définition de la Loi sur les normes du travail inclut le harcèlement sexuel au travail ainsi que le harcèlement lié à un des motifs contenus dans l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. Ces motifs sont la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la Loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Source : Commission des normes du travail

Est-ce suffisant?
Peut-être. L’adoption et la diffusion d’une politique fait savoir à l’ensemble du personnel que les situations de harcèlement ne seront pas tolérées et que des sanctions sont prévues.

Toutefois, il arrive que l’adoption d’une politique crée une fausse impression de prévention du harcèlement. Effleurant la médiation, l’accent d’une politique est souvent mis sur les grandes étapes d’un processus d’enquête formelle, signalant la possibilité de déposer aussi une plainte auprès d’organismes externes. En fait, faute de moyens ou faute d’aisance à traiter du sujet, il y a mésestimation des micro-conflits, inconfort à proposer la médiation par crainte de placer la présumée victime dans une situation de vulnérabilité ou encore par manque de préparation en cours d’enquête interne.

Or, bien qu’à première vue il puisse paraître lourd et désagréable de gérer de telles situations, il est beaucoup plus onéreux de s’occuper d’un cas de plainte officielle, surtout lorsqu’elle est déposée devant un organisme externe.

Par exemple, dans les cas de plaintes pour harcèlement psychologique, le temps et les ressources investis au chapitre des représentations auprès de la Commission des normes du travail, de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, de la Commission des relations du travail, de la Commission des lésions professionnelles ou devant d’autres tribunaux peuvent être considérables même si, au bout du compte, il est rare que la partie plaignante ait gain de cause. En somme, personne n’y gagne.

Vaut donc mieux prévenir…
Diagnostic de risque
Dans le cadre de la prévention du harcèlement, un diagnostic de risque est un outil intéressant qui offre un survol rapide de l’état du personnel dans une entreprise.

Apparenté à une enquête sur le climat de travail, le diagnostic de risque permet de repérer les problématiques organisationnelles et relationnelles. Il identifie des zones à risque par la vérification d’indicateurs de base comme l’absentéisme ou le contenu des plaintes spontanées. Cette analyse doit être complétée par des entretiens avec des employés et elle donne alors une bonne image des secteurs exposés. Le diagnostic de risque peut être précieux pour prévenir à la source des conflits souvent à l’origine des incidents de harcèlement.

Retour à l’élémentaire
Bien qu’ils puissent paraître élémentaires ou déplacés en milieu de travail, des ateliers au cours desquels sont rafraîchis les codes d’étiquette, de politesse et de savoir-vivre permettent souvent de faciliter les rapports entre les individus. Ils peuvent même être suffisants pour rétablir le dialogue et les échanges. En plus, les participants y voient une façon non menaçante de s’exprimer sur les comportements sociaux acceptables.

Gestion de micro-conflits
Contrairement à ce qu’on pense communément, le harcèlement est rarement un processus brutal. Il découle trop souvent de la lente dégradation des relations professionnelles.

Non seulement le seuil de tolérance varie d’une personne à l’autre mais, comme le démontre le tableau ci-dessous, le « réservoir » d’un individu peut basculer lorsque plusieurs éléments négatifs entrent en jeu.

En milieu de travail, il importe donc de prévenir tout conflit, aussi banal soit-il. À ce chapitre, il faut rappeler aux employés les règles fondamentales, les codes qui guident les comportements au travail incluant l’exercice du droit de gestion ainsi que les mécanismes qui sous-tendent la naissance des conflits.

Le premier niveau d’intervention est l’entretien individuel confidentiel avec la personne qui se sent lésée. Dans la majorité des cas, cette mesure est suffisante pour traiter les malaises dans une relation de travail. La présumée victime, en décrivant sa situation, est amenée à prendre de la distance et à se positionner.

Traiter ensemble du malaise provoqué par une attitude, une blague, une remarque ou une tenue vestimentaire permet une régulation proactive de la relation professionnelle et son développement harmonieux à long terme.

Abordée en séance interactive, l’exploration de ces thèmes peut d’ailleurs poser les bases d’une prévention efficace et d’un climat de travail productif et respectueux.

Médiation fructueuse
La médiation peut être envisagée à un deuxième niveau. Elle vise principalement, en rétablissant un lien entre les parties, à favoriser la recherche commune de solutions.

Le médiateur doit s’impliquer avec prudence dans ce genre d’intervention en veillant à préserver sa position et en restant neutre.

En permettant à chacun de se mettre à la place de l’autre, le rôle du médiateur est aussi de briser l’isolement. Il doit éviter de véhiculer des préjugés ou de minimiser l’impact de la situation rapportée.

Le médiateur écoute jusqu’au bout et prend acte (au lieu d’interroger). Il explique les choix, en mettant de côté le vocabulaire trop technique ou juridique, mais amène la présumée victime à chercher des solutions.

Enquête interne
Sans entrer dans les détails de son déroulement, rappelons que, s’il devient nécessaire de mener une enquête interne, l’enquêteur s’assurera de pouvoir investiguer sans entraves. Son rôle consistera à déterminer les faits, à trouver les moyens de corriger la situation dans les plus brefs délais et de restaurer un climat de travail sain.

Somme toute, le harcèlement psychologique, comme toute autre forme de harcèlement, peut engendrer des investissements importants. Comme l’aurait peut-être dit Abraham Lincoln : « Si vous croyez que la prévention coûte cher, essayez la justice! »

Denise Perron, CRHA, présidente, Groupe ÆQUITAS et Marc Rosset, psychologue-médiateur

Source : Effectif, volume 10, numéro 3, juin/juillet/août 2007.


Denise Perron, CRHA et Marc Rosset