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Discrimination à l’embauche : la justice donne le cap

Lors d’une entrevue d’embauche, que faire avec les questions conçues pour satisfaire la curiosité personnelle, mais qui pourraient être perçues comme discriminatoires malgré leur intention anodine? Assurément, il vaut mieux de s’en tenir aux questions directement liées au poste à combler.

25 juin 2019
Jack Duhaime

Mostafa Atir est né au Maroc, a immigré au Québec et a obtenu de l’UQAM un diplôme de maîtrise en géographie. Il passe une entrevue d’embauche chez un consultant en technologie de l’information parce qu’il convoite un poste en géomatique à la Ville de Montréal. 

Au cours de l’entrevue, le sujet de la religion a surgi. Comment? Il y a deux versions des faits, celle de l’intervieweuse et celle de l’interviewé, et ces deux versions ne concordent pas. « On ne doit pas se limiter à une analyse sommaire visant à déterminer qui a parlé en premier de religion », peut-on lire dans le jugement du Tribunal des droits de la personne (2010 QCTDP 18). « Il faut plutôt procéder à une évaluation réaliste et objective de la totalité de l’interaction (…) tout en ne perdant pas de vue le rapport de force entre les parties. »

Peu importe comment, mais l’information a surgi : M. Atir est musulman. Cette donnée titille la curiosité de l’intervieweuse parce qu’elle a récemment reçu en entrevue un autre candidat musulman, qui lui a révélé que sa religion lui interdisait de travailler pour Loto-Québec ou pour la SAQ. La conseillère en recrutement interroge M. Atir à ce sujet, même si cette question n’a aucun lien avec le poste en géomatique à combler à la Ville. En tant que musulman, pourrait-il travailler pour un employeur dédié aux jeux de hasard ou à la vente d’alcool? 

« L’intervieweuse a posé sa question de bonne foi », explique Me Stéphanie Fournier, une avocate qui représente la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse lorsque des cas de discrimination à l’embauche sont défendus devant les tribunaux. La question déstabilise totalement M. Atir. « Il a senti qu’il était traité différemment des autres candidats. On lui a parlé de quelque chose d’intime, de sa religion, alors qu’il participait à l’entrevue simplement pour faire valoir ses compétences pour l’emploi », ajoute Me Fournier. 

Rapport de force

L’article 18.1 de la Charte des droits et libertés de la personne établit que nul ne peut, dans un formulaire de demande d'emploi ou lors d'une entrevue relative à un emploi, requérir d'une personne des renseignements sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, la situation de handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier à cette situation de handicap. 

Si un employeur questionne un candidat à propos de l’un ou l’autre de ces quatorze motifs de discrimination, cette personne aura le choix de se taire, de mentir ou de dire la vérité. Dans tous les cas, elle en sortira perdante, indique Me Fournier. « C’est le grand dilemme des candidats face à une question discriminatoire », explique-t-elle. Si le candidat révèle, par exemple, son réel état de santé, il renonce du même coup à un droit fondamental. S’il ne dit rien, il donne une mauvaise impression à l’employeur. Et s’il ment, il risque de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, puisque si l’employeur réalise qu’il y a eu une déclaration incomplète ou fausse, il peut être tenté de le congédier pour abus de confiance.

Il faut savoir que la Cour d’appel a défini qu’une fausse déclaration, si elle est reliée à l’un ou l’autre des quatorze motifs de discrimination, ne pourra être reprochée au candidat et ne pourra occasionner une rupture du lien d’emploi, à moins que l’employeur réussisse à démontrer que sa question était justifiée par une aptitude requise par l’emploi offert.

Vous pouvez argumenter que le fait que monsieur soit musulman ou que madame ait révélé être enceinte n’est pas une information qui a conduit à ne pas lui donner l’emploi. Mais ce n’est pas une excuse pertinente aux yeux des tribunaux québécois. 

Prenons un autre cas. Vous recevez en entrevue d’embauche le candidat Ramiro Ramirez (personne fictive). Vous le saluez, l’invitez à s’asseoir et d’entrée de jeu, vous vous informez d’où il vient parce que son nom sonne latino-américain, histoire de briser la glace, d’établir un lien de confiance et de le mettre à l’aise. Très mauvaise idée. Vous venez de discriminer M. Ramirez et l’entrevue n’est même pas encore commencée.

« Le seul fait de poser une question pour détendre l’atmosphère, de bonne foi, ou pour des considérations administratives, afin de profiter de la présence du candidat pour ajouter des informations à son dossier, n’est pas une justification qui passe le test des tribunaux, dit Me Fournier. C’est important de lancer le message aux employeurs qu’ils doivent se responsabiliser et revoir leur canevas d’entrevue pour s’assurer de supprimer tout potentiel discriminatoire. »

Examens médicaux et tests psychosociaux

Les examens et les formulaires médicaux de préembauche sont aussi dans la mire des tribunaux. « La Cour d’appel a reconnu que le seul fait de poser des questions portant sur l’état de santé constitue de la discrimination », révèle Me Fournier. Le fardeau de la preuve, très lourd, repose entièrement sur les épaules de l’employeur (et de son conseiller en ressources humaines), même si l’examen ou le formulaire a été conçu ou est appliqué par un établissement de soins privés. L’employeur devra justifier chacune des questions posées. Il devra démontrer que chaque question a un rapport direct avec les habiletés requises pour le poste convoité. 

Voici quelques-unes des questions discriminatoires que Me Fournier a dénichées dans des formulaires médicaux : Avez-vous déjà eu des tendinites ou des bursites? Avez-vous souvent mal aux pieds? Perdez-vous vos urines en toussant ou en forçant? Vos menstruations sont-elles souvent irrégulières? Combien de jours durent vos menstruations? « Vous n’avez pas commencé à travailler et, déjà, l’employeur détient sur vous des informations très personnelles! », déplore-t-elle. 

Il est à noter que les tests psychométriques, prisés par nombre de conseillers en ressources humaines, ne contreviennent pas nécessairement à la Charte. « Dans la plupart des cas, ces tests ne visent pas à évaluer l’état de santé, mais plutôt des traits de personnalité, explique Me Fournier. Il n’y a pas encore de jugements qui permettent de démontrer que le fait d’être doux, d’être prompt, d’être rapide ou d’être rigide soit englobé par le motif handicap », soit l’un des quatorze motifs de discrimination évoqués par la Charte québécoise. Mais « il n’est pas impossible que leur utilisation révèle l’existence de préjugés et de stéréotypes qui se rattachent à l’un ou l’autre des motifs de discrimination », conclut Me Fournier.

Plaintes reçues par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour discrimination au travail

(1er avril 2018 au 31 mars 2019)

Motifs de discrimination
Nombre de plaintes
Motifs de discrimination : Handicap
Nombre de plaintes : 31
Motifs de discrimination : Antécédents judiciaires
Nombre de plaintes : 23
Motifs de discrimination : Âge
Nombre de plaintes : 14
Motifs de discrimination : Race, couleur, origine ethnique ou nationale
Nombre de plaintes : 11
Motifs de discrimination : Grossesse
Nombre de plaintes : 6
Motifs de discrimination : Sexe
Nombre de plaintes : 3
Motifs de discrimination : Langue
Nombre de plaintes : 3
Motifs de discrimination : Identité ou expression de genre
Nombre de plaintes : 3
Motifs de discrimination : État civil
Nombre de plaintes : 2
Motifs de discrimination : Religion
Nombre de plaintes : 2
Motifs de discrimination : Condition sociale
Nombre de plaintes : 1
Motifs de discrimination : Convictions politiques
Nombre de plaintes : 1
Tous motifs confondus
Nombre de plaintes : 100

Pour terminer, d’autres questions discriminatoires à éviter sont celles, visant les femmes, qui touchent à la grossesse ou à l’intention de procréer. Comme l’explique Me Fournier dans la vidéo qui suit : « Il ne faut pas oublier que c’est les femmes qui peuvent porter les enfants. C’est les femmes qui sont enceintes. Et ce n’est pas aux femmes de porter à elles seules le fardeau économique lié à la grossesse. » Les questions liées à la grossesse ou à l’intention de procréer sont donc à éliminer de vos entrevues et questionnaires d’embauche.

 

Références bibliographiques :


Jack Duhaime

Source : Revue RH, volume 22, numéro 3, juillet/août/septembre 2019.