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Santé mentale au travail : si le travail rend malade, c’est lui qu’il faut soigner

D’après un sondage mené en 2018 par Morneau Shepell auprès de 1591 Canadiens, 35 % des répondants se disaient plus stressés que cinq ans plus tôt. Or, le stress entraîne une perte de motivation et une hausse de l’absentéisme qui se concrétisent par une baisse de productivité.

23 janvier 2020
Valérie Levée

Des entreprises tentent bien d’y remédier grâce à des programmes de bien-être au travail, mais ces activités axées uniquement sur la personne feraient fausse route. Si les employés sont malades, c’est aussi parce que leur milieu de travail est malsain. Il faut donc le soigner aussi.

Un mal en expansion

« L’augmentation du stress au travail est une tendance mondiale », dit Jean-Pierre Brun, CRHA, directeur de la Chaire en gestion de la santé organisationnelle et de la sécurité du travail à l’Université Laval. De fait, le stress se généralise au sein des organisations. Les jeunes n’y sont plus immunisés et les cadres, qui étaient encore épargnés il y a une décennie, sont maintenant touchés.

Le sondage de Morneau Shepell en témoigne : 27 % des employés et 34 % des gestionnaires rapportent un stress extrême, à tel point que 20 % d’entre eux songent à démissionner.

De son côté, Jade Beaudin, cheffe de projets, Optimisation et transformation SST chez Hydro-Québec, a enquêté auprès de 100 gestionnaires, ce qui lui a permis de relever plusieurs symptômes de stress, dont la baisse de l’engagement, la hausse de l’absentéisme et les reports de vacances. « Ils repoussent leurs vacances ou ne les prennent pas à cause de leur charge de travail, mais aussi par solidarité envers leurs collègues, eux-mêmes débordés, qu’ils ne veulent pas surcharger davantage en s’absentant », rapporte-t-elle.

Pourcentage des travailleurs vivant un stress extrême :

  • Employés : 27 %
  • Gestionnaires : 34 %

(Source : Morneau Shepell, 2018)

Le problème, souligne Michèle Parent, CRHA, directrice des services-conseils en santé chez Morneau Shepell, c’est que les gestionnaires sont moins enclins que les employés à consulter les services de santé lorsqu’ils souffrent d’anxiété ou de dépression. Or, les gestionnaires doivent « prendre soin d’eux-mêmes s’ils veulent être en mesure de prendre soin de leurs employés », commente-t-elle.

Aux sources du mal

La charge de travail qui pèse sur les employés, quels qu’ils soient, est assurément un facteur de stress. Mais Michèle Parent pointe aussi du doigt le manque de reconnaissance, alors que « près de 30 % des gestionnaires et 40 % des employés disent ne pas se sentir valorisés ». Il en découle un sentiment d’isolement qui, encore une fois, peut ouvrir la porte au stress.

La situation est doublement problématique, car un employé isolé n’a guère de collègues sur qui compter pour demander de l’aide. Et il serait mal avisé de voir dans les aires ouvertes un remède à l’isolement : le manque d’intimité et l’impression de surveillance constante s’avèrent tout aussi stressants.

Chez Hydro-Québec, l’enquête montre que les trois principaux facteurs de stress sont la charge de travail, la fréquence et la rapidité des changements organisationnels de même que la confusion des rôles que génèrent parfois ces changements. Cela dit, les gestionnaires qui ont participé à l’enquête ont aussi parlé d’hyperconnexion, d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, de problèmes de communication, de manque de soutien et de climat d’équipe.

Inversement, pouvoir compter sur de l’aide et se sentir valorisé se retrouvent parmi les facteurs qui protègent les employés du stress.

Priorité : santé mentale

Les professionnels RH ont bien pris acte de l’augmentation du stress en milieu de travail et de ses conséquences sur la productivité d’une organisation. Avec l’objectif sous-jacent de réduire l’absentéisme et d’améliorer l’engagement et la fidélisation des employés, 48 % des dirigeants des ressources humaines interrogés en 2018 ont fait de la santé mentale des employés leur priorité en 2019, selon un autre sondage réalisé par Morneau Shepell dans 356 organisations canadiennes.

Ces dirigeants des ressources humaines disent aussi se heurter au manque de connaissances tant des gestionnaires, qui ne savent pas comment gérer les problèmes de santé mentale de leurs équipes, que des employés eux-mêmes, qui ne profitent pas des ressources offertes.

Des approches peu concluantes

Certains dirigeants seront sans doute tentés de mettre en place des programmes d’aide aux employés, et il existe une pléthore de livres, de guides et de directives dont ils peuvent s’inspirer. Ils ne seront d’ailleurs pas les premiers à le faire. « On a mis sur pied des programmes d’aide aux employés, commente Jean-Pierre Brun. On a fait toutes sortes d’activités sur le bien-être et sur les saines habitudes de vie, ce que j’appelle de manière provocatrice les approches pomme-carotte-bicycle. Mais il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que ça ne marche pas. »

Nuançant ses propos, celui qui est aussi consultant associé d’Empreinte Humaine, un cabinet spécialisé dans la qualité de vie et les risques psychosociaux au travail, estime que les massages ou le sport sont bénéfiques, mais que les employés qui participent à ces activités sont très souvent déjà en bonne santé. Par conséquent, « quand des approches de pleine conscience améliorent la santé mentale, c’est dans les entreprises où l’on contrôle déjà la charge de travail et où les employés ont de l’autonomie et de la latitude décisionnelle. On revient donc aux facteurs qui sont en amont de la santé mentale », précise Jean-Pierre Brun.

Symptômes de stress chez les travailleurs :

  • Perte de motivation
  • Baisse de l’engagement
  • Hausse de l’absentéisme
  • Report des vacances

Assainir le milieu de travail

Même si les facteurs de risque identifiés sont d’ordre organisationnel, ces approches misent plutôt sur les personnes. Et c’est une erreur. « En voulant parler de santé psychologique, on s’est pris au piège de parler de santé des personnes. On devrait davantage parler de santé organisationnelle », explique Jean-Pierre Brun, précisant qu’une organisation saine tient compte de la santé mentale en planifiant tous ses projets, qu’on parle d’un changement de direction, de procédures ou encore d’un changement technologique.

Conseillée par Empreinte Humaine, la division TransÉnergie d’Hydro-Québec a appliqué cette approche. « Il y a beaucoup d’initiatives diverses en cours et on ne pouvait pas en rajouter sur la pile, dit Jade Beaudin. On a préféré ajouter la santé psychologique à tout ce qu’on fait, comme les formations ou l’intégration des nouveaux employés. »

Par exemple, puisque le manque de soutien et de reconnaissance est identifié comme un facteur de stress, et en partant du principe que l’exemple doit venir d’en haut, Hydro-Québec a entrepris de former la haute direction et les directeurs à mieux soutenir leurs gestionnaires, créant un effet domino. Il est en effet attendu que ces derniers devraient à leur tour assurer un meilleur soutien auprès des équipes qu’ils dirigent.

Une prochaine enquête nous dira si la démarche a porté ses fruits.

 

Références bibliographiques


Valérie Levée

Source : Revue RH, volume 22, numéro Hors-série