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Vers la santé globale au travail : implantation de la démarche Entreprise en santé

En cette période de sollicitation grandissante du système de santé, un des enjeux majeurs inscrits dans la planification stratégique 2010-2015 du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec est l’attraction et la fidélisation d’une main-d’œuvre hautement qualifiée.

20 avril 2011
Sylvie Mallette, CRIA

En effet, de par la nature de son offre de services (nuit et jour, sept jours par semaine), les ressources humaines sont au cœur du système de santé et de la qualité des soins et services dispensés à la population. Dans ce contexte, la santé globale et le mieux-être des employés, comme levier d’attraction et de fidélisation de la main-d’œuvre, représentent une orientation stratégique importante pour le Ministère.

Le Ministère a donc décidé d’adopter une approche préventive à l’égard de la santé globale du personnel du Réseau de la santé et des services sociaux du Québec. C’est ainsi que le programme de santé et sécurité du travail est devenu le programme Santé des Organisations et des Individus.

La santé organisationnelle d’un point de vue scientifique
Récemment, on a souligné que les praticiens en ressources humaines devaient devenir des partenaires stratégiques pour leur organisation afin d’optimiser la gestion et le bien-être du capital humain de leur entreprise (Hamlin, 2007). C’est en suggérant des solutions et des interventions basées sur les meilleures pratiques et sur des données probantes qu’il est possible d’implanter des solutions durables pour assurer à la fois la productivité d’une organisation et la santé de son personnel. La norme Entreprise en santé est un bel exemple de tendance innovante en matière de santé et de sécurité du travail. Développée grâce à l’intégration des meilleures pratiques en santé organisationnelle, cette norme vise l’amélioration et le maintien de la santé des employés d’une entreprise. Par conséquent, elle manifeste une vision stratégique proactive de la gestion de la santé et du bien-être des ressources humaines.

Qu’est-ce que la norme Entreprise en santé?
Cette norme est une démarche d’amélioration continue qui s’appuie sur quatre sphères d’activité (voir Tableau 1) reconnues scientifiquement pour leur impact positif sur la santé physique et psychologique des employés. C’est parce qu’elle touche à la fois des éléments de pratiques de gestion et des enjeux plus personnels telles les habitudes de vie que le Ministère a décidé d’adopter cette norme. Par exemple, concernant les pratiques de gestion, des études montrent qu’un déséquilibre entre la reconnaissance et la charge de travail perçues affecte la santé et le bien-être des employés (Siegrist, 1996). Ainsi, l’établissement d’une culture de reconnaissance au quotidien dans l’environnement de travail et une révision de la charge de travail des employés peuvent contrebalancer ce déséquilibre.

Les cinq exigences de la norme Entreprise en santé
  • Engagement de la direction
  • Formation d’un comité santé et mieux-être
  • Collecte de données
  • Mise en place d’un plan d’action
  • Évaluation des actions

Tableau 1 – Les sphères de la norme Entreprise en santé
HABITUDES DE VIE
  • Habitudes alimentaires
  • Activité physique
  • Stress
  • Tabagisme
ÉQUILIBRE TRAVAIL – VIE PERSONNELLE
  • Flexibilité des horaires
  • Aménagement du temps de travail
  • Congés pour raisons personnelles
  • Garderie au travail
ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL
  • Ergonomie
  • Bruit-ventilation
  • Outils de travail disponibles
  • Installations physiques
PRATIQUES DE GESTION
  • Reconnaissance
  • Formation et développement
  • Participation aux décisions
  • Communication
  • Travail d’équipe
  • Charge de travail

Comment implanter une démarche de santé globale au travail
Le succès de toute démarche pour améliorer la santé organisationnelle demande la mise en place de conditions gagnantes. Celles-ci sont notamment issues des recherches concernant les meilleures pratiques de développement organisationnel et de gestion du changement. La norme Entreprise en santé propose une démarche exhaustive, fondée sur cinq exigences, appuyant les organisations dans l’établissement d’un tel programme.

Il faut d’abord qu’il y ait un engagement visible et clair de la direction envers la démarche. Si la direction n’est pas mobilisée et ne communique pas clairement ses intentions, le changement de culture requis par l’adoption d’un tel programme sera difficile à réaliser.

L’implication des employés et de la direction dans l’ensemble de la démarche, lors de la mise en place des actions notamment, est également une condition essentielle au succès de l’implantation d’une telle démarche. Il est beaucoup plus facile d’implanter des solutions pour remédier aux problèmes si les employés des établissements de santé sont mis à contribution dans leur identification. La formation d’un comité représentatif des employés est également un préalable à la démarche. Son mandat est notamment de développer le programme de santé et mieux-être du personnel en fonction des résultats d’une collecte de données.

Pour assurer l’efficacité de l’analyse de besoins, cette collecte de données est réalisée à l’aide d’un questionnaire (voir la cartographie du tableau 2 pour avoir une idée du contenu de la collecte). La rigueur du diagnostic procure des données probantes, spécifiques à l’organisation et à ses problématiques particulières afin de concevoir des solutions durables. Dans un second temps, la collecte implique de recueillir et de suivre dans le temps des indicateurs d’impacts RH. Sur le plan de la santé et de la sécurité du travail par exemple, les établissements participant à la démarche doivent suivre, entre autres, la fréquence et la gravité des accidents ainsi que le coût de cotisation à la CSST des trois dernières années.

Tableau 2 – Cartographie type d’une collecte de données

PRIORITÉ

DIMENSION NIVEAU DE RISQUE

1

Environnement de travail
ÉLEVÉ
2
Participation aux décisions
3
Gestion du rendement
4
Engagement du gestionnaire à la santé
5
Circulation de l’information
6
Reconnaissance
MOYEN
7
Formation
8
Conciliation travail – vie personnelle
9
Soutien du supérieur
10
Soutien des collègues
11
Alimentation
FAIBLE
12
Activité physique
13
Demande psychologique
14
Autonomie décisionnelle
15
Autonomie de compétence
16
Tabagisme

Finalement, on doit évaluer les actions (participation, satisfaction et résultats obtenus) contenues dans le programme pour permettre au comité d’évaluer l’efficacité et la pertinence des interventions implantées dans l’organisation. Par exemple, on peut évaluer à la fois le taux de participation et la satisfaction des gestionnaires formés sur la reconnaissance. On peut également, à plus long terme, sonder les équipes pour analyser si, après avoir suivi la formation, le gestionnaire immédiat fait preuve de plus de reconnaissance au quotidien. Un suivi de ces actions dans le temps permet d’ajuster le programme de santé organisationnelle s’il ne donne pas les résultats escomptés.

L’implantation de la norme dans le réseau de la santé et des services sociaux
Par sa nature globale et scientifiquement appuyée, la démarche Entreprise en santé s’est imposée comme solution intéressante pour tenter de répondre aux défis d’attraction et de fidélisation de la main-d’œuvre dans le Réseau de la santé et des services sociaux du Québec. Le suivi d’une banque de données nationale sur la gestion de la présence au travail a permis de constater qu’en 2008, 34 % des diagnostics d’invalidité du Réseau étaient associés à des problèmes de santé mentale au travail. C’est pourquoi des interventions touchant à la fois la santé physique, la sécurité du personnel et la santé mentale au travail ont été privilégiées.

Favoriser le passage à l’action
Pour aider les établissements de santé à passer à l’action, le programme Santé des Organisations et des Individus a choisi un modèle d’analyse des données inspiré des meilleures pratiques en matière d’intervention sur le terrain. En effet, certaines études scientifiques ont permis de développer des modèles d’analyse permettant de tracer un profil spécifique des priorités d’action à prendre en charge pour améliorer ou maintenir la santé des employés d’une organisation (Biron, Ivers, Brun et Cooper, 2006).

L’analyse des données permet d’obtenir une hiérarchie des dimensions à considérer pour favoriser la santé du personnel d’un établissement. Dans l’exemple du tableau 2, il serait suggéré au comité santé et mieux-être de commencer par mettre en place des actions reliées à l’environnement de travail et à la participation aux décisions, puisque ce sont des dimensions à risque élevé. Par la suite, des mesures visant la gestion du rendement et l’engagement des gestionnaires envers la santé des employés pourraient être implantées. Il est proposé aux établissements de procéder de façon systématique en tenant d’abord compte des dimensions à risque élevé, pour ensuite s’attaquer aux suivantes par ordre de priorité.

Suivi des établissements
Pour suivre l’efficacité des projets d’implantation de la démarche Entreprise en santé et en s’inspirant de travaux réalisés par la Coalition pour la qualité d vie au travail et des soins de santé de qualité, le Ministère a adopté huit indicateurs d’impacts RH qui sont suivis par tout établissement du Réseau de la santé et des services sociaux se prêtant à une démarche concernant le climat organisationnel. Ces indicateurs sont :
  • taux de roulement
  • taux de postes vacants
  • heures de formation de perfectionnement
  • heures supplémentaires
  • ratio d’assurance salaire
  • fréquence et gravité des accidents
  • satisfaction du personnel
  • recours à la main-d’œuvre indépendante

De cette façon, il sera possible d’établir à moyen terme les impacts les plus importants de la mise en place d’une telle démarche pour les établissements du Réseau de la santé et des services sociaux.

Bref…
Plusieurs initiatives favorables à la santé des employés existaient déjà dans les établissements du système de santé du Québec. La norme Entreprise en santé s’est révélée intéressante, en ce qu’elle constitue un levier d’intégration des initiatives existantes afin d’implanter un projet organisationnel mobilisateur pour le personnel et les gestionnaires des établissements de santé.

La mise en place d’une équipe multidisciplinaire, d’une combinaison de talents et de compétences stratégiques et techniques a été un gage de réussite pour le programme Santé des Organisations et des Individus. La force de la démarche du programme Santé des Organisations et des Individus réside, entre autres, dans la mise en commun de diverses compétences; cela a facilité l’accompagnement des établissements du Réseau dans leur cheminement vers des milieux où le climat de travail est sain, où la santé des employés est une préoccupation constante.

Simon Grenier, conseiller aux établissements et candidat au doctorat en psychologie du travail, Université de Montréal, et Sylvie Mallette, CRIA, coordonnatrice, PSOI, ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec

Source : Effectif, volume 14, numéro 2, avril/mai 2011.


Sylvie Mallette, CRIA