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Un lieu de travail magique : comment stimuler la créativité

L’employé moyen travaille 40 heures par semaine, 1 920 heures par année (à l’exclu­sion des vacances et congés) et 86 400 heures au cours d’une vie active, ce qui représente plus du tiers de ses heures de veille. La vie est trop courte pour que le travail lui pèse. Le plaisir au travail est une question d’attitude. La personne choisit son état d’esprit; l’individu peut décider d’être heureux et faire du travail une expérience créative et stimulante ou il peut au contraire voir le travail comme une corvée.

Chez Pixar et Disney, les employés sont encouragés à rêver, à croire, à oser et à réaliser. Voici comment ces principes sont concrétisés.

[In English Magic in the Workplace: How Pixar and Disney Unleash the Creative Talent of Their Workforce ]

15 octobre 2010
Bill Capodagli

Conférence – Dreams and Dreamers: How to Innovate like Walt Disney and the Pixarians

Créer un terrain de jeu unique 

Lorsqu’on pénètre dans l’atrium de Pixar, de la grandeur d’un terrain de football, on est porté à se dire : « Que d’espace perdu! » Or, Steve Jobs a voulu concevoir un immeuble dans lequel les personnes seraient naturellement portées à communiquer. Il a placé les boîtes à lettres, les salles de réunion, la cafétéria et, surtout, les salles de toilette dans l’atrium central. Il a compris que, lorsque les personnes interagissent de façon fortuite et qu’elles ont du plaisir, des choses positives se produisent. Il est donc presque impossible de s’isoler chacun dans son service et de passer la journée à faire du codage de logiciels, de l’animation ou de la production sans tomber à un moment ou à un autre sur les employés d’autres services.

Le décor contribue aussi à créer un contexte de travail joyeux. Dans l’atrium, on peut voir bien en évidence des statues plus grandes que nature des personnages de Pixar, des toiles sur les murs ainsi que des croquis et scénarios en couleur. Sur le campus vallonné de seize acres, on trouve également des bureaux, des salles de son, des salles de visionnement, une piscine pour faire des longueurs, des terrains de volley-ball et un terrain de soccer (qui va être sacrifié pour faire place à un nouvel immeuble de quatre étages qui fournira d’autres espaces de travail et de jeu), qui font de ce domaine un lieu où l’on peut agréablement échapper au labeur quotidien. Comme l’a expliqué Nate Wragg, un artiste de Pixar, « la liberté de se détendre entre les délais et de prendre des pauses-plaisir lorsqu’on se sent fatigué contribue véritablement à créer cette atmosphère joyeuse qui manque à la plupart des entreprises ».

L’entreprise connaît des difficultés et n’a pas les moyens financiers de s’offrir un hall d’entrée somptueux et des piscines? Qu’à cela ne tienne… Avant la réussite du film Histoire de jouets, les studios de Pixar étaient logés dans ce que Ed Catmull décrit comme un groupe d’immeubles « en piteux état », à Point Richmond en Californie. L’entreprise ne pouvait se permettre d’acheter des sièges pour la salle de visionnement des films d’animation et John Lasseter a donc mis à profit sa créativité. Inspiré par le décor hippie du cinéma Red Vic du district Haight-Ashbury à San Francisco, il a demandé à tout le personnel de se mettre à la recherche de mobilier usagé; lorsqu’il avait lui-même du temps libre, il se promenait dans un camion loué pour ramasser des objets mis au rebut. Il a plus tard raconté que Pixar possédait la plus vilaine collection de canapés des années 1970 que l’on puisse imaginer et que la salle était en quelque sorte devenue l’âme de Pixar. N’est-ce pas ce que toutes les organisations doivent trouver, c’est-à-dire cet élément qui stimule l’esprit créatif? Il n’est pas nécessaire d’avoir une pièce décorée à grands frais ou une collection d’objets coûteux; il faut simplement le petit quelque chose qui reflète ce que les employés ont l’impression d’être réellement.

Lorsque Pixar a déménagé dans ses nouveaux studios luxueux d’Emeryville, l’entreprise s’est sentie un peu coupable de laisser ses locaux de Point Richmond. « Lorsque nous avons emménagé, nous avons eu l’impression que les lieux ne nous ressemblaient pas, que c’était en quelque sorte trop beau pour nous », mentionne le réalisateur Lee Unkrich (Histoire de jouets 3). John Lasseter se souvient avoir dit à Steve Jobs : « C’est beau ce décor minimaliste élégant, mais dès que les dessinateurs vont s’y installer, vous allez voir apparaître des poubelles obtenues à 80 % de rabais chez Kmart. » John Lasseter devait avoir une boule de cristal parmi les nombreux jouets qui décoraient son bureau, parce que ses prédictions se sont réalisées. Peu de temps après le déménagement, le magasin Kmart local a effectivement fermé ses portes et offert toute sa marchandise à 90 % de rabais. Les employés de Pixar s’en sont donné à cœur joie. « Quand les dessinateurs ont commencé à s’installer et à faire comme chez eux, il est devenu évident que les choses n’allaient pas être si différentes », ajoute Lee Unkrich. Si, au départ, Steve Jobs n’a pas manifesté un grand enthousiasme pour les excentricités des employés, il a admis que si quelqu’un avait dit, en voyant le nouvel immeuble, que c’était le plus beau siège social au monde, il aurait eu une impression d’échec. Le nouveau studio devait être un chez-soi, non pas un siège social. Quand on veut être innovateur, il faut que le lieu de travail devienne une deuxième maison; il ne faut pas oublier que l’on y passe le tiers de sa vie.

Penser à jouer!
Chaque mois, on peut confier à une équipe la responsabilité d’organiser une activité amusante. Les courses de scooter sont sans doute une des activités préférées de Pixar. Un jour, John Lasseter est venu travailler avec le scooter de son fils et il s’est amusé à se balader sur le campus. Très vite, d’autres employés ont fait de même et, en un rien de temps, de nombreux scooters avaient envahi le campus. « Une piste en forme de boucle a été tracée et nous avons commencé à organiser des courses, à chronométrer les coureurs et à inscrire les résultats sur le mur, raconte le réalisateur Pete Doctor. La compétition est devenue très vive, tous les coureurs tenant à réaliser le meilleur temps. » La « tradition du scooter » existe toujours chez Pixar; il est courant de voir quelqu’un se déplacer en scooter. Il est bon d’organiser une activité à l’extérieur dans un parc du quartier un après-midi d’été, pour donner aux employés l’occasion de jouer ensemble et de renouer avec l’enthousiasme de l’enfant!

Permettre aux employés de personnaliser leur espace de travail
On doit encourager les employés à faire montre de créativité en décorant leur bureau, cubicule ou espace de travail, et même organiser un concours de l’espace de travail le plus original. Le service de l’animation de Pixar ressemble beaucoup au décor des Munchkins dans Le Magicien d’Oz. Les dessinateurs ne voulaient pas d’un cubicule sans originalité comme espace de travail. Pixar a acheté des maisonnettes et chacun a décoré à son goût son bureau-maisonnette. Le service de l’animation est sans aucun doute le deuxième lieu le plus agréable sur terre (le premier est Disneyland évidemment) avec ses espaces de travail fabuleusement décorés dans lequel on trouve notamment une case polynésienne, une pagode et un parachute qui recouvre un ensemble de cubicules donnant l’impression d’une tente de cirque. Bref, Pixar accepte à peu près n’importe quelle structure intéressante, farfelue ou excentrique : un saloon, un séjour des années 1960, une banquette de restaurant en U, un fauteuil de barbier et des chaises surmontées d’un séchoir comme celles que l’on retrouve dans les salons de coiffure. Les employés font preuve d’une grande créativité pour décorer leur espace de travail. Peu importe la somme qu’ils décident d’y consacrer, ce n’est pas l’imagination qui manque. On retrouve également sur les murs des bureaux une foule de mots d’esprit et de citations. L’un des dessinateurs a inscrit sur sa porte cette pensée d’Ed Catmull : « Chaque fois que vous pensez que quelque chose de stupide est en train de se passer, c’est probablement le cas. » Il faut simplement se rappeler qu’en permettant aux gens d’exprimer leur individualité, on contribue pour beaucoup à créer un environnement fondé sur le respect et la confiance réciproques.

Célébrer…
Prendre le temps de souligner les étapes importantes de la vie de chacun comme un anniversaire, de naissance ou autre, l’obtention d’un diplôme, etc. Faire un effort particulier pour mettre en évidence les talents et les réalisations d’une équipe. Chaque fois qu’un nouveau long métrage de Pixar sort en salle, l’entreprise organise un déjeuner officiel au cours duquel les employés revêtent leurs plus beaux habits pour marquer la fin du projet et célébrer un autre rêve devenu réalité. Il n’est pas nécessaire de fêter en grande pompe comme le fait Pixar. Le simple fait de donner aux gens une occasion de sortir de leur bureau pour fêter dans un contexte particulier fait merveille pour le moral.

Permettre que le travail des employés soit reconnu par des tiers
Il est bon aussi d’encourager ses employés à se joindre à des associations professionnelles au sein desquelles ils auront l’occasion de faire connaître leur travail, d’être reconnus par des confrères et consœurs et par le secteur pour leurs réalisations et surtout, d’avoir du plaisir. Le cofondateur de Pixar, Alvy Ray Smith, nous a dit à ce sujet que « beaucoup d’entreprises tiennent à garder le secret absolu. Nous avons compris que si nous avions au sein de l’entreprise certaines des personnes les plus talentueuses du milieu, ce n’était pas tant que le travail était prestigieux, mais parce que nous avions permis que ces personnes aient leur moment de gloire. La possibilité de faire paraître un article dans une publication universitaire et d’être ainsi reconnu est plus importante pour nos employés que l’argent. » Un ancien employé de Pixar, Lou Romano, nous a confirmé « qu’il est d’avis que la possibilité de travailler à une œuvre ou à un projet artistique à l’extérieur du studio est sans doute l’élément principal qui permet aux gens de demeurer créatifs et productifs au travail ».

Être un modèle de respect et de confiance
Le degré de respect et de confiance réciproques qui existe au sein du milieu de travail est directement proportionnel à l’attitude des employés à l’égard du jeu et du plaisir. Lorsque la crainte est ce qui caractérise le lieu de travail, le mépris, l’animosité et l’apathie s’installent et se répandent, empêchant la création d’un environnement joyeux et agréable. L’histoire du marché de poissons Pike Place de Seattle, rapportée dans Fish!, est l’un des comptes rendus les plus réussis du plaisir en milieu de travail.

Il y a quelques années, les marchands de poissons de Pike Place Fish se sont engagés à devenir « célèbres dans le monde entier ». À ce jour, le marché de poissons, dont la renommée dépasse effectivement les frontières, n’a jamais consacré un cent à la publicité. Le but des poissonniers consiste simplement à établir avec les clients une relation qui leur donne l’impression d’avoir reçu un excellent service et d’être appréciés, qu’ils achètent ou non un poisson. Leur devise, à savoir « s’amuser, être attentif, faire plaisir et choisir son état d’esprit », peut sembler élémentaire, mais elle a transformé le marché en un lieu de travail où l’énergie, la productivité et une grande solidarité contribuent à éloigner l’ennui, l’énergie toxique et l’épuisement.

L’un des coauteurs de Fish!, John Christensen, maintient qu’il n’est pas possible de reproduire ce que font ces marchands de poissons de la côte du Pacifique. Il ajoute que l’engagement et la confiance sont nécessaires de la part de tous pour que l’épanouissement au travail soit possible.

Nous avons eu connaissance d’un dirigeant d’entreprise qui a tenté d’organiser des activités récréatives obligatoires; derrière son dos, ses employés appelaient ces activités le « divertissement forcé ». Les esprits créateurs n’aiment pas être forcés de s’amuser; en fait, ils n’aiment pas être obligés de faire quoique ce soit. Il est clair que le plaisir et le jeu ne sont pas des outils à sortir du tiroir une fois par mois. Ce sont des notions qu’il faut épouser, et sans les éléments sous-jacents que sont le respect et la confiance réciproques, elles ne pourront jamais être intégrées à la culture d’entreprise.

Ne pas se prendre au sérieux
Les dirigeants qui savent se moquer d’eux-mêmes donnent le ton d’un contexte de travail joyeux et agréable. Pourquoi est-il important que les dirigeants plaisantent et ne se prennent pas trop au sérieux? Parce qu’ils doivent être perçus comme des êtres humains, ce qui nous ramène encore une fois aux valeurs du respect et de la confiance réciproques. Lorsque les dirigeants se prennent au sérieux, ils créent une barrière, c’est-à-dire une distance émotive qui favorise la méfiance chez les employés. Le leadership exige un lien émotif qui ne peut être facilité par la rigidité, la peur et l’intimidation.

Ces leçons sont un point de départ pour cultiver le « merveilleux » dans un milieu de travail et en faire un lieu stimulant où la créativité peut s’exprimer. Il faut encourager l’organisation à ressembler davantage à Pixar et Disney, un terrain de jeu où l’enthousiasme est palpable et où les personnes et les équipes collaborent toutes à donner forme aux idées de chacun. C’est possible si on crée un climat de respect et de confiance réciproques et si on veille à le maintenir. Les gestionnaires des ressources humaines peuvent et devraient faciliter ce processus!

Il faut réapprendre à rêver comme un enfant, à croire en ses compagnons de jeu, à oser sauter et faire des vagues et à donner libre cours à son plein potentiel!

Bill Capodagli, président, Capodagli Jackson Consulting

Traduit par Danièle Veillette, traductrice agréée.

Source : Effectif, volume 13, numéro 4, septembre/octobre 2010.


Bill Capodagli