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Travailler en ressources humaines : différent ou non selon le sexe et l’âge?

La rareté de la main-d’oeuvre nous invite à mieux connaître les travailleurs. Le domaine des ressources humaines est ici la profession étudiée. Dans cette synthèse de recherche, nous verrons les similarités entre les âges et les sexes.
29 mai 2018

Tous ne sont pas égaux sur le marché du travail. Sexisme et âgisme peuvent miner l’expérience de travail de certains.

Par exemple, les femmes font encore face à de nombreuses difficultés sur le marché du travail (Donnelly et al., 2016). Le traitement différentiel des femmes, quoique subtil, restreint toujours leur accès à certains types de postes, à des promotions ou même à de la formation (Dionne-Simard et al., 2016; Rinfret et Lortie-Lussier, 2003). Et les hommes alors? Certains croient que les mesures d’équité en emploi les ont lésés (Beaton et al., 2007).

D’autre part, l’âgisme au travail est un phénomène bien documenté dans les pays industrialisés, dont le Canada (Lagacé et al., 2010). Cette discrimination s’appuie sur des préjugés et des stéréotypes négatifs visant l’exclusion des individus sur la base de leur âge. Par exemple, le travailleur senior serait plus lent, s’adapterait moins aux changements et aux nouvelles technologies, serait moins motivé par rapport à son collègue plus jeune. L’âgisme est un phénomène paradoxal parce qu’en comparaison avec le sexisme, il est peu dénoncé, donc implicitement accepté, et ne concerne pas seulement les seniors. En effet, nombre de jeunes travailleurs se sentent victimes de préjugés âgistes. Dans ce cas, on leur reproche leur manque d’expérience et/ou de crédibilité.

Peu importe la forme d’exclusion, elle comporte des coûts tant pour les employés que pour les employeurs. Pour mieux comprendre l’impact de l’âgisme et du sexisme, nous avons mené une étude auprès des membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. Cet échantillon est particulièrement intéressant du fait qu’on retrouve dans ce type d’emplois autant d’hommes que de femmes. Ces dernières ont fait des progrès fulgurants en termes de représentation depuis 1991. Selon le secteur d’activité, elles représentent entre le tiers et les deux tiers des spécialistes des ressources humaines. De plus, autant de travailleurs juniors que de travailleurs seniors agissent comme conseillers en ressources humaines.

Ainsi, cet échantillon permet de comparer dans un domaine de travail paritaire les réactions des hommes et des femmes autant que des juniors et des seniors face à des situations potentiellement préjudiciables. Ce faisant, cette étude se démarque des précédentes qui 1ont été réalisées dans des domaines traditionnellement féminins (ex. : infirmières) ou masculins (ex. : policiers) et dans lesquels les femmes se sentaient désavantagées par rapport aux hommes. Qu’en est-il dans un milieu paritaire? Les différences sont-elles aplanies ou mises en relief? Autre apport de cette étude : elle se penche sur les réactions à différents moments de l’historique professionnel des travailleurs, permettant ainsi d’avoir une compréhension plus fine des conséquences liés aux désavantages vécus. Cette étude nous permet aussi, dans le contexte démographique actuel où l’intergénérationnel prend toute son importance, de vérifier comment réagissent les travailleurs juniors et seniors.

Au total, 1035 membres de l’Ordre des CRHA ont participé. Ils ont été divisés en deux groupes. Dans le premier groupe, on retrouve 215 femmes et 166 hommes. Le deuxième groupe comprend 363 juniors (44 ans et moins) et 291 seniors (45 ans et plus).

Comparaisons des réponses des hommes et des femmes

Des comparaisons montrent que les femmes se perçoivent plus désavantagées que les hommes, peu importe le moment :

  • Il y a 5 ans : M = 2,64 vs 1,89; t = 9,24, p < ,05.
  • Maintenant : M = 2,38 vs 1,83; t = 6,76, p < ,05.
  • Dans 5 ans : M = 2,43 vs 1,88; t = 6,44, p < ,05.

À l’instar d’autres recherches menées dans des milieux où les femmes sont majoritaires (Laplante et al., 2011) ou minoritaires (Tougas et al., 2005), les femmes en ressources humaines se perçoivent plus désavantagées que leurs collègues masculins. Est-ce à dire que quel que soit leur niveau de représentation numérique, les femmes se voient traitées différemment des hommes? Répondre à cette question nécessiterait une analyse plus poussée puisque les femmes en ressources humaines sont minoritaires dans certains secteurs.

Même si les hommes et les femmes ont des perceptions différentes de leur désavantage, leurs réactions face à celui-ci sont semblables : les hommes et les femmes se désengagent peu face à leur travail (M = 1,96 vs 1,86; t = -1,63, n.s.), ont une estime de soi élevée (M = 4,43 vs 4,39; t = -0,84, n.s.) et s’autolimitent dans la progression de leur carrière (M = 3,54 vs 3,43; t = -1,74, n.s.). Pourquoi, s’ils sont peu désengagés et ont une estime de soi élevée, les gens s’autolimitent-ils dans la progression de leur carrière? Ont-ils atteint un plateau « bienheureux » de carrière (Cardinal et Lamoureux, 1994)? Est-ce le reflet du peu de possibilités de promotion ou du coût lié à la progression de carrière? Dans tous les cas, une réflexion s’impose.

Comparaisons des réponses des juniors et des seniors

En ce qui a trait aux juniors et aux seniors, leurs perceptions de désavantage varient selon les moments de leur historique professionnel. Au présent, leurs perceptions sont semblables (M = 2,57 vs 2,51; t = 0,95, n.s.). En revanche, au passé, les juniors rapportent plus de traitement différentiel que les seniors (M = 2,89 vs 1,43; t = 7,24, p < ,05). Si les juniors estiment avoir été lésés par rapport aux seniors dans le passé, aujourd’hui, l’expérience acquise leur permet de se voir traités sur un pied d’égalité. Par ailleurs, à l’avenir (dans cinq ans), les seniors anticipent être moins bien traités que les plus jeunes (M = 2,60 vs 2,48; t = -1,99, p < ,05). Ils prévoient donc vieillir au travail dans un milieu hostile. Bref, on souffre en début de carrière et on anticipe des difficultés à la fin de celle-ci. Si tel est le cas, il faudrait réfléchir sur l’accueil des jeunes et le maintien en emploi des seniors, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre.

Malgré des perceptions de traitement différentiel équivalentes au présent pour les juniors et les seniors, les réactions diffèrent. Ainsi, les seniors se désengagent plus que les juniors (M = 2,04 vs 1,92; t = -2,24, p < ,05). Ce désengagement représente-t-il un mécanisme de défense face à une anticipation de traitement différentiel? Ou est-ce que ce retrait psychologique est le prélude d’un départ à la retraite? Quelle que soit la réponse, il reste que leur estime de soi est très élevée et même plus élevée que celle des juniors (M = 3,99 vs 3,84; t = -4,39, p < ,05) et qu’ils souhaitent partager leurs connaissances avec ces derniers (M = 3,98 vs 3,85; t = -3,16, p < ,05). Le désengagement observé chez les seniors ne diminue pas leur volonté de partager leurs connaissances au profit de l’organisation. Cet élan de générosité nous porte à croire que le désengagement psychologique rapporté serait le signe d’une transition vers la retraite plutôt qu’un mécanisme de défense face à un traitement différentiel anticipé.

Un résultat qui pourrait nous faire penser à un écart générationnel concerne les autolimites de carrière. Combien de fois avons-nous entendu dire que la jeune génération désire moins s’investir dans son travail que celle des boomers? La différence des réponses entre les juniors et les seniors semble le confirmer (M = 3,60 vs 3,25; t = 7,28, p < ,05). Ce constat pose plusieurs défis de taille aux employeurs.

Comment susciter l’engagement et la loyauté à l’entreprise chez les juniors dans un contexte complexe où pénuries de main-d’oeuvre et mises à pied se conjuguent au quotidien?

Conclusion

Si cette étude a montré des différences entre les femmes et les hommes et entre les juniors et les seniors, les ressemblances sont tout aussi parlantes. Bien que les gens aient des attitudes relativement positives face à leur situation au travail, ils ne semblent toutefois pas montrer un enthousiasme prononcé pour gravir les échelons et s’investir dans une démarche de progression de carrière. C’est un peu comme si l’avancement de carrière était mis en veilleuse. L’identification de la relève pour les postes clés devient donc un impératif dans un contexte où plusieurs se trouvent en situation de plateau de carrière bienheureux et où les juniors semblent moins intéressés à s’investir dans le travail que la génération précédente. La signification du travail semble avoir changé au fil du temps. Cela n’est certainement pas étranger au fait que dans le contexte économique actuel, la conception traditionnelle de la carrière, impliquant une progression graduelle en matière de pouvoir, de sécurité et de statut, n’est plus envisageable. Il faut donc développer des outils crédibles et adaptés à cette nouvelle réalité pour identifier, intéresser et développer les employés à fort potentiel.

Un résultat qui n’est pas à négliger dans un contexte de départs massifs à la retraite est la volonté des seniors de partager leurs connaissances tacites avec les juniors. Les entreprises devraient profiter de cette générosité et valoriser le transfert des connaissances en mettant en place des mécanismes permettant de recenser, gérer et préserver la mémoire corporative. Dans le contexte économique actuel, les entreprises qui relèveront ce défi seront certainement parmi les plus performantes.


Références bibliographiques

  • Statistiques sur les spécialistes en ressources humaines au Québec (âge, sexe).
  • BEATON, Ann M., Kathleen McKay et Marie-Ève Rouleau (2007). Force numérique des femmes, perception de menace et solidarité organisationnelle : la perspective des gestionnaires masculins ». Télescope, vol. 13, no 4, pages 80-92.
  • CARDINAL, Line et Carole Lamoureux (1994). Plafonnement de carrière et désintérêt au travail : étude de la relation entre le plateau-mobilité et le plateau de contenu chez des gestionnaires. Revue québécoise de psychologie, vol. 15, no 3, pages 47-64.
  • DIONNE-SIMARD, Dominique, Diane Galarneau et Sébastien LaRochelle-Côté (2016). Regards sur la société canadienne. Les femmes dans les professions scientifiques au Canada. Statistique Canada.
  • DONNELLY, Kristin, Jean M. Twenge, Malissa A. Clark, Samia K. Shaikh, Angela Beiler-May et Nathan T. Carter (2016). Attitudes toward women’s work and family roles in the United States, 1976–2013.  Psychology of Women Quarterly, vol. 40, no 1, pages 41-54.
  • LAGACÉ, Martine, Francine Tougas, Joëlle Laplante et Jean-François Neveu (2010). Communication âgiste au travail : une voie vers le désengagement psychologique et la retraite des infirmières d’expérience?.  Revue internationale de psychologie sociale, vol. 23, no 4, pages 91-121.
  • LAPLANTE, Joëlle, Francine Tougas, Ann M. Beaton et Christian Bellehumeur (2011). Psychological disengagement as a silent response to perceived (present and future) sex-based disadvantage among female office workers. European Review of Applied Psychology, vol. 61, no 4, pages 223-230.
  • RINFRET, Natalie, et Monique Lortie-Lussier (2003). Les déterminants des intentions de départ des femmes cadres : différents ou non de ceux de leurs collègues masculins?. Revue canadienne des sciences de l’administration, vol. 20, no 4, pages 320-333.
  • TOUGAS, Francine, Natalie Rinfret, Ann M. Beaton et Roxane de la Sablonnière (2005). Policewomen acting in self-defense: can psychological disengagement protect self-esteem from the negative outcomes of relative deprivation?.  Journal of Personality and Social Psychology, vol. 88, no 5, pages 790-800.

Source : Revue RH, volume 21, numéro 2, avril/mai/juin 2018