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Avoir la pensée critique et oser se remettre en question : pas de raccourcis pour la crédibilité des RH

La fonction RH est encore relativement nouvelle et, n’étant pas une science exacte, les experts RH doivent continuellement faire leurs preuves en livrant des résultats concrets. Cet article propose quelques pistes pour bâtir sa crédibilité en tant qu’expert RH et, du même coup, la crédibilité de la profession.

1 novembre 2017
Jean-François Bertholet, CRHA

Il n’est pas facile d’écrire un article sur la crédibilité des professionnels RH, donc de ses collègues praticiens, sans songer qu’on risque de heurter quelques personnes. Pourtant, le défi de crédibilité des professionnels RH est un sujet qui est aussi vieux que l’existence de la fonction. Est-ce que les directeurs des finances s’inscriraient massivement à une formation « Comment établir sa crédibilité auprès de la direction »? C’est cependant une préoccupation constante dans le monde RH. Pourquoi?

Il existe certainement des éléments particuliers à notre fonction qui accentuent cette préoccupation. Tout d’abord, notre domaine concerne l’humain, où tous peuvent s’improviser experts. Peu de gens oseraient remettre en cause des processus liés aux finances et à l’ingénierie, car il s’agit d’expertises concrètes, mais qui n’aime pas penser qu’il a le flair pour choisir le meilleur candidat lors d’un processus de sélection? Bref, quand il est question de l’humain, le besoin d’avoir une expertise spécialisée est moins évident (bien que fort nécessaire!) et cela nous demande un effort de crédibilité supplémentaire. De plus, la fonction RH, telle qu’on la comprend aujourd’hui, avec sa vision d’être un partenaire stratégique, est relativement nouvelle dans le monde de la gestion. Pour ces raisons, il ne faut pas s’attendre à ce que le monde des affaires déroule le tapis rouge aux intervenants RH par simple gentillesse. D’ailleurs, le mot crédibilité signifie « ce qui mérite d’être cru ». On ne peut pas se proclamer crédible. Cela doit nous être accordé par les autres. Alors, comment faire progresser cette crédibilité? Maintes choses ont été dites sur l’aspect relationnel de la crédibilité, et les gens des RH y sont généralement sensibles. Dans cet article, nous nous proposons plutôt d’aborder les aptitudes spécialisées de la crédibilité (donc le fond plutôt que la forme) où les possibilités de gains sont évidentes. Nous présentons trois qualités essentielles à la crédibilité : la rigueur, la curiosité et la vision stratégique.

La rigueur

Lu sur un réseau social reconnu en RH : « Bravo pour votre projet, c’est une nouvelle tendance, vous êtes vraiment en avant de la vague. » Ces propos prennent leur sens lorsqu’on parle de modes vestimentaires, mais sont-ils réellement rassurants dans le monde des ressources humaines? Le souci numéro 1 des professionnels RH doit être de faire la bonne chose, et non d’être le premier à mettre en place la dernière « trouvaille » à la mode dans le monde des RH. Avant d’adopter une nouvelle tendance avec enthousiasme, ayons la rigueur de nous poser les bonnes questions. En matière de tendances, prenons-en deux en exemple (voir figure 1 ci-dessous). Ces tendances ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, mais au-delà de l’enthousiasme initial, la capacité à se poser les bonnes questions est essentielle! Votre organisation est unique, alors attention au « one size fits all »!

2 compétences du futur pour 2020 :

  1. Pensée critique
  2. Capacité à résoudre des problèmes complexes

La curiosité intellectuelle

Quel est le dernier article scientifique que vous avez lu? Combien de mythes perdurent en RH (pensons aux facteurs qui motivent le personnel ou aux fameux défis posés par la génération des milléniaux) qui pourraient être facilement évités si on avait la curiosité de s’intéresser à ce que la science dit sur ces questions? Les professionnels RH ont cette qualité d’être portés vers l’humain et le ressenti, mais pour être écoutés, cette qualité ne doit pas porter ombrage à leur rationalité.

Quel est le dernier livre que vous avez lu sur les neurosciences, l’anthropologie, la sociologie, la philosophie ou l’économie? Un professionnel RH qui veut être crédible a tout intérêt à élargir son champ de connaissances. Si notre intérêt est d’amener des êtres humains à contribuer à leur pleine mesure au succès organisationnel, les réponses viendront de divers horizons. Le premier pas est de se nourrir à d’autres sources d’information que celles qui nous viendraient en premier à l’esprit.

Assistez à une formation destinée aux professionnels RH et vous entendrez certainement le besoin des professionnels d’avoir un contenu praticopratique, par opposition à de la théorie ou à de la réflexion intellectuelle. Il faut toutefois être prudent avant de mettre ces éléments en opposition. Nos professionnels sont des gens qui se valorisent dans l’action, mais sans perspective sur nos actions, nous travaillons fort, certes, mais faisons-nous « plus de la mauvaise chose » ou réellement la bonne chose? Sans ces questions, ne sommes-nous pas condamnés à répéter les mêmes erreurs?

Au récent forum économique de Davos, la capacité à résoudre des problèmes complexes et la pensée critique ont d’ailleurs été identifiées comme les deux compétences du futur pour 2020. Notre domaine, parce qu’il concerne l’humain et sa complexité, est à risque d’être influencé par la psycho-pop simpliste. L’expert RH a la responsabilité de développer un esprit critique face à ce qu’on lui lance.

Vision stratégique : être critique et favoriser la création de valeur

Qu’est-ce qui empêche les dirigeants de votre entreprise de dormir la nuit? Qu’est-ce qui les préoccupe? Quels seront les enjeux stratégiques de votre organisation dans cinq ans, dix ans? Si on ne sait pas répondre à ces questions, comment être ce fameux partenaire stratégique? Un bon professionnel RH sera proactif face aux défis organisationnels et démontrera le rôle que le service RH peut jouer pour soutenir l’atteinte des grands objectifs stratégiques. Cela signifie notamment que le professionnel adapte les pratiques RH en fonction de ces défis. En ce sens, doit-on être orienté client interne? Peut-être, dans la mesure où l’on admet que le client n’est pas toujours roi et qu’il n’a pas toujours raison. Être au service de son organisation signifie d’avoir une véritable voix pour remettre en question les façons de faire qui nous éloignent du succès organisationnel. Être stratégique signifie également être prudent face aux pratiques exemplaires et adopter une approche plus adaptée à nos défis uniques.

Conclusion

Dave Ulrich, gourou des RH, positionne la crédibilité à la base du modèle renouvelé des compétences en RH, car sans celle-ci, les autres compétences deviennent inutiles. Les défis du futur, dans notre économie du savoir, seront des défis centrés sur l’humain. Qu’il soit question d’innovation, d’agilité organisationnelle, de fidélisation du personnel qualifié, de mobilisation des personnes ou de développement des leaders de demain, la fonction RH peut jouer un rôle proactif et créer de la valeur. Saura-t-elle le faire? Pour réussir, le professionnel RH doit constamment se remettre en question et s’assurer de poser les bonnes actions qui servent réellement la mission de l’entreprise. On demande souvent aux gestionnaires de se remettre en question, et leur déficit d’introspection frustre parfois nos professionnels RH. Alors, soyons cohérents : questionnons-nous également sur nos angles morts et élevons notre jeu d’un cran. C’est dans l’intérêt de notre profession, de notre carrière et, très certainement, de l’entreprise.


Jean-François Bertholet, CRHA Consultant en développement organisationnel Jean-François Bertholet
Titulaire d’une maîtrise en sciences de la gestion de HEC Montréal et d’un baccalauréat en relations industrielles de l’Université de Montréal, Jean-François Bertholet est spécialisé dans les questions de mobilisation des ressources humaines et de climat organisationnel. Il gère notamment des sondages en milieu de travail qui visent à transformer les organisations, en plus de conseiller ses clients dans les diverses étapes de leur démarche de mobilisation. Membre de l’ORHRI [L1] à titre de CRHA, il enseigne également plusieurs cours de gestion à HEC Montréal.

Source : Revue RH, volume 20, numéro 4, novembre/décembre 2017