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Le jeu immersif : nouvelle stratégie de développement dans l’action

Comment optimiser les mesures de formation et viser une maîtrise rapide des apprentissages? Par le jeu immersif.
1 décembre 2017
Jean-Philippe Bradette, CRHA | Geneviève Desautels, CRHA, MBA, MCC

Exploiter les propriétés des jeux en éducation et en formation, c’est avant tout rechercher chez nos apprenants un engagement fort dans leur expérience d’apprentissage. Cet engagement est garanti lorsque l’apprenant se sent immergé dans l’environnement ludifié, au point ultime où son intellect, ses émotions, ses capacités cognitives et sa motivation sont entièrement consacrés à l’expérience ludique.

Mais alors, qu’est-ce que l’immersion dans un environnement ludifié d’apprentissage? Qu’entendons-nous par jeu immersif? Et surtout, comment rendre nos formations plus immersives?

Ludification, jeux sérieux et immersion

Avant de définir le concept d’immersion, il nous semble important de présenter nos définitions de ludification (gamification) et de jeux sérieux (serious games). En nous appuyant sur la définition de Deterding et al. (2011), nous concevons la ludification comme l’intégration d’éléments de design propres aux jeux dans des environnements d’apprentissage. L’objectif poursuivi est de favoriser l’interactivité entre l’apprenant et le système ludifié, tout en le motivant et en l’engageant dans son expérience d’apprentissage.

La littérature scientifique comme les médias véhiculent de nombreuses définitions du jeu sérieux. Les jeux sérieux sont des systèmes intelligents d’apprentissage dont l’application s’appuie sur les jeux vidéo et qui ont pour but de favoriser l’acquisition de connaissances et le développement de compétences chez l’apprenant en exploitant sa capacité de motivation et d’engagement dans le jeu vidéo.

Notez bien dans ces deux définitions la présence du concept d’engagement, interrelié au concept d’immersion que nous allons définir ensuite.

L’engagement et l’immersion des apprenants : le but ultime des formateurs

Le terme d’immersion se retrouve davantage dans le domaine des jeux vidéo : il relie le joueur au contexte « fantaisiste » de l’environnement de jeu et réfère à la sensation d’être entouré d’une réalité tout autre focalisant toute l’attention du joueur. L’immersion peut être sensorielle (musique, graphiques, etc.) ou basée sur du challenge (juste équilibre entre le challenge et les capacités du joueur). Dépendamment du joueur, l’imagination (capacité à être absorbé par le jeu) peut favoriser l’immersion.

Motivation, engagement, émotions et immersion sont des concepts interreliés, mais néanmoins différents. La motivation est un concept de plus haut niveau faisant référence à l’envie d’apprendre et aux besoins de l’apprenant. Ce concept englobe donc à la fois l’apprenant en tant qu’individu et son expérience de jeu, alors que l’engagement et l’immersion se focalisent sur l’expérience de jeu. Nous considérons l’engagement et l’immersion comme des concepts très proches, se focalisant sur les émotions, les pensées, les sensations de plaisir et de challenge de l’apprenant dans l’environnement ludifié, ce qui rend ces concepts plus précis que celui de motivation. Illustrée par la théorie du flow, notre définition de l’immersion fait référence au ressenti d’une « expérience optimale », selon l’expression de Csikszentmihalyi (1990), pour que l’apprentissage ait lieu. L’apprenant est si engagé dans l’activité d’apprentissage qu’il en oublie le temps, la fatigue et tout ce qui l’entoure sauf l’activité elle-même. L’apprenant fonctionne alors au maximum de ses capacités cognitives et physiques. Il s’engage alors pleinement et avec plaisir dans l’activité d’apprentissage pour elle-même et non pour seulement obtenir une récompense à la fin (certificat, validation de sa participation à la formation, etc.)

Afin de provoquer cet état chez l’apprenant, il faut trouver dans l’expérience ludifiée une forme d’équilibre entre le défi proposé (challenge) et la capacité de l’apprenant à le relever. En cas de déséquilibre entre le défi et la compétence, nous passons par des états plus ou moins éloignés de l’immersion : ennui, anxiété, apathie, etc. La difficulté du jeu immersif en formation doit être adaptée au niveau de progression de l’apprenant, afin de ne pas le submerger quant aux apprentissages à effectuer, ce qui entraînerait un risque de frustration et d’anxiété. En même temps, il faut ne pas rendre les tâches trop faciles à exécuter, ce qui entraînerait un sentiment d’ennui ou de confusion. D’un côté comme de l’autre, le risque ultime est que le joueur se désengage, perde sa motivation (et donc son intérêt) envers la formation!

La valeur ajoutée du jeu immersif

La recherche et la pratique révèlent plusieurs avantages à l’utilisation du jeu immersif dans le parcours d’apprentissage de l’adulte. Bien entendu, il faut être conscient du contexte d’utilisation et s’assurer que le public cible sera réceptif. Parmi les nombreux avantages, on note principalement :

  1. La motivation accrue des participants. Un des principaux avantages de l’usage du jeu immersif est l’impact globalement positif sur la motivation des apprenants. Si on peut penser que l’aspect « nouveauté » de l’introduction du jeu dans un parcours d’apprentissage entre en ligne de compte, les quelques études sur l’utilisation de jeux sur le long terme montrent bien que l’objet « jeu immersif » en tant que tel peut apporter un gain de motivation. Cela est dû au fait que le jeu immersif donne une rétroaction constante sur les actions posées, qui crée la motivation (Whitton, 2011).
  2. L’apprentissage par l’expérience (essais et erreurs). Un autre avantage des jeux immersifs est la possibilité pour l’apprenant d’expérimenter et de prendre lui-même des décisions sur une situation donnée. La plupart des jeux immersifs s’appuient sur un mode d’apprentissage par essais et erreurs : l’apprenant construit mentalement une « hypothèse » avant de la tester dans le jeu. Il a alors un retour positif ou négatif. Il doit donc affiner son hypothèse jusqu’à trouver la solution qui lui permet de « gagner ». Un bon jeu immersif propose à l’apprenant des informations pour l’aider à construire lui-même une hypothèse juste (Sanchez, 2011).
  3. Un outil pédagogique qui permet au formateur d’enseigner « sur mesure ». Le recours au jeu immersif peut aider le formateur à prendre en compte les différents rythmes d’apprentissage parmi les apprenants d’un même groupe. En effet, chaque apprenant peut progresser dans le jeu à son propre rythme. Le formateur a accès en temps réel à chacune des réponses de tous les apprenants. Il peut ainsi stimuler les échanges et interpeller les apprenants en sachant réellement ce qu’ils ont répondu.
  4. La stimulation des échanges entre les participants. Certains jeux immersifs permettent de stimuler des interactions pédagogiques entre apprenants. Le jeu encourage la communication et la collaboration entre les apprenants, aussi bien en ligne qu’en personne. Les apprenants s’expliquent mutuellement des concepts, se félicitent lorsqu’ils réussissent ou s’entraident lorsqu’ils échouent, et ils peuvent créer un esprit d’équipe transposable bien au-delà de la formation. Ils apprennent à travailler et à collaborer en échangeant sur leurs différents points de vue et en faisant, par le fait même, état de leurs forces et talents individuels et d’équipe.

Valeur ajoutée du jeu immersif :

  • Motivation accrue des participants
  • Apprentissage par l’expérience
  • Enseignement « sur mesure »
  • Stimulation des échanges entre les participants

Comment inclure le jeu immersif dans un parcours d’apprentissage

La plupart des études sur l’utilisation efficace d’un jeu immersif démontrent le rôle central du formateur dans la réussite de cette activité pédagogique. Le simple fait d’ajouter un « jeu » à un parcours d’apprentissage a peu d’impact sur ce que les participants apprennent! Tout réside dans le discernement du formateur et/ou du concepteur pédagogique, qui inclut le jeu immersif au bon moment dans une démarche d’apprentissage.

D’après des expérimentations menées par Habgood (2007), un même jeu immersif s’avère bien plus efficace pour l’acquisition de connaissances si le formateur prend la peine, après la séance de jeu, de faire un compte rendu collectif avec les apprenants.

C’est donc une excellente façon de réintroduire la formation en classe « présentielle » en y incluant un volet numérique, et ce, dans la mesure où le formateur ajuste la diffusion de son contenu de formation aux réponses des apprenants, ce qui pourrait être un élément déstabilisant pour certains formateurs.

La question fondamentale demeure : quels sont les objectifs d’apprentissage que l’on souhaite atteindre avec le jeu immersif?

L’intégration du jeu doit être effectuée par le formateur. Le manque de retour en groupe et d’introduction à la matière fait en sorte que le jeu immersif est moins significatif pour les apprenants.

Si le formateur n’assume pas son rôle de médiateur correctement, le jeu immersif n’améliore pas l’apprentissage de l’apprenant. La recherche démontre que sans introduction et retour avec le formateur, le jeu immersif est moins efficace pour acquérir des connaissances (Djaouti, 2016).

Il ne faut pas oublier les contraintes matérielles et logistiques. Il est important de s’assurer que la technologie utilisée est simple pour l’apprenant, tant au niveau des consignes de jeu que de la manipulation de l’outil de jeu.

Conclusion

Si la notion de plaisir et de bien-être au travail fait de plus en plus sa place au sein des entreprises, le fait de « jouer » dans un environnement de travail est encore paradoxal dans l’esprit de certains dirigeants. Il est donc important de bien différencier le fait de s’amuser en jouant à un jeu et celui d’apprendre par l’expérience immersive que procure le jeu. On ne le dira jamais assez : le succès de cette méthode d’apprentissage encore novatrice réside dans la capacité du formateur à utiliser en temps réel les réponses des apprenants pour créer une formation sur mesure à chacune de ses formations. Le jeu immersif requiert le développement de nouvelles habiletés, tant pour le formateur que pour l’apprenant qui devra davantage s’investir dans la démarche d’apprentissage.


Références bibliographiques

  • CALLIES, Sophie (2016). Architecture de génération automatique de scénarios pédagogiques de jeux sérieux éducatifs (Thèse de doctorat). Université du Québec à Montréal.
  • CSIKSZENTMIHALYI, Mihaly (1990). Flow: The Psychology of Optimal Experience. New York, Harper & Row, 303 pages.
  • DETERDING, Sebastian, Dan Dixon, Rilla Khaled et Lennart Nacke (2011, 28-30 septembre). From Game Design Elements to Gamefulness: Defining Gamification. Communication présentée à la 15th International Academic MindTrek Conference: Envisioning Future Media Environments, Tampere, Finlande.
  • DJAOUTI, Damien (2016, 25 mai). Jeux sérieux : avantages et limites. Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (France).
  • HABGOOD, Matthew Peter Jacob (2007). The Effective Integration of Digital Games and Learning Content (Thèse de doctorat). University of Nottingham.
  • SANCHEZ, Eric (2011). « Usage d'un jeu sérieux dans l'enseignement secondaire. Modélisation comportementale et épistémique de l'apprenant ». Revue d'Intelligence Artificielle, vol. 25, no 2, pages 203-222.
  • WHITTON, Nicola (2010, 10 août). « Game Engagement Theory and Adult Learning ». Simulation & Gaming, vol. 42, no 5, pages 596-609.

Jean-Philippe Bradette, CRHA Président Apprentx

Jean-Philippe Bradette, CRHA est cofondateur d’ellicom, une entreprise mondialement reconnue pour le développement de solutions de formation sur mesure, où il a été pendant 13 ans vice-président, stratégies d’apprentissage et innovation. En plus de diriger l’équipe de développement technologique, M. Bradette a mis sur pied un service entièrement consacré à la recherche et au développement : la Dream Factory, un incubateur technologique favorisant le pilotage de projets hors des sentiers battus pour des clients souhaitant explorer le monde de la technologie. Jazz Pharmaceuticals, l’UNICEF, Postes Canada, l’OMS, Cascades, Maroc Télécom, le CN et Loblaws font partie des clients qu’il accompagne dans le choix de stratégies d’apprentissage. Ces projets, qui mettent l’utilisation créative des technologies au service du transfert efficace des connaissances, lui ont d’ailleurs valu de nombreux prix nationaux et internationaux. Conférencier, entrepreneur dans l’âme, papa de jumelles et cycliste aguerri, Jean-Philippe Bradette s’est donné pour mission de faire une différence dans la vie des gens à travers des solutions d’apprentissage qui facilitent leur travail au quotidien..


Author
Geneviève Desautels, CRHA, MBA, MCC Directrice générale, rédactrice en chef invitée Éduc'Alcool
A propos de moi Mes racines professionnelles font de moi une leader ressources humaines depuis 25 ans déjà. Après avoir eu beaucoup de plaisir à faire des relations de travail, j’ai découvert le développement organisationnel et particulièrement de développement des compétences. À travers mon parcours de 16 ans en organisation, j’étais une intrapreneure. J’ai coordonné et dirigé des équipes au sein de petites, moyennes grandes et très grandes organisations publiques et privées. En quittant volontairement le milieu organisationnel, j’ai d’abord été 6 ans travailleur autonome. J’ai développé une passion pour tout ce qui touche le leadership authentique. J’ai d’ailleurs écrit 2 ouvrages sur le sujet : « Oser le monde en soi » (2012) et « Déclic : de la conscience à l'action » (2016). Depuis 4 ans, je suis chef d’entreprise ; je dirige 2 entreprises (Amplio Stratégies et Illuxi) et travaille avec mes équipes à créer les parcours de développement les plus efficaces, percutants, mesurables et engageants en mettant l’apprenant au centre de tout ce que l’on développe. Être experte ET agir en leader-coach, c’est mon quotidien!

Source : Revue RH, volume 20, numéro Hors-série