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Conversations délicates : faire appel à la collaboration plutôt qu’agir en gestion disciplinaire

Qu'ont en commun les situations suivantes : attitudes négatives, rendements insatisfaisants, problèmes de comportement au travail? Ce sont des réalités courantes sur lesquelles les responsables d'équipe doivent agir afin de maintenir un climat de travail respectueux et équitable pour l'ensemble de leur personnel.
29 mai 2018
Ghislaine Labelle, CRHA, Distinction Fellow, Médiatrice accréditée

Pour amener un employé à améliorer son rendement, à modifier ses attitudes ou ses comportements, quelle est l´approche qui vous semble la plus adaptée?

La plupart des spécialistes en relations du travail et des gestionnaires ont appris à faire appel à la gestion disciplinaire pour résoudre l’ensemble des difficultés liées à la gestion du personnel. Mais est-ce vraiment la seule méthode efficace pour parvenir aux résultats souhaités?

Les limites de l’approche disciplinaire

L’approche disciplinaire n’est ni plus ni moins que l’exercice d’une position de force et d’autorité (droit de gestion), accompagné ou pas de conséquences (mesures disciplinaires), pour forcer un changement de comportement. Depuis de nombreuses années, les recherches en psychologie portant sur l’utilisation de la punition auprès des enfants ont démontré qu’elle s’avérait peu efficace pour favoriser l’apprentissage de nouvelles conduites plus souhaitables chez l’enfant. L’utilisation du renforcement positif, appliqué de manière répétitive aux comportements se rapprochant du comportement souhaité, s’avérait de loin la meilleure approche pour favoriser l’adoption de conduites positives. De plus, cette approche a aussi l’avantage de maintenir l’estime de soi de l’enfant. Devinez quoi? Ces principes sont également applicables aux adultes.

La difficulté des rencontres disciplinaires est qu’on ne connaît pas d’avance la réaction de l’interlocuteur. Est-ce que l’individu aura une réaction d’accueil, de réception, face au message qui lui sera transmis, ou sera-t-il réfractaire ou peu ouvert à l’attente signifiée? La plupart du temps, lorsqu’un employé est convoqué pour une rencontre de redressement, cette convocation à elle seule engendre une réaction de crainte ou de résistance. Cela crée une tension ou un stress avant même que la rencontre ait lieu.

Si le responsable de la rencontre est déstabilisé par la réaction de déni ou de fermeture de son interlocuteur, il y a fort à parier qu’il réagisse émotivement à son tour. En présence d’émotions négatives, le risque est plus élevé que les deux personnes agissent de manière maladroite ou commettent quelques erreurs de communication. Lorsque l’initiateur de la rencontre se sentira contesté ou confronté devant les faits exposés, le piège fréquent à ce stade-ci est qu’il adopte une position haute et ferme (rivaliser). En adoptant la position haute, l’initiateur de la rencontre dévie consciemment ou non de son objectif initial et s’acharne maintenant à démontrer à son interlocuteur que celui-ci a fait une erreur ou qu’il est en faute. En voulant faire reconnaître ses torts à votre interlocuteur, il y a fort à parier qu’il se braquera et que vous vous enliserez alors dans une dynamique de confrontation. C’est connu : plus vous exercez une pression indue pour changer l’autre ou pour lui faire admettre ses torts, plus vous risquez d’enclencher davantage de réactions défensives que de réactions d’ouverture. Ainsi, l’ouverture au changement sera considérablement diminuée. Vous n’obtiendrez donc pas la collaboration nécessaire de votre interlocuteur afin qu’il s’engage dans le changement souhaité.

Les gestionnaires et les professionnels en ressources humaines souhaitant corriger rapidement une situation, sans prendre le soin d’analyser les impacts et les conséquences de l’approche utilisée, induisent parfois plus de difficultés que d’améliorations. Après avoir fait l’expérience d’un entretien musclé avec votre interlocuteur, il sera plus difficile d’obtenir sa collaboration.

À quelle autre approche peut-on recourir?

On peut recourir à l’approche de collaboration pour mener à terme, avec succès, des conversations délicates. Cette approche offre l’avantage de préserver le lien de collaboration avec votre interlocuteur. En effet, l’approche de coopération ou de collaboration, telle que définie dans l’outil Thomas-Kilmann, nécessite qu’on s’intéresse à la fois à la détermination (sujet qui nous préoccupe) et à la relation de coopération. En axant la conversation sur ces deux dimensions, cela exigera un effort des deux personnes concernées pour trouver une solution au problème posé. La collaboration vise donc à faire une analyse approfondie du désaccord en vue de tirer profit de la manière de penser de l’autre (son point de vue), de sa volonté de régler un enjeu (engagement), de façon à éviter toute rivalité ou situation indésirable.

Qui plus est, si vous réussissez à obtenir la collaboration de votre interlocuteur et à faire valoir votre point de vue ou enjeu, vous aurez du même coup augmenté votre pouvoir d’influence. Le fait de faire porter la discussion sur l’enjeu relationnel préservera le lien de confiance et il vous sera alors plus facile d’aborder dans le futur toute autre situation qui nécessiterait une amélioration.

Principes d’une intervention réussie :

  • Observation
  • Proactivité
  • Courage
  • Efficacité
  • Responsabilisation

Autres avantages de l’approche de collaboration

Bien que prenant un peu plus de temps pour la préparation et le suivi des rencontres, conduire des conversations de ce type comporte de nombreux avantages. En tant que responsable ou professionnel de la gestion des ressources humaines, cette approche nous force à faire une lecture différente de la réalité. Par exemple, en demeurant attentif aux situations pouvant entraîner des impacts sur le rendement ou sur le climat de travail (principe d’observation), le responsable exerce son rôle de « vigie » quant au maintien de relations professionnelles de qualité. Un deuxième avantage est qu’il sera mieux préparé pour gérer rapidement les situations à risque (principe de proactivité) et pour y consacrer l’énergie et les ressources nécessaires afin de préserver un climat de travail et des relations professionnelles respectueuses et équitables (principe de courage). En faisant appel à son jugement pour faire intervenir la stratégie la plus appropriée (principe d’efficacité), il gagnera un temps précieux. Enfin, en obtenant la collaboration de l’employé face au changement requis, il doublera l’impact de ses actions (principe de responsabilisation) et évitera l’effet de démobilisation que suscite trop souvent l’approche disciplinaire.

Susciter la collaboration dans ses relations professionnelles est tout un art, mais c’est possible! Cela s’apprend. Dans un contexte de travail changeant où les collaborations et les partenariats sont de plus en plus monnaie courante (employés-patrons, patrons-syndicats, clients-fournisseurs, entreprises-entreprises), on a intérêt à actualiser les modes et les pratiques de gestion pour se coller davantage aux nouvelles réalités du travail. Être moins disciplinaire et agir davantage en mode coopératif, ça vaut la peine.


Author
Ghislaine Labelle, CRHA, Distinction Fellow, Médiatrice accréditée M. Ps., CSP. auteure, conférencière, psychologue organisationnelle et médiatrice accréditée Groupe SCO inc.

Experte en matière de prévention et de gestion des situations complexes en milieu de travail (conflits, harcèlement et maladies psychologiques), présidente fondatrice de Groupe Conseil SCO, Ghislaine Labelle possède 25 ans d’expérience comme psychologue du travail et médiatrice. Conférencière professionnelle certifiée (CSP), elle a obtenu la Distinction Fellow de l’Ordre des CRHA en 2018. Elle est l’auteure de cinq ouvrages de référence sur la prévention des conflits en milieu de travail.

Ghislaine transforme les conflits en collaboration afin de rétablir la paix au travail. Ses clients l’apprécient pour son pragmatisme et sa capacité à stimuler son auditoire à créer des environnements de travail empreints de respect, de collaboration et d’harmonie.


Source : Revue RH, volume 21, numéro 2, avril/mai/juin 2018