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La médiation culturelle en entreprise : une expérience innovante d’apprentissage

À l’ère de l’innovation et de la créativité, quel est le meilleur moyen de développer des compétences en ce sens?
1 décembre 2017
Madeleine Turgeon

Les tendances du marché confirment l’importance de la collaboration, de l’innovation et de la créativité comme compétences clés pour 2020. Dans le domaine des ressources humaines, il est parfois difficile de trouver la solution qui permettrait de développer concrètement ces compétences.

S’il existe un moyen de plus en plus utilisé pour mobiliser les connaissances en innovation et développer collectivement le savoir-faire créatif et collaboratif, c’est bien la médiation culturelle. Cette pratique vient d’une appropriation démocratique de l’art. On la voit dans les espaces publics et les écoles. Mais la médiation culturelle a fait son entrée dans les entreprises depuis quelques années en proposant entre autres des ateliers de consolidation d'équipe à travers un processus dynamique menant à la création d'une oeuvre collective en arts visuels, en littérature, en danse, en musique, etc. À l’ère de l’économie du savoir et de l’innovation, on doit savoir développer le sens de la créativité, et c’est ici que la médiation culturelle en entreprise prend le plus de sens.

En termes de formation, la médiation culturelle prend la forme de l’apprentissage social. C’est la dynamique entre un artiste professionnel et le groupe qui permet de développer la créativité tout en créant une oeuvre collective, utilitaire ou symbolique, conçue pour durer dans le temps. C’est donc aussi un excellent outil de transfert des apprentissages puisque l’oeuvre collective reste visible pour les équipiers dans leur environnement de travail et peut ainsi conserver le souvenir du plaisir partagé et du processus de création collective.

L’expérience créative

Au départ, il est essentiel de définir le besoin et de formaliser l’objectif en tenant compte des personnes concernées. Lorsque vous êtes à la recherche d'une activité collective pour redonner une dose d’énergie à vos équipes ou stimuler la collaboration, plusieurs pensent tout d’abord au team building sportif pour proposer une aventure humaine sous une forme de défi. Mais avez-vous pensé au team building créatif, ou médiation culturelle, pour offrir à vos collaborateurs la possibilité de créer une oeuvre artistique collective?

Ayant beaucoup évolué depuis sa création, le team building créatif a la particularité de faire intervenir l’identité et le rôle de chaque collaborateur afin qu’il puisse réellement s’engager dans les ateliers organisés. Ce concept, maintenant appelé « médiation culturelle », est offert par des artistes eux-mêmes médiateurs culturels à des organisations soucieuses de développer les processus créatifs et de renforcer le sentiment d’appartenance de leurs employés à l’entreprise. L’artiste qui fait de la médiation culturelle est reconnu pour avoir les compétences nécessaires pour encourager les individus à communiquer tant visuellement que verbalement, tout en s’engageant dans un processus à la fois physique, intellectuel et émotionnel. Son travail de conception et d’accompagnement doit être coordonné dans la mesure où il met en relation les savoirs, le savoir-faire et le « savoir faire faire ». Le médiateur culturel intervient dans le processus de la production de l’entreprise à l’étape où l’on doit réunir les employés autour d’un projet qui vise le tissage de liens, le partage de connaissances, la résolution de problèmes et la mobilisation, tous nécessaires à une équipe soudée et efficace.

Tous les artistes ne sont pas professionnels et tous les artistes professionnels ne sont pas des médiateurs. Afin de confier votre entreprise et ses employés à une personne qui sera en mesure de vous offrir une expérience de médiation culturelle enrichissante, communiquez avec le Conseil de la culture de votre région. Les conseils régionaux de la culture sont des organismes à but non lucratif qui regroupent les artistes professionnels et les organismes culturels d’une région donnée. Véritables centres névralgiques, ils forment un réseau d’acteurs des arts et de la culture. Ils pourront vous aider à trouver la perle rare pour vos activités d’art en entreprise, selon vos besoins.

Les entreprises qui décident de déployer des projets artistiques collaboratifs font ainsi vivre des expériences uniques d’apprentissage social en s’offrant de nouveaux repères dans les relations arts-affaires qui vont au-delà de la philanthropie et du mécénat. Parmi les organisations québécoises ayant vécu une expérience enrichissante et déterminante, on compte notamment les caisses Desjardins, le Tribunal administratif du Québec, Molson, Danièle Henkel inc., Cascades, La Capitale groupe financier et Bell, pour ne nommer que celles-là.

Il faut souligner que l’apport de l’art au renouvellement des pratiques managériales a longtemps été sous-estimé ou écarté. Aujourd’hui, il n’y a plus de doute, de nombreuses expérimentations ont illustré la contribution des processus artistiques et créatifs à la transformation sociale et à l’innovation en milieu de travail. Des chercheurs se sont intéressés aux similitudes entre le monde des arts et le monde des affaires, a priori aux antipodes. Le constat qu'ils font est étonnant : le monde des affaires a beaucoup à apprendre du monde des arts.

Premièrement, les artistes sont des néophiles. Ils carburent à la nouveauté et ont un appétit insatiable pour créer de nouvelles connexions, pour inventer et se réinventer. On peut faire un parallèle avec les entreprises qui doivent générer des solutions innovatrices.

Les artistes et les innovateurs ont une aptitude à proposer des solutions aux problèmes, car ils voient les choses différemment. Innover dans le milieu des affaires, c’est en quelque sorte utiliser les mêmes chemins que le processus créatif. On sait au départ où l'on aimerait aller, mais le chemin à emprunter n'est pas fixé et ne ressemble aucunement à une ligne droite. Il faut s’immerger et entreprendre avec l'incertitude, exactement comme l'artiste qui improvise sur sa toile, ou l’improvisateur jazz qui cherche les notes les plus consonantes. On n’innove pas en refaisant ce qui existe... L’entreprise a tout à apprendre des chemins de la création artistique.

La médiation culturelle peut favoriser l’intelligence collective et l’innovation par l’intelligence émotionnelle, qui assure la sécurité psychologique nécessaire pour essayer de faire autrement. Les artistes observent les besoins, les émotions et les comportements humains avec un oeil sensible, exigeant, et avec une grande empathie. L’intelligence émotionnelle est la capacité à reconnaître et à comprendre les émotions pour mieux agir sur elles. Nos comportements étant influencés par nos émotions, la pratique de l’art s’avère un outil clé qui nous permet de les canaliser et de les extérioriser. L’habileté à reconnaître les émotions que l’on développe alors nous amène à faire preuve d’empathie et à cultiver de meilleurs rapports interpersonnels, exactement ce qu’il faut pour des collaborations gagnantes au travail.

Au coeur de cette rencontre entre le monde de l’art et des affaires, le projet artistique devient moteur et courroie de transmission. Il peut se traduire en oeuvres sculpturales, murales, musicales ou littéraires. Il y a autant de projets que d’idées! En plus, les activités culturelles en entreprise sont un facilitateur pour réduire le stress, renforcer l’esprit d’équipe, améliorer le climat de travail et le bienêtre des employés. Elles aident également à la rétention des professionnels et au développement du potentiel d’innovation.


Madeleine Turgeon
Madeleine Turgeon est une artiste multidisciplinaire qui évolue dans le milieu des arts visuels depuis 1995. Des études à l’Université McGill ont précédé sa formation en arts visuels à l’Ontario College of Art and Design (OCAD University). Elle a été honorée de la distinction d’académicienne par l’Académie Internationale des Beaux-Arts du Québec. Elle est parmi les pionnières qui ont introduit l’art dans les entreprises et institutions comme outil managérial. Au fil de ses œuvres en médiation culturelle dans les milieux d’affaires, de la justice, de la santé et de l’éducation, elle a développé un intérêt marqué pour les sciences de la créativité.

Source : Revue RH, volume 20, numéro Hors-série