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Agilité : cinq principes pour rendre la fonction RH plus agile

Pour s’adapter à un environnement de plus en plus volatil, incertain, complexe et ambigu (VICA), la fonction RH doit accroître son agilité. Pour y arriver, les organisations gagneraient à revoir leurs pratiques de prestation de services RH et de développement organisationnel en fonction de cinq principes directeurs. Adaptés à la réalité et aux besoins de l’organisation, ces principes ont le potentiel d’accroître la valeur ajoutée des initiatives RH.

23 janvier 2020
Dominic Lapointe

Face à une pression accrue pour s’adapter à un environnement volatil, incertain, complexe et ambigu (VICA), les organisations tendent de plus en plus à recourir à un mode de fonctionnement agile. Un sondage, mené par Deloitte en 2017 auprès de plus de 10 000 compagnies et leaders RH dans plus de 60 pays, a montré que presque tous les répondants (94 %) rapportent que l’agilité et la collaboration sont critiques pour le succès de leur organisation.

Depuis, nous voyons l’émergence d’un nouveau paradigme, où les principes généraux de l’agilité développés en TI commencent à être appliqués à la fonction RH, particulièrement à travers une refonte du processus de gestion du rendement. Cependant, rares sont les organisations qui vont remettre en question l’ensemble de leurs processus et façons de faire en RH à partir d’une lunette agile.

Un fonctionnement plus agile pour s’adapter

La philosophie agile provient du domaine des technologies de l’information. En 2001, 17 développeurs de logiciels se sont rencontrés pour partager des idées afin d’améliorer leur approche en développement. Leur constat était que leur approche fonctionnait bien dans un environnement stable et prévisible, mais était moins adaptée à un contexte où les demandes changent rapidement et où plusieurs imprévus peuvent survenir. Ils ont alors proposé une liste de principes qui, lorsqu’ils sont appliqués, permettent d’être plus performant dans un environnement dynamique et incertain (voir le Manifesto for Agile Software Development).

En nous inspirant de ces principes et en les adaptant à la fonction RH, nous vous proposons une liste de principes d’agilité RH qui, ensemble, contribueront à la construction d’une fonction RH qui sera plus adaptée à un environnement VICA. Plus qu’une recette, ces principes représentent une philosophie qui sera pertinente dans toutes les sortes d’organisations. Sa mise en œuvre devra cependant être ajustée à la réalité de chacune d’elles.

Pour ce faire, on gagnerait à réviser deux types d’activités à la lumière de ces principes : les activités de prestation de services et les activités de développement organisationnel. D’une part, les activités de prestation de services représentent l’ensemble des activités qui sont effectuées selon un processus et un cycle prédéterminés (p. ex. : gestion du rendement, recrutement, intégration). Dans ce contexte, il s’agit de réviser le processus en tant que tel (c’est-à-dire le quoi). D’autre part, les activités de développement organisationnel représentent les activités qui visent à améliorer ou à développer un processus (p. ex. : révision ou création du processus de gestion du rendement). Dans ce contexte, il s’agit de réviser comment le processus sera créé ou amélioré (à savoir le comment).

Principe 1 : Favoriser les cycles et les initiatives de courte durée

Concernant la révision des activités de prestation de services, ce principe stipule qu’il est préférable de réduire le temps entre les différents cycles d’un programme ou processus afin de permettre des rajustements plus rapides et en continu. C’est le principe derrière la tendance récente des organisations à délaisser le processus d’établissement et de suivi des objectifs de performance annuels pour migrer vers un système où plusieurs rencontres (check-ins) sont ajoutées durant l’année. Ces rencontres permettent ainsi au gestionnaire et à l’employé d’ajuster les objectifs, de cibler les enjeux survenus et d’établir un plan d’action pour s’adapter. Ce principe peut par ailleurs s’appliquer à d’autres contextes. C’est aussi le principe sous-jacent à l’initiative d’un dirigeant principal des ressources humaines d’une compagnie de développement de logiciels qui effectue des revues des talents et un rajustement des salaires chaque mois pour s’ajuster rapidement à la concurrence et retenir les meilleurs talents (Bersin, 2018).

En ce qui a trait à la révision des activités de développement organisationnel, ce principe stipule qu’il est préférable de favoriser les initiatives à plus petite échelle et les projets pilotes plutôt que le déploiement à grande échelle d’initiatives à long terme minutieusement planifiées. Ce faisant, l’expérimentation, l’action et les améliorations en cours de route sont favorisées. Par exemple, lorsqu’elle a développé son programme de gestion du rendement, une compagnie a développé trois versions du programme, qu’elle a testé avec différentes équipes. Chacun de ces trois pilotes utilisait une manière différente d’établir les objectifs et d’évaluer leur atteinte. En conclusion, leur conception quasi expérimentale a permis de retenir ce qui correspondait le plus à leurs besoins (Bersin, 2019).

Principe 2 : Favoriser la décentralisation et la responsabilisation de l’équipe

L’idée derrière ce principe est de ne plus percevoir la fonction RH comme un grand navire de guerre qui sait s’attaquer avec succès à de grands défis prévisibles mais qui pourrait avoir moins de célérité pour changer de cap lorsqu’un changement survient sur le champ de bataille. L’idée est plutôt de percevoir la fonction RH comme une flotte de petits navires qui peut s’attaquer simultanément à des défis différents et qui sont capables de changer rapidement de cap lorsqu’un changement survient sur le champ de bataille. En d’autres termes, bien qu’une vision RH soit requise, l’idée est de maximiser la latitude décisionnelle d’équipes semi-autonomes afin qu’elles puissent rapidement entreprendre des actions en réponse aux enjeux qu’elles rencontrent dans leur quotidien et effectuer les rajustements nécessaires.

Par exemple, une banque européenne s’est dotée d’une structure RH agile où 50 % des professionnels RH appartiennent à un bassin de consultants internes possédant différentes expertises. Ceux-ci se regroupent en une équipe semi-autonome et multidisciplinaire pour répondre à une priorité de la banque et se dissocient lorsque la priorité est traitée, pour constituer ensuite une nouvelle équipe qui œuvrera sur une autre priorité (Gandhi et Paik, 2019).

Dans une petite équipe RH internationale, cinq professionnels RH consacrent de 50 % à 70 % de leur temps aux tâches opérationnelles locales. Le reste du temps, l’équipe développe des processus et des pratiques RH pouvant faire bénéficier l’organisation en utilisant une méthode Scrum. Trois demi-journées par semaine, ces professionnels se synchronisent, collaborent sur un ou deux projets à la fois, les déploient et abordent la prochaine priorité RH (Hellström, 2019).

Principe 3 : Privilégier les rétroactions et les rajustements en continu

Ce principe stipule qu’il faut maximiser l’obtention de rétroactions et les rajustements effectués lors de la prestation de services ou du développement d’un projet. Par exemple, dans son programme de gestion de la relève, Pepsi offre des mises à jour trimestrielles sur le développement des relèves identifiées afin de retarder, au besoin, les nominations potentielles, et ce, pour qu’elles aient plus de chances de survenir lorsque la relève sera prête à assumer ce rôle (Cappelli et Tavis, 2018).

Dans la création de son programme de gestion du rendement, une compagnie du secteur des technologies s’est appuyée sur quatre cycles de rétroaction. Des professionnels RH ont d’abord fait une première ébauche du programme en collaboration avec des dirigeants et des gestionnaires. Ils ont ensuite créé une seconde version, qu’ils ont testée en « démo » auprès de 500 employés avant de récolter leurs commentaires sur les principes sous-jacents au programme. (Par exemple : ils amenaient les employés à offrir de la rétroaction à partir du principe que l’individu est responsable de son plan de développement.) Après avoir effectué des ajustements, ils ont déployé en projet pilote une troisième version dans deux unités de l’organisation. Pour terminer, ils ont utilisé les résultats du projet pilote pour effectuer les rajustements finaux et déployer le programme dans l’ensemble de l’organisation (Hellström, 2019).

Sondage Deloitte, 2017 :

  • 94 % des répondants considèrent que l’agilité est hautement importante
  • 6 % des répondants se considèrent hautement agiles
  • 14 % des répondants considèrent que les méthodes traditionnelles les rendent hautement efficaces
  • 73 % des répondants expérimentent aujourd’hui avec les méthodes agiles

Principe 4 : Favoriser la création de valeur pour les employés et les clients internes

Ce principe propose qu’on devienne « obsédés » par la création de valeur pour les employés et les clients internes, de manière à ce que ce soit la valeur première qui guide les initiatives RH. Le fait d’intégrer cette valeur et de la mettre au cœur des initiatives RH permet :

  • d’éviter la mise en œuvre de processus ou de façons de faire qui pourraient répondre aux besoins des RH, mais qui seraient incohérents avec les besoins et la réalité des employés et des clients;
  • de cibler plus facilement les opportunités d’être en harmonie avec ces derniers;
  • de s’assurer d’investir le temps et les ressources nécessaires sur ce qui importe le plus.

Par exemple, Regeneron Pharmaceuticals dispose de quatre processus différents de gestion du rendement : un pour les scientifiques qui développent les nouveaux médicaments, un pour les vendeurs, un pour le groupe qui s’occupe de l’approvisionnement et un pour les fonctions corporatives. Leur rendement n’est pas évalué selon les mêmes cycles ou de la même manière, car l’organisation s’est rendu compte que ses employés travaillent avec des calendriers différents et qu’ils ont besoin de différents types de rétroactions pour accroître leur rendement (Cappelli et Tavis, 2018). Dans ce cas, le besoin de normaliser le processus de gestion du rendement a été subordonné au besoin de créer un processus cohérent avec les besoins et la réalité de ceux qui allaient l’utiliser.

Dans un autre exemple, Digital Ocean, une entreprise en démarrage offrant des logiciels, désirait augmenter la capacité de ses gestionnaires à offrir des rétroactions et à être de meilleurs coachs. Plutôt que de leur proposer des ateliers et des formations qui se seraient ajoutés à leur charge de travail, l’entreprise a engagé à temps plein un coach professionnel qui les aide sur le terrain et leur offre un accompagnement qui s’insère dans l’exécution de leurs tâches quotidiennes (Cappelli et Tavis, 2018).

Principe 5 : Privilégier le codesign et la collaboration

Ce principe propose de renforcer le plus possible les contributions collectives où les initiatives RH seront menées par des équipes multidisciplinaires et multiniveaux et où le client interne sera un contributeur de premier plan. Ce principe a, par exemple, été utilisé par une organisation pour bâtir son programme d’apprentissage et de développement. Dans cette organisation, le gestionnaire crée avec les membres de son équipe une liste de thèmes d’apprentissage qu’ils jugent importants, puis ils les priorisent ensemble. Ils apprennent sur chacun de ces thèmes durant des sprints d’un mois, au cours desquels ils ont régulièrement des échanges pour approfondir leurs apprentissages et leur manière de mieux apprendre ensemble (Hellström, 2019).

Une autre compagnie a utilisé ce principe dans le développement de sa marque employeur. Elle s’est en effet appuyée sur un processus de création constitué de six itérations auprès des 600 employés de l’organisation. Bien que ce processus ait pris plusieurs mois, tous ceux pour qui il était important de se prononcer ont pu se manifester (Hellström, 2019). La marque employeur obtenue est ainsi cohérente avec la perspective des employés et l’ADN réel de l’organisation.

Un avantage dans le bon contexte

Dans un contexte VICA, l’application de ces cinq principes a le potentiel d’être un puissant levier permettant de s’assurer qu’on travaille sur ce qui est important, d’engager les clients internes et les employés dans les initiatives, d’accroître le sentiment d’autonomie des professionnels RH et de maximiser les chances de succès des initiatives RH. Ce sont par ailleurs des principes qui auront du succès lorsqu’ils seront adaptés à la réalité de votre organisation. La clé sera de déterminer comment chacun des principes peut s’appliquer (ou non) dans vos façons de faire et de commencer leur mise en œuvre par de petites initiatives.


Références bibliographiques


Dominic Lapointe

Source : Revue RH, volume 22, numéro Hors-série