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Transformation organisationnelles : les secrets d'entreprises qui ont réussi

Pour survivre et croître dans l’écosystème d’affaires actuel, les entreprises internationales n’ont d’autre choix que de se réinventer. À force d’audace et de persévérance, certaines trouvent une voie de passage et réussissent leur repositionnement stratégique ou opérationnel. Voici leurs conseils.

31 mars 2020
Jean Philippe Poirier, 37e Av.

L’usine Bridgestone à Joliette fait aujourd’hui partie du club sélect des usines québécoises entièrement automatisées. Et c’est avec une réelle fierté que les employés parlent de leur travail. « Ils sont fiers de dire qu’ils ont participé au design et à la mise en place de la machine », explique Angela Kourouklis, CRIA, directrice RH chez Bridgestone Canada.

À Joliette, les employés ont été concernés en amont du projet d’automatisation grâce à l’approche Kaizen. « C’est une méthodologie de résolution de problème où l’on demande à une équipe multidisciplinaire d’analyser un problème sous plusieurs angles dans le cadre d’un atelier de travail rigoureux de quatre à cinq jours, explique Mme Kourouklis. Il faut libérer les gens, et c’est coûteux, mais ça génère les solutions les plus innovantes, et surtout, ça crée un fort sentiment d’appartenance. »

C’est l’une des nombreuses stratégies déployées par Bridgestone Canada pour susciter l’adhésion des employés à sa transformation organisationnelle, car maintenir la mobilisation des troupes tout au long d’une transformation, c’est en quelque sorte le nerf de la guerre. « On a tendance à sous-estimer la dimension des personnes au profit des dimensions techniques d’une transformation, confirme Réal Jacob, professeur honoraire à HEC Montréal. Quand on transforme une organisation, c’est d’abord et avant tout des personnes qui doivent se transformer. »

Soigner le message

« Dans une transformation d’envergure, comme celle de Pages Jaunes, la haute direction passe jusqu’à 50 % de son temps à communiquer avec ses employés et à les écouter », explique Justine Gagnon, qui a participé à la transformation numérique amorcée en 2014 à titre de directrice générale de la mobilisation et de la performance organisationnelle.

Cela démontre l’importance des communications en période de changement. La haute direction se doit non seulement de répondre aux craintes des employés, mais elle doit aussi, et surtout, donner une direction claire au projet. « Les gens ont besoin de comprendre à quoi sert la transformation, dit Paul D’Anjou, CRIA, vice-président RH chez Keolis Canada. Ils doivent pouvoir regarder le projet et dire : “Oui, c’est la bonne chose à faire.” »

Parmi les chantiers de transformation en cours, Keolis Canada a entrepris de mieux intégrer ses équipes de travail issues d’acquisitions passées. « Nous en voyons déjà les premiers bénéfices, confirme le vice-président RH. Toutes nos équipes mécaniques relèvent désormais du même directeur, un spécialiste du domaine, mieux outillé pour répondre à leurs besoins. »

Au-delà du message, il y a le choix du messager. Raynald Bisson, vice-président transformation RH chez Desjardins, mène un vaste projet de standardisation des systèmes de paie et de gestion RH à travers les entités de Desjardins. « Notre stratégie a été de faire en sorte que chaque gestionnaire entende parler du projet pour la première fois par son supérieur immédiat plutôt que par les RH, dit-il. Nous sommes ainsi passés par la ligne hiérarchique pour crédibiliser le projet, car il n’y a rien de plus mortel qu’un gestionnaire qui échoue à s’approprier une transformation. »

La question du management

Les gestionnaires de premier niveau ont une influence majeure sur le bon déroulement d’une transformation. Et pour cause : ils répondent aux préoccupations des employés sur une base quotidienne. Lors d’une transformation, les entreprises ont l’occasion de réfléchir au type de management à mettre en place pour faciliter le processus.

L’approche de gestion adoptée par l’usine de Joliette provient de la maison-mère de Bridgestone, située au Japon. « La philosophie se nomme Genbutsu-Genba, ce qui signifie “go and see”, dit Angela Kourouklis. Nos gestionnaires doivent aller sur le terrain pour identifier des opportunités d’amélioration. »

Pour sa part, Keolis Canada a procédé à une réévaluation complète de ses équipes de gestion. Certains directeurs sont partis, d’autres ont été embauchés selon de nouveaux critères de sélection. « Nous avions besoin de gestionnaires qui sont de bons communicateurs, qui n’ont pas peur de donner l’heure juste aux employés, explique Paul D’Anjou. Aussi, nous cherchions des gestionnaires qui ont une tolérance à l’inconnu et qui sont capables de gérer un haut niveau de complexité. »

Raynald Bisson prône lui aussi une pratique de gestion axée sur la franchise. « Les gens veulent qu’on leur dise la vérité, explique-t-il. Donc, pour être crédibles, les gestionnaires doivent avoir le courage de parler non seulement des avantages, mais aussi des côtés moins roses de la transformation, comme des deuils qu’il y aura à faire. »

Mener le bateau à bon port

Aucune transformation ne se fait en ligne droite. Il y aura des virages imprévus, des obstacles à franchir et des moments de découragement. Les entreprises doivent par conséquent prévoir des stratégies de relance pour éviter de s’embourber trop longtemps.

« On doit éviter de surcharger d’information les employés, dit Justine Gagnon. C’est pourquoi je conseille de rattacher chaque changement individuel à un projet plus large, de nature stratégique. Autrement, les employés ont sans cesse l’impression de repartir à zéro et la lassitude finit par s’installer. »

Paul D’Anjou s’assure de souligner chaque petite victoire pour maintenir le moral des troupes. « Nous sommes transparents sur la mesure des résultats, dit-il. Ça permet aux employés de suivre l’évolution de la transformation et de voir le fruit de leurs efforts. »

Chez Desjardins, Raynald Bisson a convaincu la direction d’adopter une approche itérative, qui était nouvelle pour l’organisation. « Nous avons déployé le nouveau système par cohorte, en commençant par l’entité la plus homogène pour finir avec celle qui était la plus complexe et diversifiée, explique-t-il. Nous avons pu apprendre de nos erreurs et nous améliorer à chaque implantation. »

À l’usine Bridgestone de Joliette, une équipe d’amélioration continue a été mise en place pour documenter la transformation. « Puis, il y a un changement de garde, ajoute Angela Kourouklis. On doit faire le transfert de connaissances de ceux qui partent, et ce, même si la nature du travail se modifie. »

Vers un modèle d’organisation « apprenante »

Vues de l’extérieur, les transformations organisationnelles peuvent paraître compliquées. « On entend parfois dire qu’à Joliette, “encore une fois, ça ne marche pas”, raconte Angela Kourouklis. C’est normal : on innove! Après coup, on obtient la reconnaissance d’avoir initié quelque chose, et ça devient une source de fierté. »

Au-delà des perceptions, Réal Jacob fait valoir l’avance concurrentielle que détiennent les entreprises qui ont réussi leur transformation. « Des entreprises comme Bridgestone Canada ou IBM Bromont sont désormais des entreprises apprenantes, dit-il. Quand elles se transforment, elles n’appellent plus cela de la transformation. C’est dans leur ADN de continuellement s’améliorer. »

Raynald Bisson l’a observé en cours de route chez Desjardins. « Je me rends compte que la façon la plus facile d’amorcer une transformation, c’est d’entrer dans une équipe qui a déjà un élan de transformation, dit-il. Les équipes qui étaient en transformation de l’expérience client ont été celles qui ont absorbé le plus rapidement les transformations découlant des impératifs RH. »

Il suffit parfois de vaincre l’inertie pour accomplir de grandes choses!


Jean Philippe Poirier, 37e Av. Journaliste indépendant

Source : Revue RH, volume 23, numéro 1, janvier/février/mars 2020.