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Environnement de travail : Santé, solidarité, responsabilité sociétale et résilience

Cet article met en scène les responsables de différents services d’une organisation, qui se penchent sur le cas d’un ex-employé prometteur afin de comprendre pourquoi il a démissionné peu après son embauche, contre toutes attentes.
22 octobre 2018
Isabelle Mahy

Voyons comment le fait, pour des responsables, de réfléchir ensemble sur le vécu des humains dans l’organisation permet de trouver des solutions menant à une amélioration concrète de l’environnement de travail.

Lundi matin, c’est la toute première rencontre du nouveau Cercle RH-Santé et résilience de l’entre-prise qui vient d’adopter un mode de gouvernance holacratique. Ce cercle rassemble la directrice de la Santé et solidarité, la directrice de la Transformation organisationnelle et le directeur de la Responsabilité sociétale. Se joint au groupe le responsable du Cercle des gestionnaires, qui arrive avec un problème qu’il soumet au groupe afin de pouvoir apprendre à mieux équilibrer le bien-être des personnes et des équipes avec le rendement. Il rapportera dans le Cercle des gestionnaires les apprentissages qui seront faits dans le Cercle RH-Santé et résilience. Un membre du Cercle des gestionnaires lui a rapporté qu’un jeune diplômé, qui avait été embauché dix mois auparavant, a démissionné il y a huit semaines, malgré ce qui lui avait été présenté par son responsable hiérarchique comme un avenir possible dans l’entreprise. Le directeur de la Responsabilité sociétale lui demande si un entretien de départ a été mené. Apparemment, cela n’a pas pu être fait, sans qu’on sache pourquoi. La directrice de la Santé et solidarité annonce alors qu’elle va vérifier si cet employé avait des ennuis de santé ou des soucis familiaux ou personnels, ou si c’était le cas de son gestionnaire. La directrice de la Transformation organisationnelle enchaîne en disant qu’il faut comprendre le rôle que jouait le jeune homme, les responsabilités qui lui avaient été confiées par son patron, etc. On se met rapidement d’accord pour recueillir les informations et, le lundi suivant, le portrait qui apparaît laisse chacun songeur.

À peine diplômé d’une université européenne réputée, le jeune homme recruté par l’entreprise a déjà plusieurs stages et emplois étudiants à son actif quand il arrive en poste. Il parle quatre langues. Il est ambitieux, curieux, doué, volontaire, très autonome. Il est surtout avide d’apprendre et de progresser. Il est toujours volontaire pour s’engager dans les projets les plus innovateurs. Il a une grande conscience sociale et ne veut pas perdre son temps. Il avait soumis des idées alliant rendement et vocation sociale, mais elles n’avaient pas été retenues par son patron qui le trouvait impatient et trop enclin à remettre ses décisions en question. La directrice de la Solidarité informe le groupe que, selon son dossier, le jeune homme avait demandé à quelques reprises de pouvoir suivre des formations, ce qui lui avait été refusé. Il avait par la suite demandé de prendre du temps de ressourcement. Son patron avait refusé. Il avait alors demandé un congé sans solde. Même réponse. « De quoi s’occupait-il? », demande alors le directeur de la Responsabilité sociétale. « Il travaillait dans ce qu’on appelle aujourd’hui le Lab d’innovation de nos produits. Il assurait les liens avec les clients ». La situation semble claire : il y avait probablement eu une erreur. Mais était-ce vraiment le cas? « Il s’avère que le gestionnaire en question est en congé de maladie depuis un mois. Et il y a plusieurs notes plus anciennes à son dossier qui ont trait au stress et à la dépression. Un de ses collègues m’a dit que son travail n’a plus de sens pour lui. Il le lui aurait confié. »

Ce matin-là, alors que 2020 est à nos portes, le défi de la mission du Cercle RH-Santé et résilience est devenu très concret : que pouvait-on apprendre de ces événements en tant qu’organisation, sur le plan de la culture et des processus de gestion, des modalités de recrutement et de suivi, de l’accompagnement des gestionnaires et de celui des employés? Comment l’organisation pouvait-elle assumer ses responsabilités tout en prévenant les dommages? Comment pouvait-on prendre soin des personnes tout autant que des projets et des résultats? Comment allait-on relever ces défis?

Pour le savoir, regardons comment se portent les entreprises nord-américaines. Selon Deloitte (« 2018 Global Human Capital Trends », 2018), le mieux-être est déjà ce à quoi les entreprises accordent le plus d’importance, ce qui permet de croire que les êtres humains dans les organisations commencent à être attentifs les uns aux autres, ce qui est rassurant. Mais pour que des erreurs comme celles qui sont illustrées plus haut cessent de se produire, il faut que cette attention à l’autre devienne une dimension de la culture organisationnelle dont on fait la promotion et qu’elle soit encouragée concrètement. Selon Norberts Erts, la première des dix grandes tendances en matière de RH pour 2018 aux États-Unis est l’importance donnée au besoin de comprendre les employés, leurs désirs, leurs besoins, leurs potentiels et leur recherche d’une expérience de travail sur mesure (« HR Trends to Watch Out for in 2018! », Cake HR, 6 mai 2018). Les employeurs gagneraient à développer ce talent afin de réussir à prendre soin de leurs employés, surtout les plus jeunes, car ils ne semblent pas très doués en la matière, selon Human Resources Today. Ce sont toutefois tous les employés, cadres y compris, qui sont touchés par la fragmentation du travail, les transitions multiples entre les tâches, le parallélisme et l’affaiblissement du sentiment de continuité (Mircea Vultur, « Le développement technologique et l’avenir du travail », HuffPost Québec, 1er mai 2018). Cet affaiblissement de la continuité affecte le sentiment d’accomplissement et peut entraîner une perte de sens. Le besoin de socialiser, de partager, d’être écouté et compris par ses proches, sa famille, sa communauté, s’en trouve d’autant plus nécessaire, alors que l’isolement et le stress s’accroissent.

L’entreprise reconnaît aujourd’hui qu’elle a avantage à contribuer à l’amélioration de la santé de ses employés en faisant la promotion de saines habitudes de vie, car cela réduit les coûts de santé. Mais agir sur ces comportements n’est pas suffisant. En effet, Goh, Pfeffer et Zenios (« Workplace Stressors & Health Outcomes : Health Policy for the Workplace », Behavioral Science & Policy) montrent que pour que la santé des employés s’améliore de manière efficace, l’emploi qui induit du stress doit être reconfiguré et les pratiques qui contribuent à générer le stress sur les lieux de travail doivent être réduites ou éliminées. De même, dans leur méta-analyse de près de 300 recherches, ces chercheurs ajoutent que les organisations devraient se doter d’un tableau de bord de l’état de leur environnement de travail en évaluant la prévalence des facteurs de stress qui sont à l’oeuvre. De ce fait, pour y parvenir, les employeurs devraient mesurer dans le temps, en parallèle, les pratiques managériales, l’environnement de travail et la santé des employés. Ceci permettrait aux employeurs d’évaluer l’efficacité de leurs interventions à partir des mesures fournies en rétroaction par leurs employés.

C’est à partir des apprentissages de ce premier cas que le Cercle RH-Santé et résilience a commencé à documenter son tableau de bord. Ses membres ont aussi amorcé une réflexion sur les pratiques RH et sur les moyens de réenchanter le monde du travail. Les apprentissages ne font que commencer.

Références bibliographiques


Isabelle Mahy

Source : Revue RH, volume 21, numéro 4, octobre/novembre/décembre 2018