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Activité physique : employé actif, entreprise en santé

Les gestionnaires en ressources humaines jonglent constamment avec l’absentéisme, le présentéisme et le bien-être de la main-d’oeuvre. Ces éléments peuvent être liés à la santé du personnel et se répercutent sur les coûts directs et la productivité. La santé des employés affecte donc la santé des entreprises.

1 août 2018
Caroline Galipeau | François Lecot | Suzanne Laberge | Jonathan Tremblay | Marie-Ève Mathieu

Selon les données de Statistique Canada pour l’année 2016, au Québec, un employé manquait en moyenne 12 jours de travail par année. Parmi ces journées d’absence, dix étaient pour cause de maladie ou d’invalidité. Le plus récent rapport du Conference Board of Canada estime à plus de 16,6 milliards de dollars le coût de ces absences pour les entreprises canadiennes.

Votre nouvel employé type

La santé de la population n’est pas un nouvel enjeu. Les divers paliers gouvernementaux multiplient d’ailleurs les initiatives en santé publique. Mais son effet sur le marché du travail, et conséquemment sur la gestion des ressources humaines, prend de plus en plus d’espace dans l’actualité. Une des raisons expliquant ce phénomène est l’évolution des caractéristiques de la population en âge de travailler. Entre 1996 et 2016, la proportion de travailleurs de 55 ans et plus dans la population active est passée de 24 % à 38 %. À cette augmentation progressive se greffe une série d’initiatives pour garder les travailleurs plus âgés sur le marché du travail, comme les crédits d’impôt pour travailleurs d’expérience (61ans et plus, article 752.0.10.0.3. de la LIQ) et la hausse maintes fois annoncée de l’âge minimal d’éligibilité au régime de retraite gouvernemental. L’arrivée de la plus grande génération de travailleurs âgés est donc en train de modifier le portrait type de l’employé.

Personnes de 45 à 64 ans souffrant d’un surplus de poids :

  • Femmes : 54 %
  • Hommes : 70 %

Au même moment, l’obésité et les maladies chroniques, telles que le diabète de type 2, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires et la dépression, continuent leur progression, affectant au passage une plus grande proportion de gens dans les tranches d’âge supérieures (voir Tableau 1). À preuve, des données de Statistique Canada révèlent une augmentation du pourcentage d’adultes canadiens dont l’indice de masse corporelle indique un embonpoint ou de l’obésité, passant de 52 % à 54 % entre 2011 et 2014. Chez les 45 à 64 ans, 70 % des hommes et 54 % des femmes présentent un embonpoint ou de l’obésité selon les données de 2014. Le dernier sondage annuel Sanofi indique que les employeurs sous-estiment à 32 % le nombre de leurs employés atteints d’au moins une maladie chronique, alors que le pourcentage réel se situe à 57 % des travailleurs. Si la population vit et travaille plus longtemps, l’augmentation de l’incidence de l’obésité et des maladies chroniques dans la population, de façon plus marquée avec l’âge, nous place alors face à une plus grande proportion d’employés aux prises avec ces problèmes de santé.

L’augmentation de la prévalence des maladies chroniques est attribuable en bonne partie au fait qu’une majorité de la population canadienne ne respecte pas les recommandations en matière de saines habitudes de vie, dont la pratique d’activités physiques d’une fréquence suffisante et régulière, la réduction de la sédentarité et une alimentation équilibrée. Le Lancet Physical Activities Series Working Group a examiné les données de l’Organisation mondiale de la Santé de 2012 et, sans surprise, la population de l’Amérique du Nord domine le palmarès mondial de l’inactivité chez les adultes. Selon Santé Canada, en 2013, plus de 75 % des Canadiens de 18 ans et plus ne respectaient pas les recommandations en matière d’activité physique.

L’expertise disponible

Un champ d’études se démarque dans ses efforts pour renverser ces tendances : la kinésiologie. Cette formation universitaire reliant plusieurs domaines des sciences de l’activité physique étudie l’impact de l’activité physique sur l’humain et tente d’établir les modalités d’intervention optimales pour toutes les strates de la population. Les kinésiologues sont des professionnels de la santé, précisément des spécialistes de l’activité physique.

De nombreuses études en kinésiologie montrent l’impact positif de méthodes simples sur l’incidence des maladies chroniques et de l’obésité. Par exemple, une étude publiée en janvier 2017 dans la revue European Journal of Applied Physiology a montré que la pratique du squat isométrique (chaise) au mur, répété quatre fois pour une durée de deux minutes par répétition, à raison de trois fois par semaine pendant un mois, pouvait réduire certains facteurs de risque comme la pression artérielle. En incluant un repos de deux minutes entre chaque répétition, cette pause active requiert moins de 15 minutes et peut avoir un impact positif sur la santé.

Face aux problèmes de santé publique notés en milieu de travail, les kinésiologues proposent leurs services aux gestionnaires en ressources humaines et aux dirigeants d’entreprises afin d’unir leurs forces et leurs connaissances en vue d’offrir des solutions concrètes à des problèmes réels et coûteux. Des bacheliers en kinésiologie se spécialisent dans les interventions en entreprise. D’autres ont joint ou formé des entreprises qui oeuvrent dans ce domaine, telles Capsana, Iso Santé, Olympe ou Pro Santé. Certaines de ces entreprises ont créé des programmes adaptés aux besoins particuliers de leur clientèle. D’autres ont obtenu une certification à titre de partenaires d’implantation de la norme « Entreprise en santé » (BNQ 9700-800). En plus d’être un projet permettant d’améliorer la santé du personnel, cette certification est un atout de recrutement permettant aux employeurs de se démarquer et de conserver leurs employés qualifiés.

Quelques fournisseurs en assurances collectives ont également emboîté le pas. Ils offrent des interventions en entreprise dans l’espoir de diminuer ou de contenir le coût des régimes d’assurance maladie et d’invalidité. Certains fournisseurs de polices d’assurance offrent désormais de couvrir les services en kinésiologie. Il suffit de les contacter pour savoir si ce service est couvert ou demander qu’il soit ajouté à la liste des soins professionnels couverts.

Orienter vos efforts

Un « partenaire santé » en milieu de travail va d’abord suggérer une analyse du milieu. Bien que les effets de l’augmentation de l’activité physique soient similaires dans la population, les stratégies pour amener les gens à modifier un comportement diffèrent selon plusieurs éléments qu’il faut prendre en considération. Le « partenaire santé » accompagnera ensuite l’entreprise tant dans le choix que dans l’implantation d’un programme. Le modèle proposé doit prendre en compte la réalité de l’entreprise, et ceci ne peut pas se faire sans plonger dans le quotidien de l’entreprise. L’analyse cible plusieurs éléments, notamment : le type d’emploi, de secteur, d’industrie; l’environnement; le profil démographique et de santé des employés; leurs intérêts et priorités; les ressources disponibles; l’engagement de la direction, incluant la mission de l’entreprise.

Il sera aussi potentiellement suggéré de former un comité interne composé d’employés, de gestionnaires, de membres de la direction et des ressources humaines, ainsi que des représentants syndicaux, si applicable. Ceci permettra de récolter des suggestions émanant de l’entreprise, calquées sur sa réalité. Ce comité interne générera souvent aussi un plus grand engagement en augmentant le degré d’implication de tous et le taux de participation, deux composantes liées au succès.

Passer à l’action

À première vue, l’implantation d’un programme peut sembler intimidante. Mais les programmes de promotion des saines habitudes de vie en entreprise peuvent être d’ampleur variée et s’adapter, entre autres, à la taille des entreprises. Il faut se rappeler que de nombreuses offres de service existent en ce moment. L’analyse des particularités de l’entreprise permet de cibler une intervention appropriée et se traduit souvent par l’adaptation de programmes existants. Le programme doit refléter le plus fidèlement possible les goûts et les besoins des employés et être facile d’accès.

Voici quelques exemples de programmes simples qui requièrent peu de ressources et qui pourraient convenir à des entreprises de toutes tailles :

  • Des actions éducatives telles que l’ajout d’une section « Information Santé » sur l’intranet, les babillards ou les communications périodiques internes. (Notez que cette suggestion est utile à titre de préambule à d’autres interventions, pour initier le personnel au sujet des saines habitudes de vie. Elle n’offre pas de résultat démontré, mais constitue plutôt l’amorce d’un processus de sensibilisation chez les gens exposés.)
  • Distribution de podomètres ou de moniteurs d’activité physique aux employés (accompagnée d’une intervention, tel un midi-conférence, expliquant leur utilisation et fournissant des renseignements sur les saines habitudes de vie).
  • Identification de « champions santé » dans l’entreprise, qui agiront comme ambassadeurs des saines habitudes de vie auprès de leurs pairs.
  • Suggestions de pauses actives durant les quarts de travail.

D’autres initiatives plus élaborées, mais simples, sont également possibles, telles que :

  • Offre d’activités hebdomadaires en groupe sur les lieux du travail ou à proximité (par exemple : groupe de marche/course, activité de style circuit d’entraînement avec un kinésiologue ou menée par les pairs).
  • Inscription de l’entreprise à un défi sportif, ayant souvent aussi un but caritatif (par exemple : une course pour un organisme de bienfaisance).
  • Promotion par l’entreprise d’un défi pour améliorer les habitudes de vie, comme le Défi Santé.

Pourquoi ne pas utiliser le temps en amont d’un défi pour regrouper les membres participants et vous préparer ensemble de façon régulière? Le développement des liens entre les employés participants leur donnera aussi l’occasion de s’encourager mutuellement. Une nouvelle tradition pourrait naître de cet événement et ainsi maintenir les saines habitudes acquises!

Enfin, certains projets plus ambitieux correspondent mieux aux besoins de certains milieux de travail :

  • Ajout de postes de travail actifs.
  • Ajout de douches ainsi que de supports à vélo sur les lieux de travail pour encourager le transport actif.
  • Programme avec suivi à long terme (avec prise initiale et périodique d’informations, suivi de l’évolution de la santé du personnel, calendrier continu d’interventions sur les lieux de travail, etc.)

Après avoir identifié les types d’interventions les plus pertinents et adaptés au milieu, il s’agira ensuite de favoriser l’adoption et la continuité du programme. Il faut noter que les initiatives devraient être évaluées et renouvelées à intervalles réguliers. Les kinésiologues peuvent vous épauler pour la pérennité du projet puisqu’ils ont un grand bagage de connaissances et un large inventaire d’idées pour innover selon les besoins de l’entreprise. Un programme de promotion des saines habitudes de vie a le potentiel de s’intégrer aux pratiques courantes de gestion, plutôt que de relever de l’initiative d’exception. Une méta- analyse de 22 programmes en entreprise a conclu à un ratio de retour sur investissement de 2,73 sur le plan de la réduction de l’absentéisme (« Workplace Wellness Programs Can Generate Savings ». Health Affairs, vol. 29, no 2). Alors que les employés changent, que les orientations de l’entreprise changent et que même les ressources disponibles changent, considérez que les experts disponibles pour vous aider changent également.

Les gestionnaires en ressources humaines connaissent le lien entre la santé, l’absentéisme et le rendement des employés. Et les recherches en kinésiologie démontrent que la santé passe par de saines habitudes de vie. Il semble donc naturel que les deux domaines travaillent dorénavant de concert tant pour la santé publique que pour la santé des entreprises.


Références bibliographiques


Caroline Galipeau Kinésiologue

François Lecot Kinésiologue

Suzanne Laberge professeure titulaire Département de kinésiologie de l’Université de Montréal

Jonathan Tremblay professeur agrégé Département de kinésiologie de l’Université de Montréal

Marie-Ève Mathieu professeure agrégée Département de kinésiologie de l’Université de Montréal

Source : Revue RH, volume 21, numéro 3, juillet/août/septembre 2018