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Une culture virtuelle… et florissante

Pour comprendre comment une véritable culture organisationnelle peut s’épanouir au sein d’entreprises quasi virtuelles, il suffit d’assister au spectacle d’amateurs que la firme Emma inc. monte chaque année.

 
3 juillet 2012
Michelle V. Rafter

Cette entreprise de marketing virtuel installée à Nashville (Tennessee) emploie une centaine de personnes, dont plusieurs travaillent à partir de la maison ou de bureaux situés à Austin (Texas), Denver, New York et Portland (Oregon). Mais lorsqu’arrive le printemps, tout le monde se retrouve au Tennessee pendant une semaine – une tradition annuelle qui atteint son apothéose lorsque les employés prennent d’assaut une boîte de nuit des environs le jeudi soir afin de présenter leurs numéros. Jongleurs, joueurs de saxophone, danseuses du ventre, tous sont invités à dévoiler leurs talents cachés.

Pour la firme qui est en affaires depuis dix ans, c’est là un moyen de s’assurer que chaque employé, où qu’il soit, puisse retrouver le caractère unique d’Emma dès qu’il ouvre son portable, explique Clint Smith, chef de la direction et cofondateur. « Nous avons défini notre culture avec précision et de manière à ce qu’elle soit immédiatement perceptible pour quiconque. »

Les événements comme les spectacles d’amateurs ne sont pas qu’une occasion de se divertir, ce sont également des rituels qui contribuent à mieux définir l’essence d’une entreprise. C’est d’autant plus important dans le cas où la plupart sinon la totalité des employés travaillent de la maison, sur la route ou dans des succursales.

C’est ainsi que les jeunes entreprises qui fonctionnent de manière virtuelle dès le premier jour, les sociétés qui envoient leurs employés à la maison pour faire du télétravail de même que celles qui embauchent du personnel mobile sont en train de bousculer les conventions qui ont prévalu jusqu’ici quant à la façon d’instaurer une culture d’entreprise.

Le mandat de communiquer la culture organisationnelle incombe souvent à l’équipe des ressources humaines, et ce n’est pas une mince tâche. Dans le monde virtuel en particulier, il n’est pas facile de créer un esprit de corps, surtout pour les entreprises qui se lancent en affaires et qui visent une croissance rapide. « Il faut sortir de ses quatre murs, littéralement. Si vous pensez qu’il suffit d’amener les gens dans votre édifice, vous ne pourrez jamais arriver à vos fins. Ça ne fonctionne tout simplement pas », affirme Mary Sobon, autrefois directrice du marketing chez McDonald et maintenant conseillère en culture auprès des entreprises en démarrage et en croissance rapide.

Ce raisonnement va totalement à l’encontre de certaines observations selon lesquelles le travail en équipe basé sur une proximité géographique est plus efficace que la collaboration à distance. Une des études de Jonah Lehrer, cité dans un reportage récent du New Yorker intitulé Groupthink, révèle que les partenariats où les chercheurs travaillaient à moins de dix mètres les uns des autres étaient plus fructueux que ceux où les coauteurs étaient séparés par un kilomètre ou plus. Mais cela risque de changer avec le développement de la vidéoconférence, de la messagerie instantanée et d’autres technologies qui aident les travailleurs à surmonter les difficultés liées au travail à distance.

Chez Emma inc., le spectacle d’amateurs est l’une des mesures les plus visibles que la direction a adoptées pour faire en sorte que ses employés de partout « saisissent » la culture de l’entreprise, dont les produits sont utilisés par des dizaines de milliers de PME et d’agences de création. Voici d’autres mesures mises en œuvre...

Rédiger un manifeste ou une charte de l’entreprise. Lorsque le nombre d’employés d’Emma a atteint vingt-cinq, l’entreprise a mis sur papier les principes qui guident la gestion de l’entreprise – un aide-mémoire de la philosophie d’Emma, en quelque sorte. « Cela explique comment nous prenons nos décisions, collaborons et dirigeons. C’est un objet tangible et vivant, qui a sa propre respiration », déclare Clint Smith. Les gestionnaires en parlent constamment et l’enrichissent continuellement. Au cours des dernières années, on y a ajouté un Lexique Emma, qui comprend les termes et expressions propres à l’entreprise qui sont utilisés à l’interne. Comme de plus en plus d’employés étaient appelés à se déplacer pour le travail, on a également inclus une section intitulée Comment Emma voyage. « Nous avons essayé de synthétiser notre guide en messages brefs afin de mettre en relief les grands thèmes. Nous laissons les détails comme le fonctionnement des équipes individuelles à la discrétion de ces équipes elles-mêmes, dans le cadre de leurs activités de formation et d’orientation », explique monsieur Smith.

Embaucher des gens de même mentalité. Chez Emma, toute personne qui postule un emploi doit répondre par écrit à une liste de dix questions, par exemple : « Si vous aviez un bateau, quel nom lui donneriez-vous? » C’est pour l’entreprise une première approche afin de mieux comprendre, entre les lignes, la manière de penser de la personne. S’il y a lieu, le candidat sera convoqué à une entrevue face à face ou par vidéo. Le processus de sélection ne s’arrête pas là : les nouveaux employés sont à l’essai pendant les trente premiers jours. Au bout du compte, environ 2 % des postulants seront embauchés.

Utiliser de multiples formes de communication et partager l’information librement. Les employés d’Emma sont en contact par vidéo-clavardage, téléphone, courriel et messagerie instantanée; mais rien ne vaut les réunions en personne pour discuter des dossiers de premier plan. C’est pourquoi Clint Smith encourage ses troupes à se rendre régulièrement à Nashville. Pour tenir les employés au courant de ce que fait l’entreprise, il a installé dans le hall d’entrée un « méga-babillard Emma », sur le modèle des téléscripteurs utilisés pour la Bourse. Sur l’écran, on peut voir défiler un flux constant d’information en temps réel : données financières de haut niveau, acquisition de nouveaux clients, renseignements sur les projets en cours, de même que mises à jour de comptes Facebook et Twitter des employés. Un babillard semblable se trouve dans le hall du bureau de l’entreprise à Portland et les employés peuvent également faire afficher l’information sur leurs portables.

Ne pas lésiner sur les frais de déplacement. L’entreprise savait, quand elle a ouvert des bureaux satellites, qu’il lui faudrait réviser à la hausse son budget de frais de déplacement. Et ce ne sont pas des paroles en l’air. L’été dernier, Clint Smith a loué un appartement à Portland et y a emménagé avec femme et enfants durant un mois afin de pouvoir passer plus de temps avec la douzaine d’employés travaillant dans la région. « C’est agréable de voir que le chef de la direction d’une société qui a connu une telle croissance continue d’être présent auprès de son personnel, considère Matt Thackston, un directeur de projet technique qui travaillait pour Emma à Nashville avant d’être muté au bureau de Portland il y a trois ans. Cela dénote la profondeur de son engagement à promouvoir une véritable culture au sein de l’entreprise. »

Faire preuve d’hospitalité envers les employés de l’extérieur. Clint Smith a fait l’acquisition d’un condo en face du bureau d’Emma, à l’usage des employés de l’extérieur qui viennent à Nashville par affaires. L’entreprise déménagera cet été dans un édifice plus grand et le patron a déjà loué un appartement dans le voisinage afin que les employés en visite puissent se loger à distance de marche du bureau.

Choisir des locaux qui correspondent à la personnalité de l’entreprise. Même les sociétés virtuelles disposent d’un minimum de locaux, et monsieur Smith tient à ce que ceux d’Emma soient en phase avec le style à la fois branché, créatif et original qu’il souhaite voir transparaître dans toutes les activités de l’entreprise. Le premier bureau d’Emma était une simple pièce dans une petite maison d’un des quartiers à vocations multiples de Nashville, louée d’une autre entreprise. Au fil de sa croissance, Emma a déménagé plusieurs fois dans des locaux de plus en plus spacieux, pour la plupart aménagés dans d’anciennes maisons converties en bureaux. Les bureaux où la firme emménagera cet été sont encore une fois situés dans un bâtiment historique. « Nous aurions pu trouver quelque chose de moins cher en banlieue, mais la banlieue ne nous ressemble pas », confie le chef de la direction.

Obtenir de l’aide. Clint Smith fait partie de deux groupes sur lesquels il peut compter lorsqu’il a besoin de discuter avec d’autres entrepreneurs pour résoudre les problèmes de culture (ou autres) qui se posent tôt tard dans une entreprise. Il a également engagé Mary Sobon, qui lui consacre de quinze à vingt heures par semaine à titre d’agente culturelle et qui travaille à la fois avec les gestionnaires et les employés.

Mais tout n’est pas parfait. Monsieur Smith peine encore à trouver un bon système de gestion d’agendas. L’entreprise utilise Basecamp, Campfire, Jive et Yammer pour communiquer à l’interne et avec ses collaborateurs, car elle n’a pas encore trouvé la solution tout-en-un idéale.

Toutefois, la culture en place chez Emma a eu des retombées plutôt positives sur sa croissance et son efficacité. Les employés qui travaillent à distance obtiennent de nouveaux contrats trois fois plus vite que leurs collègues du siège social et se surpassent eux-mêmes (en termes d’acquisition de nouveaux clients) en affichant jusqu’ici une augmentation de 50 % de leurs résultats en 2012 par rapport à 2011. Si la reprise économique contribue en partie à cette performance, le fait d’accorder du temps aux employés de l’extérieur pour qu’ils puissent constituer une véritable équipe n’y est pas étranger non plus, selon monsieur Smith.

En fait, il s’agit simplement de faciliter la cohésion entre les employés, peu importe où ils travaillent. Pendant le spectacle, lorsque l’informaticien d’Emma, « celui qui s’occupe de nos portables et de notre réseau, monte sur la scène et nous livre le plus impressionnant solo de saxophone qu’il nous ait été donné d’entendre, c’est fantastique, raconte Clint Smith. Je ne pourrai plus jamais regarder ce gars-là de la même manière. Une soirée de ce genre permet de tisser des liens d’une force inouïe. »

Michelle V. Rafter, Management Contributing Editor, Workforce.
Traduit par CQRHText. Reproduit avec la permission de Workforce. Tous droits réservés.

Source : Effectif, volume 15, numéro 3, juin/juillet/août 2012.


Michelle V. Rafter