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La culture de la rétroaction : une pratique émergente au cœur de la gestion des équipes

L’innovation et la performance sont au cœur du discours de toutes les entreprises. Mais comment y arrivent les équipes les plus innovatrices et les plus performantes? Plusieurs recherches démontrent que le sentiment de sécurité psychologique est un indicateur majeur que l’on retrouve au sein de ces équipes.

23 janvier 2020
Stéphanie Dufour, CRHA

Le projet de recherche Aristote mené par Google en 2012 a notamment démontré que la liberté de s’exprimer, expérimenter et prendre des risques sans avoir peur de se faire réprimander cultive le sentiment de sécurité psychologique. Cela permet aussi d’offrir des conditions susceptibles de favoriser l’apprentissage et le développement professionnel en situation de travail. La rétroaction prend donc tout son sens pour favoriser de telles conditions.

L’instauration d’une culture de la rétroaction est sans doute l’une des pratiques les plus émergentes auprès des équipes visant la performance. Dans son article « Psychological Safety and Learning Behavior in Work Teams » (1999), Amy Edmondson, auteure et professeure à la Harvard Business School, a observé comment les entreprises se préoccupant du sentiment de sécurité psychologique de leurs employés obtiennent de meilleurs résultats. La sécurité psychologique ne consiste pas à être gentil, dit-elle. Il s’agit de faire des commentaires francs, d’admettre ouvertement les erreurs et d’apprendre les uns des autres. Amy Edmondson soutient que ce type de culture organisationnelle est de plus en plus important dans l’économie moderne.

Regardons les choses en face. Les rétroactions ébranlent notre estime de soi et notre ego et sont parfois même perçues comme blessantes. Par définition, elles nous envoient le message que nous avons encore du travail à faire quand nous avons parfois déjà investi beaucoup de temps et d’efforts. La rétroaction est pourtant un levier important et essentiel du développement professionnel et du renforcement des relations. Qu’ils proviennent de notre patron, d’un collègue, d’un client ou même d’un sondage anonyme, il est essentiel d’être réceptif aux commentaires. Une personne qui se ferme à ces échanges refuse du coup de grandir.

La rétroaction est bénéfique tant pour celui qui la reçoit que pour celui qui la donne dans la mesure où elle est donnée dans les règles de l’art. Il s’agit cependant d’un changement important d’attitude de gestion qui mérite qu’on s’y prépare. Si cela peut paraître simple, l’instauration d’une culture de la rétroaction demande tout de même une planification, et il ne faut surtout pas lésiner sur la formation des collaborateurs.

La rétroaction est un outil qui doit prendre un caractère positif ou correctif, mais qui vise à faire progresser un tiers par une communication bienveillante sans le blesser émotionnellement ni le critiquer. Il est donc primordial de développer son habileté à donner des rétroactions. Si nous ne maîtrisons pas les principes de ces échanges, nous risquons de connaître un échec dans l’instauration d’une culture de la rétroaction.

Donner une rétroaction est donc un art qui s’apprend. Nous sommes submergés par l’offre de formation sur le sujet. Il est facile de s’y prêter à condition de choisir la bonne formation ou le bon coach et de s’exercer par la suite.

Mais qu’en est-il quand vient le temps de recevoir la rétroaction?

Nous disons tous vouloir les rétroactions d’autrui pour nous améliorer, mais dans les faits, ce n’est pas toujours aussi facile de les recevoir. Plus nous avons besoin de ces rétroactions, plus un mécanisme de fermeture s’installe inconsciemment. Ce mécanisme inconscient qui nous amène à fermer la porte à l’autre se traduit souvent par un comportement d’évitement. Par exemple, on détourne à tort la conversation ou l'on fait en sorte qu’il ne reste plus de temps pour en discuter. Dommage, car tôt ou tard, nous y serons fort probablement confrontés de toute façon. Nous perdons alors une occasion importante d’approfondir la conversation portant sur des éléments nécessaires pour notre développement avec notre patron, notre collègue ou notre client. La rétroaction est en soi un cadeau que l’autre nous fait. Bien qu’elle soit parfois communiquée maladroitement, il faut essentiellement s’attarder au réel contenu plutôt qu’au contenant (la façon dont elle nous est communiquée) et savoir gérer ce contenu de façon constructive.

Le saviez-vous?

Lorsqu’un employé demande une rétroaction au lieu d’attendre qu’on la lui donne, il ressent moins de stress et son rythme cardiaque diminue de 50 %.

Comment bien recevoir la rétroaction?

Quelques trucs sont essentiels pour nous aider à recevoir la rétroaction et en tirer profit en tant qu’individu et en tant qu’équipe.

  1. Écouter activement

    Il est difficile de recevoir des commentaires, même quand ils sont tout à fait exacts. Au moment où l’on entend les mots, le battement de notre cœur s’accélère et notre esprit commence à courir, d’abord à la recherche d’une explication pour se défendre puis d’une réplique pour rationaliser les actions en question. Ce réflexe crée un blocage et nous empêche de bien comprendre et de bien interpréter ce que l’autre nous communique. Laisser l’autre partager ses commentaires sans l’interrompre et l’écouter attentivement est donc la meilleure des attitudes à adopter, en premier lieu pour être certain de ne rien échapper.

  2. Questionner pour bien comprendre

    Une fois que l’autre a terminé de partager ses commentaires, il est pertinent de passer en revue la conversation pour éviter les mauvaises interprétations ainsi que pour bien saisir ce que l’autre attend de nous et tente de nous partager. Il ne faut pas hésiter à répéter ce que nous avons entendu. Par exemple : « Je comprends que le travail que j’ai fait n’est pas tout à fait ce que vous attendiez. C’est bien cela? » Il faut éviter d’analyser ou de remettre en question les propos de l’autre à ce stade-ci. Il faut aussi essayer de comprendre s’il s’agit d’un problème isolé ou récurrent. Par exemple : « Pourriez-vous me donner des exemples concrets de ce que vous avancez pour me permettre de bien comprendre? Que souhaiteriez-vous pour que je gère cela différemment? Si je faisais telle chose, serait-ce acceptable pour vous? »

  3. Remercier l’autre

    Ceci est probablement l’action qui demande le plus d’humilité. Exprimer son appréciation ne signifie pas nécessairement que nous sommes d’accord avec l’évaluation ou les commentaires que nous recevons, mais cela montre que nous reconnaissons les efforts que l’autre a déployés pour partager ses pensées avec nous. Il ne faut pas négliger cette intention. Dans l’optique où nous désirons nous ouvrir aux rétroactions pour mieux grandir, il faut que l’autre sache que nous sommes ouverts à ce genre de partage.

  4. Laisser place à la réflexion

    Au terme de la conversation, nous devrions avoir compris la perception de l’autre, que nous soyons d’accord avec lui ou non. Cela dit, s’il s’agit d’un problème plus vaste ou de quelque chose de délicat à traiter, il faut s’accorder du temps pour réfléchir aux actions à mener. Nous pouvons demander une réunion de suivi afin de poser plus de questions et d’obtenir un accord sur les prochaines étapes. Cela permet d’avoir le temps de traiter les commentaires, de demander conseil à d’autres personnes et de réfléchir à des solutions.

Les rétroactions chez Microsoft :

  • 90 % des employés désirent en recevoir
  • 25 % des employés en reçoivent régulièrement

(Source : Dimlow, 2018)

Rechercher la rétroaction

Les rencontres entre employé et supérieur immédiat deviennent, pour certains, un élément anxiogène important, surtout lorsque l’art de donner une rétroaction n’est pas maîtrisé. Les chercheurs du NeuroLeadership Institute ont conclu au terme d’une étude que les modèles traditionnels de transmission des rétroactions devaient être repensés (West et al., 2018). Selon eux, solliciter des rétroactions plutôt que de les attendre ou de les ignorer est une habitude à développer. Cette pratique, lorsqu’elle est encouragée dans le milieu de travail, rehausse le sentiment de sécurité psychologique. Selon cette même étude, lorsqu’un employé demande une rétroaction au lieu d’attendre qu’on la lui donne, il ressent moins de stress et son rythme cardiaque diminue de 50 %. Le fait de solliciter une rétroaction permet de nous préparer et de la recevoir au moment où nous sommes prêts. C’est le moyen le plus sûr d’avancer dans la bonne direction et d’atteindre nos objectifs. Les professionnels qui sollicitent efficacement les rétroactions et qui appliquent les commentaires avec sagesse finissent inévitablement par devenir les plus performants dans leur domaine.

En résumé, la rétroaction est une pratique émergente permettant une progression rapide et en continu dans la mesure où nous lui accordons l’attention nécessaire. Elle est souvent le seul moyen de connaître nos faiblesses et de nous amener rapidement à nous améliorer. Lorsque nous sommes sur la défensive, nous risquons de passer à côté de cette information si importante pour notre progrès. N’oubliez pas que les rétroactions ne sont pas faciles à donner et que ce n’est certainement pas facile de les recevoir, mais elles nous aideront, maintenant et à long terme, à atteindre notre objectif d’innovation et de rendement. Notre façon de gérer la rétroaction démontre notre maturité, notre ouverture et notre volonté de grandir et de nous développer à un niveau supérieur, tant individuellement qu’en équipe.

 

Références bibliographiques

  • DMONDSON, Amy (Juin 1999). « Psychological Safety and Learning Behavior in Work Teams ». Administrative Science Quarterly, vol. 44, no 2, p. 350-383.
  • DIMLOW, Kristen Roby (1er mai 2018). « A Fresh Perspective on Feedback ». LinkedIn.
  • WEST, Tessa, et al. (2018). Asked for vs. Unasked for Feedback. An Experimental Study. NeuroLeadership Institute.

Stéphanie Dufour, CRHA

Source : Revue RH, volume 22, numéro Hors-série