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La psychologie positive : un remède aux angles morts stratégiques

De nombreux sondages et études nous montrent que ce que les gens espèrent le plus trouver dans leur travail, c’est un environnement où ils pourront s’épanouir en tant qu’êtres humains. La psychologie positive appliquée à la gestion des ressources humaines offre plusieurs pistes nouvelles pour créer un tel environnement de travail.

1 août 2018
Sylvie Ménard, CRHA

L'angle mort

En anatomie, un angle mort constitue une petite région circulaire de la rétine, insensible sur le plan optique, d’où émergent les fibres du nerf optique. On dit que c’est une zone inaccessible au champ de vision. Au sens figuré, un angle mort peut s’agir d’un sujet qu’on connaît mal ou pas du tout. Dans les organisations, un angle mort dit stratégique est un problème qu’on soupçonne, dont on connaît l’existence et, parfois, sur lequel on ne pose pas notre regard. Il y a des signes qui nous disent qu’on va vivre des difficultés si on ne consent pas les efforts nécessaires pour traiter ce problème. On le sait et, pourtant, on ne fait rien. Par exemple, en ce moment, dans certaines organisations, il y a des difficultés de recrutement, d’attraction ou de rétention, des postes qui demeurent vacants après affichage, des taux d’assurance salaire qui sont en augmentation, des coûts en heures supplémentaires qui explosent, une relève des cadres qui est désertée. Pourtant, on souhaite tous que l’ensemble des postes soit comblé, que le personnel soit engagé, heureux, et que la satisfaction de la clientèle soit optimale. Ultimement, on souhaite croire que l’organisation sera performante, et ce, malgré cette situation.

Un exemple concret : la situation dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) est très préoccupante en ce moment. Toutes les énergies ont été mobilisées pour la reconfiguration du réseau. Nous déplorons que l’attractivité soit affectée par les difficultés que vit le personnel. La relève des cadres est plutôt dégarnie et nous assistons à un désengagement vis-à-vis la vie au travail. De surcroît, les modifications du calcul de la rente de base du Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP) risquent de provoquer une vague de départs anticipés à l’été 2019. Plusieurs acteurs du réseau s’emploient actuellement à mettre en oeuvre des stratégies en réponse à cette situation. Y aurait-il un angle mort stratégique lié à ce qui pourrait rendre plus attractif le RSSS et contribuer à retenir les ressources?

Poser un regard neuf sur la mobilisation des ressources humaines

Dans Mobilisation des personnes au travail (2002), Michel Tremblay et ses collaborateurs précisent qu’il ressort des écrits que la mobilisation prise au sens étroit de gestion mobilisatrice est un processus organisationnel qui est mis en place pour motiver les employés.

Les processus organisationnels consacrent beaucoup d’énergies et d’efforts à la mobilisation puisque l’objectif ultime est la performance organisationnelle. Pour y arriver, il est nécessaire d’avoir des personnes compétentes et en nombre suffisant.

Du point de vue des personnes, qu’est-ce qui fait qu’on a envie de travailler pour un employeur et d’y rester? Les résultats d’un sondage CROP publiés dans La Presse le 17 septembre 2016 révèlent que chez les travailleurs de 18 ans et plus, le plus essentiel et prioritaire est de pouvoir s’épanouir dans leur travail (30 %).

En comparaison :

  • pour 18 % d’entre eux, c’est d’avoir de la stabilité au travail;
  • pour 14 %, c’est d’avoir plus de liberté et d’autonomie;
  • pour 13 %, c’est de trouver un sens à leur travail, notamment en aidant les autres;
  • pour 10 %, c’est d’avoir un salaire élevé;
  • pour 8 %, c’est d’avoir un fonds de pension généreux;
  • pour 7 % seulement, c’est que leur employeur et leurs collègues reconnaissent qu’ils sont très bons dans leur travail.

La génération Z (1997-2009) estime à 61 % que la qualité de vie au travail est plus importante que le salaire (Adecco, 2016). 60 % des salariés se sentent plus motivés au travail lorsque leur employeur prend en considération le bien-être physique et mental au bureau (Gallup, 2012). L’arrivée des milléniaux (1982-2004) change le portrait de ce qui favorise la mobilisation au travail. Nous estimons que les milléniaux représenteront 50 % de la population active en 2020.

Ainsi, le plus important est devenu la possibilité de s’épanouir au travail. C’est tout à fait cohérent avec la perspective multidimensionnelle de l’épanouissement selon Corey Keyes. On sort ici des clichés ou des stéréotypes pour poser notre regard sur la mobilisation des ressources humaines en se concentrant sur l’identification des critères de l’épanouissement. Les outils de gestion des ressources humaines visant l’accroissement de la mobilisation des ressources humaines pourraient être davantage développés en adéquation avec ces critères qui constituent l’épanouissement des personnes.

Nous souhaitons avoir un personnel mobilisé, compétent, plus heureux et moins en détresse physique et psychologique. L’arrivée de la psychologie positive, notamment centrée sur les forces et l’épanouissement en milieu de travail, pourrait s’avérer être un remède.

La psychologie positive s’intègre parfaitement aux processus RH déjà en place

D’abord, la psychologie positive s’intéresse surtout à la santé et au bien-être, à ce qui rend les humains résilients, heureux, optimistes. Son objectif est de promouvoir l’épanouissement (en anglais : « flourishing ») et l’accomplissement de soi (en anglais : « fulfillment »), au niveau individuel, des groupes, des institutions et de la société. La psychologie positive « étudie ce qui donne un sens à la vie », selon son fondateur, Martin Seligman. C'est l’étude des forces, du fonctionnement optimal et des déterminants du bien-être. Il s’agit d’une branche de la psychologie traditionnelle qui, plutôt que s’intéresser à réparer ce qui fonctionne mal, développe ce qui est fort.

Cette science a pris naissance au tournant des années 2000 et fait l’objet d’études par de nombreux chercheurs, dont Martin Seligman, Charles Martin-Krumm, Ilona Boniwell, Albert Bandura, Barbara Friedrickson, Robert Sternberg, Rebecca Shakland, Alex Linley, Ryan Niemic. Plus près de nous au Québec, et pour ne nommer que ceux-ci : Jacques Forest, Philippe Dubreuil, Marine Miglianico.

La recherche en psychologie positive démontre que se concentrer sur les forces des personnes augmente l’engagement et éradique le désengagement actif (Building the High-Performance Workforce, CLC, 2002 : n=19,187). (Voir tableau 1)

Il est également fort intéressant de constater dans le sondage Q12 de Gallup (2004), que le style de gestion impacte directement l’engagement du personnel, selon que le gestionnaire ignore la contribution de ses employés (2 % d’employés engagés), qu’il accorde une attention seulement pement de leurs forces (61 %). (Voir tableau 2)

Aussi, le sondage Q12 démontre qu’il y a une relation entre l’engagement du personnel et le chiffre d’affaires. Il y a également un engagement déterminé par la participation active et enthousiaste au travail, déterminant dans le rôle de la performance au travail (« The impacts of organizational commitment on employee job performance », Khan et al., 2010).

Pour atteindre de meilleurs résultats en termes d’attraction et de rétention, la recherche révèle que miser sur le développement et l’exploitation des forces des personnes au travail ouvre la voie à une meilleure performance.

Tournons notre regard vers une nouvelle avenue et osons quelque chose de différent, si ce n’est pas déjà fait. En appliquant la psychologie positive au travail, nous pouvons développer davantage d’outils ou d’interventions qui permettent d’améliorer notre compréhension du monde des organisations, en regardant ce qui fonctionne bien et ce qui est fort au travail.

Conseils pratiques

L’optimisation des forces au travail est une piste. Plusieurs autres contribuent à l’épanouissement des personnes au travail, comme l’accès à des programmes appuyant ce qui favorise l’épanouissement au travail, comme le coaching de gestion, des programmes de leadership davantage bienveillants ou des enquêtes appréciatives. Il est réjouissant de constater l’intégration de ces pratiques émergentes au sein de plusieurs organisations. Certains établissements offrent déjà à leurs gestionnaires des méthodes d’appréciation annuelle de la contribution, qui s’appuient sur les forces de leurs employés.

Plusieurs outils pratiques existent (parfois, l’accompagnement par une personne dont c’est l’expertise est recommandé) :

  • le modèle intégrateur du bien-être et de l’épanouissement PERMA;
  • la bienveillance envers soi-même et les autres;
  • la communication non violente;
  • les enquêtes appréciatives;
  • le développement de la résilience;
  • les cartes sur les forces et les cartes sur les activités positives;
  • les questionnaires sur les forces comme celui du Via Institute on Characters, le test Realise 2 Strengths et le test Time Intelligence.

PERMA :

  • P = émotions positives
  • E = engagement
  • R = relations positives
  • M = sens à la vie (« Meaning »)
  • A = accomplissements

En conclusion

Les gens s’épanouissent davantage au travail lorsque leur gestionnaire leur offre la possibilité de créer des opportunités de s’épanouir et de recourir davantage à leurs forces, de façon à accomplir ce dans quoi ils excellent. Les organisations ont intérêt à réduire leurs angles morts et à consacrer plus d’efforts dans le développement d’une culture de gestion appuyée sur la psychologie positive.

Jusqu’à maintenant, nous avons porté notre regard surtout sur des structures de poste attrayantes, des programmes d’horaires souples, des programmes qui tiennent compte du développement durable et des besoins de la clientèle, la bonification des structures salariales ou des fonds de pension, et différents programmes de reconnaissance.

Maintenant, porter notre regard vers le développement d’une culture de gestion axée sur une gestion positive des personnes en milieu de travail pourrait permettre de réduire nos angles morts. Nous n’avons pas toutes les réponses, et beaucoup de questions se posent encore. Pourtant, il vaut la peine d’essayer, tant pour le développement des gestionnaires que de leurs employés. (Il ne s’agit pas ici de développer de nouvelles compétences de gestion.) Et si la clé était dans le développement d’une culture de gestion appuyée sur une « posture » de gestion positive?


Références bibliographiques


Sylvie Ménard, CRHA Coach exécutif en gestion - leadership positif Coaching de gestion, M.Sc. PCC

Source : Revue RH, volume 21, numéro 3, juillet/août/septembre 2018