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Prise de décision : un équilibre entre valeurs personnelles, professionnelles et organisationnelles

Chaque jour, nous devons prendre des décisions, que ce soit dans notre vie personnelle ou professionnelle. Sans pour autant avoir toute l’information en main, nous devons faire des choix. La prise de décision est un phénomène complexe dans lequel interviennent les valeurs personnelles, l’éthique professionnelle et les valeurs organisationnelles.
25 avril 2019
Chantal Bilodeau, CRIA

Nos valeurs personnelles et la diversité générationnelle

Les valeurs personnelles expriment ce qui est important dans la vie d’une personne et sont relativement stables dans le temps. Dans le contexte spécifique d’une organisation, les valeurs d’une personne sont définies par les principes et les croyances qui dictent son comportement et donnent du sens aux situations.

Dans les entreprises contemporaines, la diversité encourage parfois la dissonance des valeurs exprimées au travail. La diversité générationnelle en est un bon exemple. Les représentants de la génération Y (nés entre 1979 et 1994), qui constituent aujourd’hui la plus grande partie de la population active au Québec et au Canada (BMO Gestion de patrimoine, 2017) et qui sont de plus en plus nombreux à occuper des postes importants, voire stratégiques, au sein des organisations, partagent des valeurs différentes de celles des générations précédentes. Les valeurs personnelles et générationnelles des Y incluent souvent l’autonomie, la compétence, l’innovation, la communication naturelle et spontanée, le partage, la reconnaissance existentielle et la conciliation travail-vie personnelle. Pourtant, les postes de dirigeants sont encore souvent occupés par des membres des générations précédant celle des Y, soit les X et les baby-boomers. Leurs valeurs au travail s’expriment davantage par le pouvoir et l’autorité, le statut, la loyauté, la communication structurée et dirigée, de même que la reconnaissance matérielle. La diversité laisse présager un besoin d’ajustement des valeurs partagées au travail (Vandenberghe, 2004). Ainsi, les valeurs personnelles et notre perception de leur adéquation avec notre environnement viendront influencer la prise de décision.

Valeurs professionnelles et éthiques de la profession

Notre champ de compétence ou domaine professionnel peut également affecter notre perception et notre analyse d’une situation. En milieu organisationnel, le responsable des finances sera plus sensible aux résultats escomptés en lien avec le rendement financier de l’entreprise. Le vice-président aux opérations percevra de prime abord les risques et les conséquences sur les résultats et les processus opérationnels. Le professionnel en ressources humaines aura certainement à coeur l’aspect humain de la situation. Chaque personne aura son point de vue professionnel dans le processus de prise de décision.

Dans cette optique, les valeurs personnelles au travail sont renforcées par le domaine de compétence, voire même par les obligations éthiques liées à la profession, et encore davantage lorsqu’il y a affiliation à un ordre professionnel (Yarbrough, Alfred et Martin, 2008).

Pour le membre d’un ordre professionnel, l’obligation éthique est explicite. Le CRHA/ CRIA a le devoir de sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle. Il doit éviter d’accomplir une tâche contraire aux principes de l’exercice de la profession, ou encore de se trouver en situation de conflit d’intérêts. Il doit avoir une conduite irréprochable, ce qui lui impose de faire preuve d’une grande vigilance dans son jugement et dans ses décisions.

S’agit-il alors d’un dilemme éthique? Le dilemme éthique, aussi appelé « conflit de valeurs », est une situation où les valeurs se confrontent et rendent la décision encore plus difficile en raison des conséquences négatives perçues qu’entraînerait la décision sur les gens, tant sur le décideur que sur les personnes en cause et les tierces parties. Dans un tel contexte, l’objectif est de minimiser les pertes et de préserver l’intégrité morale et physique des gens concernés. Il sera alors important de pouvoir nommer les éléments qui sont en jeu et les conséquences ou résultats escomptés pour chacune des parties prenantes. Par exemple : devons-nous choisir entre notre perception d’efficacité et la sécurité du public, entre la réputation et la rentabilité? La réponse peut parfois sembler évidente. Toutefois, en contexte réel, le choix n’est pas toujours aussi clair. En cas de dissonance avec les valeurs de l’organisation, le choc pourrait être ressenti de manière encore plus importante pour la personne qui est membre d’un ordre professionnel.

Les valeurs organisationnelles

Nous avons constaté que les valeurs personnelles influencent le processus de prise de décision des personnes en entreprise. Inversement, la culture organisationnelle, et plus particulièrement les valeurs organisationnelles, influence la prise de décision des personnes au sein de leur organisation. Les valeurs organisationnelles sont définies par l’ensemble des croyances communes partagées par le personnel concernant les moyens d’atteindre les objectifs (Yogamalar et Samuel, 2016). Elles sont établies et communiquées à travers la mission et les objectifs de l’organisation, sa structure, les décisions, les politiques, les procédures, les pratiques de gestion et les différentes actions. Elles devraient normalement être utilisées comme cadre de référence lorsqu’il s’agit de prendre des décisions tant individuellement qu’en équipe au sein d’une organisation.

Toutefois, les valeurs déclarées par l’organisation ne sont pas toujours en réalité celles partagées par tous les employés. La concordance ou la dissonance des valeurs perçues par la personne aura une incidence sur ses décisions puisque les valeurs organisationnelles devraient être utilisées pour établir les critères et leur pondération lors des processus de prise de décision. De cette manière, les inconvénients sont identifiés et priorisés les uns par rapport aux autres en cohérence avec les valeurs organisationnelles.

En conclusion

Un élément favorable à la prise de décision est l’harmonisation des valeurs de l’organisation avec celles des personnes qui la composent en tenant compte de leur diversité culturelle, générationnelle, professionnelle, et de toutes les autres diversités individuelles.

Ainsi, la communication est un élément clé dans le processus de prise de décision. D’une part, elle permet de mieux comprendre les valeurs personnelles et les considérations éthiques et professionnelles des autres, et d’être attentif aux conséquences qu’auront sur eux les décisions et les actions qui en découleront. D’autre part, la communication permet d’établir un dialogue et d’informer les différentes parties prenantes concernées, de près ou de loin, des raisons qui justifient les décisions.

Il est intéressant de constater que dans une étude sur la pérennité des entreprises contemporaines, certains auteurs reconnaissent que celle-ci repose davantage sur les valeurs organisationnelles et les croyances personnelles que sur les forces du marché et le positionnement concurrentiel (Avota, McFadzean et Peiseniece, 2015). De ce fait, améliorer la concordance des valeurs personnelles, professionnelles et organisationnelles n’est pas, ou n’est plus, un luxe pour les entreprises.

 

Références bibliographiques

  • AVOTA, Silvija, Elspeth McFadzean et Liga Peiseniece (2015). « Linking Personal and Organisational Values and Behaviour to Corporate Sustainability: A Conceptual Model ». Journal of Business Management, no 10, p. 124-138.
  • BMO Gestion de patrimoine. (2017). Portez attention aux membres de la génération Y. Ils sont dévoués, instruits et déterminés à réussir.
  • BROMILEY, Philip et Devaki Rau (2010). Risk Taking and Strategic Decision Making. Dans Nutt, Paul C. et David C. Wilson (dir.). Handbook of Decision Making. Hoboken, John Wiley & Sons, p. 306-325.
  • VANDENBERGHE, Christian (2004). « Conserver ses employés productifs : nature du problème et stratégies d'intervention ». Gestion, vol. 29, no 3, p. 64-72.
  • YOGAMALAR, I. et Anand A. Samuel (2016). « Shared Values and Organizational Citizenship Behavior of Generational Cohorts: A Review and Future Directions ». Management: Journal of Contemporary Management Issues, vol. 21, no 2, p. 249-271.
  • YARBROUGH, Susan, Danita Alfred et Pam Martin (2008). « Recruitment and Retention Report. Research Study: Professional Values and Retention ». Nursing Management, vol. 39, no 4, p. 10-18.

Author
Chantal Bilodeau, CRIA Consultante RH Chantal Bilodeau
Chantal Bilodeau, CRIA, est actuellement consultante en gouvernance d’entreprise et en gestion des ressources humaines. Elle œuvre dans le domaine de la gestion et des ressources humaines depuis plus de 30 ans et a occupé des postes de direction et des postes clés de vice-présidente aux ressources humaines et de membre de plusieurs conseils exécutifs. Depuis plusieurs années, elle anime des communautés de pratique auprès de leaders en gestion. Très impliquée dans sa communauté professionnelle, elle a été administratrice, trésorière puis présidente du conseil d’administration de l’Ordre des CRHA entre 2009 et 2015. Elle a participé activement à la création de la Fondation CRHA en tant que présidente et administratrice. Auteure et conférencière, Chantal est titulaire d’un baccalauréat en relations industrielles et d’une maîtrise en relations du travail de l’Université Laval. Elle a cheminé vers des études doctorales à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke.

Source : Revue RH, volume 22, numéro 2, avril/mai/juin 2019.