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Le legs de la COVID-19 : une culture de collaboration forte

Depuis le début de la pandémie, les propos des responsables gouvernementaux et des experts font constamment appel à la solidarité et à l’entraide pour prévenir la propagation du coronavirus. Les organisations souhaitent aussi que leur personnel se serre les coudes face à l’adversité et ce bien au-delà de la crise sanitaire, notamment au moment où la crise économique frappera encore plus fort.

26 juin 2020
Alain Gosselin, CRHA, Distinction Fellow

Maintenant que se pointe le moment d’envisager l’après-COVID, ou le « post-normal », il devient intéressant de réfléchir à ce que cette crise sanitaire est susceptible de nous laisser de mieux et de durable. Je mise sur une culture de collaboration plus forte dans et entre les organisations.

Maintenant est le bon moment

Par son potentiel de rupture, la crise actuelle procure une occasion unique de mettre en œuvre cette démarche pour faire bouger concrètement la culture des organisations. De fait, nous avons observé une accélération de certains changements qui étaient déjà en émergence (ex. travail à distance, télémédecine). Renforcer l’esprit de collaboration est un autre changement en marche, jugé difficile et long à réaliser, dont il est possible d’accélérer l’évolution. Comme disait Winston Churchill : « Never let a good crisis go to waste. »

Pourquoi plus de collaboration?

La réponse courte est que son contraire, l’esprit de compétition ou l’émulation, a atteint sa limite. Amener les personnes, les équipes, les services et les unités d’affaires à donner leur 110 % en se fixant des objectifs individuels, en les comparant, entre eux, sur l’atteinte de ces objectifs et en les mettant au défi de se dépasser est devenu contreproductif.

Aujourd’hui, c’est la mobilisation de l’intelligence collective qui prend le pas sur le « chacun pour soi » ou « que le meilleur gagne ». Dès la période pré-COVID, des appels à travailler autrement se sont multipliés chez les dirigeants. Leurs propos témoignent de leur désir de construire des ponts plutôt que d’ériger des murs :

  • Abattre les silos étanches et la compétition, car ils nuisent à la libre circulation des idées, des compétences et des meilleures pratiques au sein de l’organisation;
  • Accroître la capacité d’adaptation et la vitesse de mise en œuvre, soit devenir plus agile, entre autres en faisant travailler ensemble des entités internes et externes (ex. fournisseurs, concurrents);
  • Devenir plus innovant en adoptant une approche ouverte de recherche des idées (crowdsourcing) qui mobilise l’intelligence des personnes, dont les clients, et ce, bien au-delà des experts à l’interne;
  • Réinventer une expérience client plus fluide et satisfaisante en faisant en sorte que tout au long de la prestation de service, aucune des personnes entrant en contact avec ce client n’échappe le ballon;
  • Développer une relève composée de candidats aux idées larges et ayant eu un parcours diversifié. Cela exige que le talent soit perçu comme une ressource collective ou partagée et non pas comme la « propriété » d’une seule fonction ou unité d’affaires.

Malgré cela, la partie est loin d’être gagnée puisqu’une culture de collaboration exige de changer des comportements qui sont bien ancrés.

Défaire ces nœuds ne sera pas chose facile. Pour mesurer l’ampleur de ce qui nous attend, je reprends ici l’une des citations célèbres de Joycelyn Elders, l’équivalent de notre ministre de la santé lors du premier mandat du président Clinton, au début des années 90 : « La collaboration est un acte non naturel entre adultes non consentants. »

Est-ce que la crise de la COVID-19 sera une alliée?

Par sa présence planétaire, son ampleur et sa durée, la pandémie offre une occasion unique de provoquer et de faire durer des changements de comportement. Face à l’adversité, l’instinct humain est de se regrouper et de se serrer les coudes afin d’assurer sa sécurité. C’est ce que nous pouvons observer présentement. Les médias nous ont rapporté de nombreux mouvements spontanés de solidarité et d’entraide dont l’envoi de milliers de CV pour offrir sa disponibilité et manifester son intérêt à donner un coup de main en CHSLD, des dons de sang et des groupes virtuels d’entraide entre voisins.

Mais, ce qui est autrement plus impressionnant, c’est l’apparition spontanée d’une collaboration internationale entre les chercheurs qui n’hésitent plus à partager leurs données et leurs connaissances et à coordonner leurs recherches alors qu’ils avaient le réflexe de travailler en vase clos et de publier en exclusivité afin d’attirer davantage de financement de recherche.

Quelque chose de solide semble avoir changé en faveur de la collaboration. L’esprit de compétition a été mis sur pause. Mais attention, l’histoire nous révèle qu’il est très difficile de changer ses comportements de façon durable après que la pression se soit atténuée.

De nombreux dirigeants et gestionnaires travaillant dans des organisations éprouvées par la crise du verglas en 1998 ont rapporté que pendant la crise, la hiérarchie était secondaire, les conflits entre les services sont devenus futiles et les sources d’iniquité avaient disparu. Malheureusement, trois semaines plus tard, les nouveaux comportements de collaboration sont disparus avec le retour de l’électricité.

Si l’on veut que les comportements de collaboration soient durables cette fois-ci, il faut y porter une attention dès maintenant.

Quatre pistes pour contribuer au legs de la COVID-19

Donner du sens à la collaboration. Pour déployer et soutenir un esprit de collaboration dans une organisation, il faut une raison forte reconnue par tous, visible dans les valeurs et soutenue par la cohérence entre les paroles et les actions des dirigeants. De plus, pour être capable de transcender les comportements naturels de compétition, cette raison doit faire appel au désir de contribuer à quelque chose qui nous dépasse individuellement. Dans la crise actuelle, tout s’appuie sur l’appel répété à sauver des vies. C’est difficile de trouver une meilleure raison de collaborer.

Votre rôle est de contribuer à définir la bonne réponse à la question suivante : « Pourquoi collaborer plus et mieux dans mon organisation? »

Unifier autour d’un objectif commun. Depuis plusieurs semaines, notre attention est portée sur l’importance d’aplanir la courbe des cas de contamination afin de ne pas surcharger le système de santé. C’est un rappel constant qu’afin de collaborer pleinement, nous avons besoin de partager au moins un objectif commun qui rallie tout le monde autour d’une cible claire.

Votre rôle est de contribuer à faire en sorte que les gens dans votre organisation n’aient pas seulement des objectifs individuels. Ils doivent aussi partager des objectifs collectifs qui les rendent solidaires et interdépendants.

Faire valoir cette interdépendance. Face à un problème aussi complexe qu’une pandémie, personne n’est en mesure de régler le problème seul. C’est ce que nous ont rappelé, au début mai, les dirigeants de six pays, dont Justin Trudeau ainsi que la présidente de la Commission européenne. Dans un document conjoint, ils ont affirmé leur détermination à travailler ensemble pour vaincre le coronavirus.

Votre rôle est de vous engager aussi et de faire en sorte que dans votre organisation, l’interdépendance entre les parties concernées dans une collaboration soit reconnue et acceptée par tous.

En faire un enjeu de leadership. Un contexte de crise est un puissant révélateur de talents. Certains vont se manifester, saisir l’occasion pour oser et se dépasser. Alors que d’autres, parfois perçus comme des leaders affirmés ou émergents avant la crise, vont se révéler décevants. En fait, c’est durant une crise que les leaders se font le plus observer, analyser et juger. Pensez à votre regard sur le trio Legault, Arruda et McCann.

Votre rôle est de contribuer à identifier et à donner de la place aux leaders qui excellent dans la construction de ponts entre les équipes et entre les secteurs. Axés sur l’empathie, la responsabilisation et la reconnaissance, ils savent maintenir la confiance du personnel envers l’avenir de l’organisation, malgré la crise, et apportent une énergie qui crée et soutient l’espoir.

Conclusion

Ma vision de l’après-COVID est de miser sur la rupture apportée par la pandémie pour accélérer l’avancement d’une culture de collaboration, un changement attendu par les dirigeants.

Références bibliographiques

Gosselin, Alain, et Jean Poitras (2015). « Bâtir une culture de collaboration ». RH, vol. 18, no 4. Repéré à /ressources/revue-rh/archives/batir-une-culture-de-collaboration.


Author
Alain Gosselin, CRHA, Distinction Fellow Professeur émérite HEC Montréal.
Complice de longue date des activités et projets de l’Ordre, Alain Gosselin, Ph.D., Fellow CRHA est professeur honoraire à HEC Montréal. Il intervient également à l’École des dirigeants (HEC Montréal) dans les programmes en leadership, en développement organisationnel et en gestion des talents. Il agit aussi comme directeur du module Collaborative Mindset du programme EMBA McGill-HEC Montréal. En 2007, HEC Montréal lui a décerné son Grand prix de pédagogie et, en 2012, le prix Esdras-Minville qui souligne la contribution exceptionnelle d’un professeur au rayonnement de l’École par ses activités et ses réalisations dans les sphères universitaire, professionnelle et publique. Alain est coauteur du livre « Paroles de PDG : comment 75 grands patrons du Québec vivent leur métier », paru en 2014 aux Éditions Rogers. Les médias font souvent appel à son opinion et à sa vision du leadership, de la collaboration et des talents.

Source : Revue RH, volume 23, numéro 2, avril/mai/juin 2020.