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Enjeux : les employeurs face à la radicalisation menant à la violence

Le phénomène de la radicalisation n’est pas nouveau. C’est son expression par la violence qui est devenue plus présente, et ce, partout à travers le monde.

1 juillet 2017
Lucie Gobeil

Depuis l’attentat à Charlie Hebdo, l’Occident a ouvert les yeux sur une réalité effrayante : la menace peut venir de l’intérieur. L’Europe a connu plusieurs autres événements tragiques que la seule vigilance n’a pas su prévenir. Plus près de nous, de jeunes hommes « ordinaires » ont commis des actes d’une violence inouïe et des cégépiens ont voulu se joindre à une lutte armée qui est soudainement devenue leur cause. Que s’est-il passé?

Le phénomène de la radicalisation n’est pas nouveau. C’est son expression par la violence qui est devenue plus présente, et ce, partout à travers le monde.

Les professionnels RH sont-ils concernés?

L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés s’est intéressé à la question. Est-il possible de détecter les risques de radicalisation et de la prévenir? Les professionnels RH sont-ils outillés pour ce faire?

Pour en discuter, l’Ordre a fait appel au spécialiste en la matière, M. Herman Deparice-Okomba, Ph. D., directeur général du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV). Le Centre a été créé en 2015 par la Ville de Montréal avec l’appui du gouvernement du Québec. Unique au Canada et en Amérique du Nord, sa réputation va bien au-delà de ces frontières et de nombreux intervenants venus de partout le visitent pour s’en inspirer. Avant sa nomination au CPRMV, M. Deparice-Okomba a travaillé pendant dix ans au Service de police de la Ville de Montréal où il était responsable des dossiers sociaux (profilage racial et social, relations avec la communauté, prévention de la criminalité, etc.).

La radicalisation en milieu de travail

Nous avons d’abord demandé à M. Deparice-Okomba s’il était possible de faire de la prévention de la radicalisation en milieu de travail. Sa réponse est claire, oui. Ce qui importe, c’est que les gestionnaires soient correctement outillés et formés pour le faire. Ils doivent être en mesure d’identifier les comportements à risque, notamment les actes de rupture ou de protection qui amènent une personne à s’isoler, à couper les liens avec l’équipe, le groupe, voire avec toute l’organisation. Il faut également reconnaître les facteurs de vulnérabilité, par exemple, changement dans le discours, propagande, apologie de groupes extrémistes, etc.

Il faut toutefois éviter de dramatiser. « Être radical dans ses opinions n’est pas forcément mauvais ; c’est la violence qui pose problème. » C’est ainsi que M. Deparice-Okomba résume cette question en insistant sur la nécessité de doter les gestionnaires de compétences, d’outils et d’un cadre formel bien défini qui leur permettront de faire la différence entre une radicalisation d’opinion et une radicalisation susceptible de mener à la violence.

La radicalisation menant à la violence : comment agir?

  1. Ne réagissez pas de façon excessive : le dialogue est votre principal outil.
  2. Rappelez fermement les règles de la collaboration au travail et l’importance de la cohésion d’équipe.
  3. Restez vigilant et assurez-vous que le comportement d’un membre du personnel ou votre gestion de la situation n’entraîne pas un climat de paranoïa ou de suspicion.
  4. Dans le respect de la Loi sur les normes du travail, évaluez si la situation exige un changement de poste ou de lieu de travail.
  5. Assurez-vous que votre organisation dispose de la structure et des outils nécessaires (politiques et formations adaptées) pour prévenir la radicalisation violente, la reconnaître et la contrer.

Source : Centre de prévention de la radicalisation menant à la violance (CPRMV)

Les professionnels RH et la radicalisation

Selon M. Deparice-Okomba, le professionnel RH joue le rôle de pivot dans l’organisation. C’est lui qui sera le plus souvent confronté à des cas de radicalisation en milieu de travail. Il lui faut donc prendre la situation très au sérieux, tout en évitant l’exagération. Il doit être capable de faire abstraction de ses propres préjugés et poser un regard juste, équilibré et objectif afin d’agir de bonne foi.

Le spécialiste suggère d’aborder toute situation potentiellement à risque en mettant en place un processus en cinq étapes, dont la plus importante sera de rencontrer la personne concernée.

Premièrement, analyser le contexte afin de comprendre ce qui se passe, entre autres en relevant les changements de comportement ou de discours.

Ensuite, préparer soigneusement la rencontre. Le plus délicat pour le professionnel sera de réaliser une autocritique afin d’éliminer le plus possible ses idées préconçues, ses perceptions faussées et ses stéréotypes. Autrement dit, vider son esprit de tout biais. À la suite de cet autoexamen, il pourra, de façon bienveillante, vérifier auprès de collègues si sa réflexion est juste et si ses craintes sont fondées.

Puis, il y aura rencontre avec la personne, en toute discrétion. Surtout, éviter de la stigmatiser aux yeux des autres employés. Il ne s’agit pas de répression ni de remontrances à son endroit, mais d’examiner ses préoccupations et d’essayer de les comprendre afin de trouver des solutions. Il sera alors question du bien vivre ensemble dans le milieu de travail, dans l’intérêt des individus et de l’entreprise.

L’analyse de la rencontre revêt une importance capitale. Est-ce que les échanges avec la personne ont été rassurants, est-ce que les éléments identifiés comme préoccupants sont toujours présents ? C’est là que le professionnel aura tout intérêt à consulter des spécialistes en matière de radicalisation afin d’obtenir une perspective plus large du cas concerné. En effet et comme le précise M. Deparice-Okomba,

« Un cas de radicalisation pris dans un contexte ou dans un autre donne d’autres effets. » D’où la nécessité de croiser sa propre appréciation avec celles de professionnels qui ont l’expérience de ces situations extrêmement complexes.

Enfin, il faudra effectuer un suivi de la rencontre en ayant établi un plan d’intervention qui englobera la personne, ses collègues et le gestionnaire, qui aura un rôle essentiel à jouer pour le rétablissement du climat et des individus. Un programme d’accompagnement offert à ce dernier pour favoriser un esprit d’ouverture, d’agilité et d’objectivité assurera le succès de la démarche.

Pour un climat de travail harmonieux dans la diversité 

Nous avons aussi demandé à M. Deparice-Okomba comment nos professionnels pouvaient contribuer à créer et maintenir un climat de travail sain et harmonieux dans un contexte de diversité.

Ce qu’il nous décrit peut paraître d’une grande évidence et pourtant, peu d’organisations peuvent affirmer le mettre en pratique. Ainsi, l’établissement d’un cadre précis appuyé de politiques et de directives claires doit insuffler à toutes les interventions et à toutes les fonctions un esprit d’inclusion. De plus, la direction doit adopter une position ferme où aucun discours ni attitude de rejet, de discrimination ou d’exclusion ne seront tolérés. Elle doit affirmer haut et fort que toutes les compétences de tous les collaborateurs sont nécessaires au développement de l’entreprise.

Les professionnels RH ont aussi un rôle crucial à remplir en mettant en oeuvre des initiatives qui favorisent l’épanouissement intellectuel de chacun, dans la richesse de leur diversité, pour promouvoir des valeurs d’ouverture et de tolérance devant cette différence. En outre, prendre le temps de valoriser, d’encourager et de récompenser les actes d’inclusion entraînera un mouvement de bienveillance qui influencera en profondeur le climat de travail.

M. Deparice-Okomba conclut sur cette phrase qui nous donne confiance en l’avenir : « L’ouverture et la tolérance font partie de notre culture, de l’ADN du Québec. » Voilà qui décrit bien l’avantage dont disposent nos professionnels pour apporter une contribution déterminante à l’implantation d’un climat de travail sain.


Pour aller plus loin


Lucie Gobeil

Source : Revue RH, volume 20, numéro 2, juillet/août 2017