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Sondage : où en est l’influence des professionnels RH ?

Si le titre de cet article vous interpelle, vous souhaitez assurément que la réponse à cette question soit négative, et vous n’êtes pas seul. Les résultats du sondage réalisé cet été par l’Ordre pour tracer le portrait de la perception de ses membres quant à leur rôle, leur crédibilité et leur valeur en tant que professionnels RH au sein des organisations démontrent que 74 % des répondants estiment qu’ils ont du pouvoir et qu’ils l’exercent régulièrement pour influencer et faire avancer leurs dossiers.

10 octobre 2019
Pierre Lainey, CRHA

Face aux importants défis auxquels sont confrontées les organisations qui évoluent dans un environnement incertain et turbulent, on aurait espéré que la totalité des répondants aient le pouvoir d’influencer les principaux acteurs de l’organisation pour faire avancer leurs dossiers et accroître l’efficience organisationnelle. Malgré cette donnée, les réponses au sondage tracent somme toute un portrait positif de la perception qu’ont les professionnels RH de leur rôle, de leur crédibilité et de leur valeur.

Un rôle avec une influence variable sur le plan opérationnel

La quasi-totalité (97 %) des répondants estiment que leur rôle est de porter assistance aux gestionnaires opérationnels dans la réponse à leurs besoins. L’influence des professionnels RH se trouve ainsi circonscrite par le rôle et les compétences qui leur sont traditionnellement attribués. D’ailleurs, les compétences en intelligence relationnelle sont jugées par 77 % des répondants comme étant les plus importantes à posséder ou à développer pour valoriser l’expertise RH. Ces compétences en intelligence relationnelle semblent être des assises solides pour l’exercice de l’influence puisque 92 % des répondants réussissent à convaincre leurs gestionnaires de la justesse de leurs positions, ce qui est une bonne mesure de leur influence.

Cette influence semble toutefois avoir un effet limité. Bien que 90 % des répondants se considèrent comme investis de la responsabilité de maintenir un milieu de travail sain et respectueux (qualité de vie au travail, relations de travail, politiques contre le harcèlement, normes du travail, équité salariale, etc.), ceux qui y arrivent semblent moins nombreux. En effet, seulement 73 % estiment influencer les gestionnaires sur tout ce qui concerne la santé et le mieux-être au travail. Cette disparité est-elle révélatrice d’une influence plus ou moins grande dans certains dossiers? On pourrait le croire lorsqu’on examine les réponses aux questions portant sur la capacité à influencer les gestionnaires par rapport aux pratiques de gestion des employés au quotidien (89 % des répondants y arrivent) et aux questions relatives à la planification des RH (83 % des répondants le font), et sur le fait que leurs recommandations sont souvent mises en oeuvre par les gestionnaires (88 %) et qu’ils sont en mesure de susciter l’adhésion des gestionnaires à certaines de leurs priorités (85 %). Enfin, 85 % obtiennent l’appui des gestionnaires dans la réalisation de leurs projets. Ces chiffres révèlent la nécessité pour les professionnels RH d’accroître leur influence et leur incidence dans plusieurs domaines qui relèvent de leur rôle opérationnel.

Réputation vs confiance selon les répondants :

  • 95 % pensent jouir d’une bonne réputation
  • 64 % aimeraient qu’on leur fasse plus confiance

Au-delà des opérations, les professionnels RH auraient intérêt à accroître leur influence sur le plan stratégique. Boxall et Purcell (2011) invitent les professionnels RH à s’interroger sur leurs actions quant au développement et la mise en oeuvre des politiques RH, et à se demander en quoi elles contribuent à la pérennité de leur organisation et soutiennent l’avantage concurrentiel que celle-ci met de l’avant. Les professionnels et les dirigeants RH doivent démontrer en quoi leurs actions procurent de la valeur ajoutée pour l’ensemble des parties prenantes qui bénéficient de leurs services à tous les niveaux de l’organisation (Ferris et Judge, 1991). Cela implique donc une dualité de rôle pour les professionnels RH : un rôle opérationnel et, surtout, un rôle stratégique.

Des atouts pour exercer une influence stratégique

95 % des répondants jugent qu’un de leurs atouts indéniables est la bonne réputation dont ils jouissent au sein de leur organisation. 93 % d’entre eux estiment que cette réputation peut découler du fait qu’ils sont perçus comme des professionnels crédibles au sein de leur organisation. Une crédibilité qui se trouve renforcée par le fait que 79 % des répondants font état de réalisations antérieures en matière de création de valeur qu’ils peuvent faire valoir dans leur organisation. 64 % des répondants souhaitent toutefois qu’on leur fasse davantage confiance pour contribuer au succès de leur organisation.

Pour y arriver, il faudra que les professionnels RH étendent leur zone d’influence au-delà du champ opérationnel et embrassent un rôle plus stratégique pour démontrer leur valeur. D’ailleurs, ces deux rôles semblent cohabiter dans la perception qu’ont les répondants du rôle qu’ils jouent au sein de leur organisation. 81 % se considèrent comme des partenaires stratégiques capables d’influencer la prise de décisions stratégiques, et sensiblement le même pourcentage de répondants se voient comme des partenaires opérationnels qui conçoivent et mettent en place des politiques et des processus RH.

Cette dualité de rôle, bien qu’elle ne soit pas exclusive aux professionnels RH (les professionnels d’autres fonctions exercent à la fois des rôles opérationnels et stratégiques), semble être difficile à exercer, notamment sur le plan stratégique. En effet, 74 % des répondants croient qu’il leur faut développer leur pensée stratégique, à la fois sur le plan de la planification et de l’exécution de la stratégie. Aussi, 58 % d’entre eux pensent qu’il leur faut développer leur sens des affaires pour comprendre la raison d’être de l’organisation et pour pouvoir participer à la création de sa valeur. Concernant la fonction RH, 84 % des répondants estiment qu’elle doit développer des moyens pour établir des liens entre les pratiques RH et les objectifs d’affaires de l’organisation, et près de 88 % des répondants croient qu’elle doit se doter de davantage d’indicateurs en lien avec les objectifs stratégiques de l’organisation pour créer un contexte dans lequel les professionnels RH seront en mesure de faire valoir leur expertise.

Une valeur ajoutée sur le plan opérationnel… mais à développer sur le plan stratégique

Truss et collaborateurs (2002) ont démontré que les rôles qu’adoptent les professionnels et les dirigeants RH sont façonnés par les attentes que l’on a envers eux, le leadership qu’ils sont prêts à exercer dans leurs fonctions, le pouvoir détenu et la volonté de jouer un rôle stratégique, les ressources mises à leur disposition, leur niveau de professionnalisme, leur connaissance de l’environnement d’affaires, leurs efforts de communication ainsi que leur visibilité au sein de l’organisation.

Parmi ces rôles, le plan opérationnel est celui dans lequel les professionnels RH démontrent depuis longtemps leur valeur ajoutée en exerçant leur influence. Ils devront toutefois être à l’affût des facteurs susceptibles de réduire leur influence et de diminuer leur incidence sur le plan opérationnel. 70 % des répondants soutiennent que leur formation universitaire est reconnue et valorisée au sein de leur organisation, et 79 % connaissent les pratiques les plus actuelles dans leur domaine. Pour maintenir leur influence, les professionnels RH n’ont d’autre choix que d’actualiser leurs compétences et de déployer leur expertise auprès des gestionnaires aux prises avec des problèmes RH. Les professionnels RH doivent être perçus comme étant des porteurs de solutions et non comme étant un « problème » avec lequel il faut composer. Cela est d’autant plus nécessaire sur le plan stratégique. Les professionnels RH doivent apprendre à lire l’environnement de l’organisation et à anticiper les problèmes auxquels ils devront trouver des solutions qui seront mises à la disposition des gestionnaires. À cet effet, 88 % des répondants connaissent bien l’environnement au sein duquel évolue leur organisation. Cette lecture de l’environnement doit être constante car l’environne- ment est turbulent et évolue constamment. C’est ainsi que les actions des professionnels RH auront une portée stratégique pour répondre aux défis d’aujourd’hui et anticiper les défis de demain. En effet, 52 % des répondants estiment que les enjeux les plus cruciaux de leur organisation aujourd’hui sont ceux liés à la gestion des opérations et 43 % estiment que ce sont les enjeux liés à la gestion des ressources humaines.

Enjeux les plus cruciaux de leur organisation selon les répondants :

  • gestion des opérations : 52 %
  • gestion des ressources humaines : 43 %

Cette portée stratégique peut être encore plus grande si les professionnels RH se considèrent comme des partenaires d’affaires qui sont capables d’entreprendre des initiatives créatrices de valeur pour l’organisation (ce qui est le cas de 86 % des répondants). Les professionnels et les dirigeants RH cherchent depuis longtemps à influencer les décisions stratégiques prises dans les organisations (Aldrich et al., 2015). Souvent dévolu aux plus hauts responsables des ressources humaines au sein de leur organisation (cela se vérifie pour 84 % des répondants), ce rôle d’influence stratégique permet aux dirigeants RH d’agir à titre de partenaires d’affaires en soutenant les activités de l’organisation (84 % des répondants). De plus, ils sont souvent responsables de la gestion des talents en mettant de l’avant des politiques et des programmes (74 % des répondants).

Au-delà de se percevoir comme partenaire d’affaires menant des initiatives créatrices de valeur pour l’organisation, il faut en faire la démonstration pour maintenir une certaine influence sur le plan stratégique et être perçu comme un véritable « partenaire stratégique » de l’organisation. Cela ne semble toutefois pas acquis : seulement 57 % des répondants soutiennent que la fonction RH au sein de l’organisation doit reposer, en général, sur des indicateurs de mesures capables de démontrer sa valeur ajoutée. Un changement de paradigme semble ici s’imposer. L’influence stratégique des professionnels RH et la reconnaissance de leur rôle stratégique n’est possible que s’ils sont en mesure de démontrer les impacts directs et indirects de leurs actions sur l’efficacité organisationnelle. Actuellement, cela ne semble pas être le cas, bien que les répondants croient que la fonction RH génère en général davantage de bénéfices que de coûts (88 %), contribue à l’évaluation des conséquences financières des décisions stratégiques (68 %) et peut s’appuyer sur des professionnels RH qui ont une pensée d’affaires et parlent le langage managérial (80 %).

Crédibilité et visibilité : deux conditions essentielles pour accroître son influence comme partenaire stratégique

Pour assumer un rôle d’influence en tant que partenaires stratégiques, il faut que les professionnels RH soient présents et visibles au sein des espaces dans lesquels ils pourront démontrer leur valeur ajoutée. Actuellement, seulement 65 % des répondants siègent à des comités stratégiques. Il est difficile d’influencer stratégiquement sans participer activement aux comités stratégiques et sans que les autres reconnaissent qu’on fait partie d’un réseau de contacts qu’on peut mobiliser dans la recherche de solutions (seulement 41 % des répondants sont interpellés pour leurs réseaux de contacts professionnels).

Pour être efficaces sur le plan stratégique, les professionnels et les dirigeants RH ont besoin d’influencer les décisions organisationnelles qui les concernent, et pour être influents, ils doivent avoir l’appui des principales parties prenantes avec lesquelles ils auront tissé des partenariats. Mais pour obtenir cet appui, les professionnels et les dirigeants RH doivent être crédibles. Ils savent qu’ils ont atteint le plus haut niveau stratégique lorsqu’ils sont perçus comme étant crédibles (respectés, admirés et écoutés) et visibles (ils offrent leur point de vue, prennent position et n’hésitent pas à remettre en question les façons de faire) (Aldrich et al., 2015).

Influence en déclin?

L’influence des professionnels RH est-elle en déclin? Non, mais il faudra être vigilant.

Le sondage mené par l’Ordre permet de faire le constat suivant : les professionnels RH assument un rôle avec une influence variable sur le plan opérationnel. Ils devront être vigilants pour ne pas perdre cette influence, sans laquelle ils ne pourront pas faire reconnaître leur valeur ajoutée à sa juste mesure. De plus, ils ont des atouts pour exercer une influence stratégique. Pourquoi ne pas étendre leur influence et devenir des partenaires stratégiques crédibles et visibles? Nos organisations ne peuvent pas se priver de leur contribution, sans laquelle elles ne pourront pas faire face efficacement à un environnement de plus en plus incertain et turbulent.


Pierre Lainey, CRHA Maître d'enseignement en management HEC Montréal
Consultant et formateur, Pierre Lainey, CRHA est chargé de formation à la Direction des programmes de certificat à HEC Montréal, où il enseigne le leadership organisationnel ainsi que les habiletés politiques. En 2008, il a reçu le prix pour l’excellence en pédagogie. Psychologue de formation et détenteur d’une maîtrise en administration des affaires (MBA), monsieur Lainey a travaillé pendant plus de 15 ans dans des organisations privées, publiques ou à but non lucratif, notamment dans le domaine du développement organisationnel. Il est consultant en management certifié (CMC) de l’Association canadienne des conseillers en management et conseiller en ressources humaines agréé (CRHA) de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.

Source : Revue RH, volume 22, numéro 4, octobre/novembre/décembre 2019.