La Ville de Montréal, c’est vingt-sept mille employés dont six mille employés cols bleus et près de quatre cents contremaîtres. Sur un budget de plus de quatre milliards de dollars, l’administration municipale consacre tout près de 1,7 milliard aux salaires et aux avantages sociaux. C’est dire si les ressources humaines jouent un rôle prépondérant dans l’organisation! Toutefois, pour rendre cette organisation plus efficace, il s’est avéré nécessaire de repositionner le Service du capital humain. « Nous sommes passés d’une structure d’intervention à une fonction stratégique à valeur ajoutée, explique monsieur Hinse. L’un des premiers gestes, posé il y a environ trois ans, fut de redistribuer dans l’organisation de nombreuses activités comme l’administration du régime de retraite et certaines fonctions liées à l’administration de la paie. Ce faisant, le Service du capital humain a été réduit de moitié. »
Redessiner la culture organisationnelleJean Yves Hinse souligne que la mission première du Service est d’exercer un leadership en matière de gestion du capital humain, de proposer des orientations, des programmes et des services en lien avec le plan stratégique de la Ville et, enfin, d’offrir une expertise-conseil aux gestionnaires. Son rôle principal est d’appuyer la réalisation des grands objectifs, dont celui de la performance organisationnelle.
Mais ces objectifs étaient difficilement conciliables avec la culture de confrontation qui régnait au sein de l’organisation, en particulier avec les employés cols bleus. Depuis trois ans, beaucoup d’énergie a donc été consacrée à l’amélioration des relations avec ce groupe d’employés.
« Notre but était de mettre en place une nouvelle culture de gestion axée sur la responsabilisation et le partenariat, soutient monsieur Hinse. Mais, pour réaliser ce projet, il fallait d’abord revoir le modèle de relations du travail de la Ville de Montréal et surtout essayer de comprendre comment on en était arrivé là. Avec le temps, pour toutes sortes de raisons, les contremaîtres avaient abdiqué leur responsabilité de gestion par rapport à leurs employés. »
Mettre les gestionnaires en mouvementIl fallait chasser l’apathie organisationnelle qui s’était installée au fil du temps. Monsieur Hinse a donc rencontré les contremaîtres et leurs gestionnaires pour leur expliquer son diagnostic organisationnel, soulignant que « l’employé et son supérieur immédiat sont en première ligne et ce n’est que grâce à eux que l’administration municipale pourra atteindre pleinement les objectifs établis dans son plan d’affaires, soit d’offrir des services municipaux de haute qualité au meilleur prix possible. »
Avec le temps, à la Ville de Montréal, le lien entre l’employé et le contremaître s’est brisé, puis a graduellement disparu entre le contremaître et sa propre direction. « Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là? », s’interroge monsieur Hinse. Selon lui, la réponse réside en grande partie dans le fait que les employés en sont venus à soumettre leurs problèmes quotidiens – la distribution des heures supplémentaires, les problèmes de paie, la fourniture d’outils ou de vêtements par exemple – à leur représentant syndical plutôt qu’à leur contremaître.
« Il y a eu une rupture graduelle de la communication entre l’employé et son supérieur immédiat. Une perte de confiance s’est installée et les employés sont allés porter leurs difficultés ailleurs pour obtenir satisfaction. Pour sa part, le syndicat a court-circuité les structures de gestion en faisant une sorte de by-pass organisationnel et est allé frapper à la porte de la Direction générale et des élus pour régler les problèmes quotidiens des employés. » Selon la situation ou l’enjeu en cause, le syndicat a eu également recours à différents moyens de pression pour régler certains dossiers.
« Il n’était pas rare de voir des décisions de nature opérationnelle prises tout en haut de la structure organisationnelle. Le contremaître était rarement consulté et, bien souvent, c’était l’employé lui-même qui venait l’informer qu’une décision avait été prise! », déclare Jean Yves Hinse. Peu à peu, les gestionnaires ont abdiqué, se sont désengagés et ont perdu confiance envers la direction.
Un problème de culture d’entrepriseTous les contremaîtres d’employés cols bleus rencontrés ont confirmé que le diagnostic posé reflétait bien la situation. Le directeur des relations professionnelles a alors fait le constat suivant qui en a surpris plus d’un : « La Ville n’a pas de problème de relations de travail, mais un problème de culture de gestion. C’est simple : les difficultés non réglées des employés sont devenues des problèmes de relations de travail et des enjeux de négociation. Même la convention collective s’est transformée en un ensemble de règles et de procédures de gestion! »
Selon monsieur Hinse, transformer le climat de travail revenait essentiellement à un choix de gestion, soit celui de conserver l’ancien modèle de relations du travail ou d’en adopter un nouveau. Pour favoriser la réalisation des changements nécessaires, trois conditions de base devaient toutefois être réunies. « Nous avons d’abord obtenu l’adhésion de la haute direction au changement de modèle, adhésion à la fois politique et administrative. Puis, nous avons demandé au maire, au directeur général et aux membres du comité exécutif de ne plus rencontrer les représentants syndicaux pour régler les problèmes opérationnels que ces derniers leur soumettaient. Notre but était de briser définitivement le court-circuitage organisationnel et de redonner le véritable pouvoir décisionnel aux gestionnaires. »
La troisième condition consistait à ne tolérer aucun geste répréhensible posé par les employés cols bleus. « Nous avons tracé une ligne très claire et montré que les menaces, l’intimidation et la violence n’étaient plus supportées. Des employés cols bleus ont même été arrêtés sur les lieux de travail et amenés par des policiers, menottes aux poignets… Il fallait envoyer un message clair et c’est ce que nous avons fait. On a même demandé à la police de la Ville de Montréal de former les contremaîtres pour les aider à faire face à l’intimidation et à la violence au travail », relate monsieur Hinse.
Revoir l’approche de gestionLes nouvelles règles du jeu clairement établies, il fallait toutefois aller encore plus loin. « Dans un premier temps, on a cherché à redonner le pouvoir décisionnel aux gestionnaires en ce qui concerne l’organisation du travail, les mesures disciplinaires, les ressources matérielles, la santé et la sécurité du travail, les griefs, etc. Pour ce faire, il fallait les soutenir dans le règlement de problèmes en leur fournissant les outils nécessaires. On a par exemple offert des ateliers de formation portant sur la gestion de la convention collective, la gestion des griefs et la discipline. En somme, nous leur avons dit : vous avez dorénavant du pouvoir et voici comment l’utiliser. »
Les arrondissements ont également été invités à revoir et à adapter le rôle de plusieurs intervenants. Ainsi, dans plusieurs arrondissements et services, la fonction ressources humaines devait être repositionnée pour lui permettre de jouer un rôle-conseil plutôt que purement opérationnel. « Ce n’est pas normal qu’une décision relative au règlement d’un grief de temps supplémentaire soit remise entre les mains des gens des ressources humaines! Le mandat des unités RH est d’appuyer le contremaître, pas de prendre les décisions à sa place », soutient monsieur Hinse.
Dernier élément et non le moindre, on a aussi agi sur la reconnaissance et la fierté. « Nous travaillons à concevoir des programmes pour chacun des arrondissements et services de la ville. Quoique plusieurs nous indiquent que de tels programmes nécessitent des budgets, dire merci à un employé qui a fait un bon coup ou lui écrire un petit mot ne coûte rien. En bout de ligne, s’il y a de la reconnaissance, une forme de fierté va se développer parmi les employés. » La reconnaissance pour le travail accompli est aussi une façon de retisser le lien de confiance entre les contremaîtres et les employés cols bleus.
Même s’il admet qu’on ne peut modifier trente ans de culture organisationnelle en un claquement de doigts, Jean Yves Hinse est toutefois très optimiste. « Nous sommes en train de rebâtir le modèle de relations du travail à la Ville de Montréal. On constate déjà des changements notables sur le terrain. Par exemple, depuis deux ans, il n’y a plus de manifestation d’employés cols bleus lors du conseil municipal mensuel, ce qui autrefois arrivait systématiquement… Il n’y a plus, non plus, de gestes d’intimidation et de violence. » Et ce n’est pas fini : le Service du capital humain continue d’appuyer le changement avec son programme annuel d’évaluation de la performance des gestionnaires. Le déploiement récent des profils de compétences des gestionnaires, qui servent notamment pour la formation et le recrutement, est un autre appui tangible au changement souhaité.
« Nous voyons notre rôle comme celui d’un brise-glace : nous ouvrons le chemin, brisons les paradigmes. Nous essayons d’entraîner le maximum d’intervenants dans un chemin différent. Déjà, nous constatons que les intervenants qui ont pris le risque de ce changement organisationnel ne veulent plus revenir en arrière! Ils ont retrouvé le plaisir de travailler pour les citoyens et de contribuer à construire cette nouvelle ville. C’est tout à leur honneur », conclut Jean Yves Hinse.
Emmanuelle Gril, journaliste indépendante
Source : Effectif, volume 11, numéro 2, avril/mai 2008.