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Reconnaissance non monétaire : la dure réalité

Dans le but de porter un message crédible dans la communauté d’affaires et de solidement soutenir la reconnaissance dans nos entreprises, il est pertinent de départager les impacts financiers démontrés des concepts intuitifs, tout comme il est requis, pour que ça soit vraiment utile pour les gestionnaires, de maîtriser les subtilités de la reconnaissance afin de proposer de vraies solutions.

1 août 2018
Annie Boilard, CRHA, Distinction Fellow | Sylvie Trudel, CRHA

C'est payant pour une entreprise d’avoir des employés qui se sentent appréciés de leurs supérieurs et de leurs pairs. Parce qu’elle incite chaque individu à donner le meilleur de lui-même, la reconnaissance nourrit la productivité et assure de meilleurs résultats financiers aux entreprises. Vraiment? Discutable! Les études qui supportent cette affirmation sont… discrètes. Alors, que sait-on vraiment? Que peut-on affirmer avec certitude?

L’impact financier de la reconnaissance

L’impact financier positif de la mobilisation des employés a déjà été observée. Selon les statistiques d’Aon, chez les entreprises qui ont reçu le titre Employeur de choix :

  • le taux de roulement est 33 % moins élevé que la moyenne;
  • les ventes sont plus élevées de 6 %;
  • les bénéfices d’exploitation sont plus élevés de 3 % à 4 %.

Aussi, on a observé que le coût de remplacement d’un employé varie entre 50 % et 200 % du salaire annuel de l’employé.

La reconnaissance non monétaire influe sur le stress au travail. 20 % des travailleurs canadiens souffrent d’une maladie reliée au stress (Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes : santé mentale et bien-être, Statistique Canada, 2003). Le manque de reconnaissance est la deuxième cause de stress au travail (« Santé mentale au travail : prévention et moyens d'action », Entreprises Québec, 2018). Le stress en entreprise représente 19 % des coûts d’absentéisme, 40 % des coûts de roulement de personnel, 60 % des coûts reliés aux accidents de travail et 10 % des coûts des régimes d’assurance médicaments. Le manque de reconnaissance au travail multiplie par quatre le risque de vivre de la détresse psychologique au travail (La reconnaissance au travail : des pratiques à visage humain, Jean-Pierre Brun, 2006).

Qu’en est-il des études sur la reconnaissance non monétaire comme seule variable d’évaluation? C’est là que le bât blesse. Rien de solide. La reconnaissance, c’est seulement en combinaison avec les autres stratégies qu’elle porte fruit.

Pourcentage des employés en manque de reconnaissance :

  • Québec : 42 %
  • États-Unis : 60 %

La reconnaissance non monétaire : une cause perdue?

Lors de vos sondages de mobilisation ou de satisfaction des employés, le manque de reconnaissance est-il ressorti comme un point de vigilance pour votre organisation? Nous constatons que cette tendance lourde d’insuffisance de reconnaissance depuis des années. En fait, au Québec, c’est 42 % des employés qui jugent recevoir peu ou pas de reconnaissance (EQCOTESST, IRSST, 2011).

Autre constat : réunis en atelier de travail, les gestionnaires affirment sans équivoque qu’ils offrent continuellement de la reconnaissance à leurs équipes. C’est à se demander : si les gestionnaires offrent systématiquement de la reconnaissance et si les employés en reçoivent très peu, où est cachée cette personne choyée qui reçoit toute la reconnaissance?

Cette réalité se confirme également chez nos voisins du sud. 90 % des entreprises américaines ont des programmes de reconnaissance non monétaire formels. Or, seulement 40 % des employés américains disent recevoir de la reconnaissance (« La reconnaissance au travail : pratiques internationales et différences culturelles », Effectif, vol. 13, no 4).

La reconnaissance non monétaire, c’est toujours trop peu, trop tard.

L’abc de la reconnaissance non monétaire

Qu’est-ce que la reconnaissance non monétaire?

On fait souvent référence à la reconnaissance non monétaire comme étant l’« autre paye ». C’est le « merci » précis, sincère et ressenti, la petite note manuscrite qui témoigne de la gratitude. C’est une rétroaction positive et personnalisée.

Pourquoi de la reconnaissance non monétaire ?

Qu’est-ce que cela apporte? C’est d’abord parce que la reconnaissance fait plaisir qu’elle est tant appréciée. Elle permet également de valider nos actions (savoir que nous travaillons de la bonne manière), de se connaître soi-même et d’être à l’affût de nos forces et d’apprendre par nos bons coups (actions à réitérer). La reconnaissance contribue à notre estime et à notre connaissance de soi.

La reconnaissance : pas juste une histoire de « boss »

Sont responsables d’offrir de la reconnaissance :

  • le supérieur hiérarchique;
  • les collègues de travail;
  • les clients et les fournisseurs.

Les quatre axes de la reconnaissance

On peut reconnaître :

  • l’individu;
  • les moyens utilisés (l’attitude, les méthodes de travail);
  • l’effort;
  • les résultats.

Source : BRUN, Jean-Pierre et Ninon Dugas (2015). « La reconnaissance au travail : analyse d’un concept riche de sens ». Gestion, vol. 30, no 2, pages 79-88.

Les pièges traditionnels de la reconnaissance

Les gestionnaires ont parfois l’impression que s’ils offrent beaucoup de reconnaissance :

  • les employés croiront à tort qu’ils offrent une performance extraordinaire et auront des attentes salariales en conséquence;
  • ils créeront de la jalousie dans leur équipe;
  • ils n’auront pas le temps de faire leur travail.

Accompagner les gestionnaires

Pour accompagner les gestionnaires dans leur travail de reconnaissance, on peut mettre en évidence que :

  • La somme des vrais messages, les bons (la reconnaissance) comme les points d’amélioration, vise à gérer les attentes et éviter les demandes salariales démesurées.
  • Parce que non monétaire, la reconnaissance ne se comptabilise pas dans un bilan. Les employés se réjouiront d’une reconnaissance donnée à un collègue. Rappelez-vous : ce qui importe, c’est la sincérité et non l’équité.
  • La reconnaissance non monétaire ne prend que quelques secondes. L’important, c’est de saisir les opportunités et non de compter les secondes requises pour dire « merci » ou donner une tape dans le dos.

Quelle est la solution?

Supposons que tout le monde dit vrai et qu’une seule personne ne reçoit pas toute la reconnaissance. Alors que se passe-t-il?

Pour qu’une reconnaissance résonne pour l’employé, il ne suffit pas de lui dire « merci ». Il faut que le message soit immédiat, précis (« merci pour… »), qu’il soit adapté à la contribution de l’employé et qu’il soit formulé de façon à ce que l’employé souhaite recevoir de la reconnaissance. La reconnaissance doit également être cohérente avec l’effort déployé et ressenti par le gestionnaire qui la formule (sincère). Il faut avouer que ce n’est pas si simple que ça!

Ce sont souvent ces critères qui expliquent le fossé qui existe entre la reconnaissance donnée et celle reçue. La reconnaissance donnée qui ne respecte pas ces critères tombe souvent à plat et ne trouve pas d’écho auprès des employés.

Alors, on fait comment?

Pour donner de la reconnaissance, voici ce que vos gestionnaires doivent faire :

  • Être présent. La reconnaissance, c’est un enjeu de qualité de présence. Communiquer de façon sentie et crédible, c’est avant tout une question de sensibilité qui requiert une disponibilité au moment présent.
  • Investir dans leurs relations. La personnalisation de la reconnaissance, tant dans le message que dans la façon dont elle est livrée, et l’appréciation de l’effort déployé, sont des enjeux de nature relationnelle. Parce qu’il faut connaître pour reconnaître, la question relationnelle requiert un intérêt sincère à aller vers l’autre, le découvrir et le comprendre.
  • Se laisser connaître et être authentique. Pour que la confiance intrinsèque à cette connaissance se développe, il faut un intérêt réciproque et un dévoilement authentique, de part et d’autre, de nos forces et de nos défis.
  • « Voir autrement » pour débusquer de multiples opportunités d’offrir de la reconnaissance.

Bien que plus simples à déployer, les composantes « précis » et « immédiat » ne sont pas moins importantes. Dommage qu’à elles seules, elles ne permettent pas d’atteindre la cible : que l’employé se sente reconnu pour son effort.

Formuler un « merci » sincère et ressenti est une technique d’impact universelle pratiquée depuis la nuit des temps. Cette apparence de simplicité, de facilité et d’impact est trompeuse. La reconnaissance non monétaire est subtile, requiert une implication particulière, et bien que son incidence soit démontrée lorsqu’elle est jumelée à d’autres stratégies, seule, son impact sur la productivité proprement dite demeure obscur. Chose certaine, comme la reconnaissance non monétaire ne coûte rien, son retour sur capital investi sera toujours positif. La reconnaissance demeure un pari gagnant.


Author
Annie Boilard, CRHA, Distinction Fellow Présidente Reseau Annie
Annie Boilard, MBA, M. Sc., CRHA travaille en développement des compétences depuis bientôt 20 ans. En plus d’être formatrice et facilitatrice, elle est également une gestionnaire d’entreprise et d’équipe expérimentée. Au quotidien, Mme Boilard travaille avec des équipes de dirigeants dans le cadre de planifications stratégiques ou d’accompagnements personnalisés. Elle agit également à titre de facilitatrice et de coach auprès de leaders et de professionnels pour le développement de leurs compétences comportementales. Mme Boilard intervient fréquemment comme conférencière, panéliste, experte, auteure et blogueuse. Elle publie régulièrement des articles et fait une quarantaine de conférence annuellement. Mme Boilard a été nommée « HR Professional of the Year 2017 » par HR Reporter (prix canadien remporté à Toronto) et « Meilleur talent 2016 » lors du concours du même nom à Montréal.

Sylvie Trudel, CRHA Spécialiste RH - Formation & DO Les services ENERCON Canada Inc.

Source : Revue RH, volume 21, numéro 3, juillet/août/septembre 2018