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Stratégie de gestion des talents… ou de la relève?

La pénurie de talents qui se fait sentir de plus en plus fait en sorte que le rapport de force s’est inversé entre les entreprises et leur main-d’œuvre actuelle et potentielle. Le capital humain est devenu un avantage concurrentiel évident.

Les employés actuels sont beaucoup plus exigeants et de plus en plus conscients de leur valeur et de leur pouvoir. Régulièrement courtisés, ils ont des comportements de consommateurs avertis qui n’hésitent pas à « magasiner » leur employeur et qui n’ont plus de loyauté absolue envers une organisation.

20 mai 2014
Jacqueline Codsi, CRIA

Bien que la gestion des talents soit un concept à la mode, sa définition varie beaucoup selon les auteurs et les entreprises. Certains parlent du talent en entreprise en faisant référence à leur élite d’employés les plus doués, souvent appelés relève, hauts potentiels, hauts performants et personnes clés.  

Malgré l’importance stratégique indéniable d’un excellent programme d’identification et de développement de la relève et de stratégies visant à retenir les hauts performants et les personnes clés, rappelons que cette élite ne suffit pas pour assurer la réussite d’une entreprise. La question est simple : quelle stratégie doit-on utiliser pour attirer, développer et fidéliser un capital humain mobilisé, pour réaliser le plan d’affaires, en étant compétitif et performant?

Viser l’ensemble des employés…
Considérant la rareté de ressources compétentes, il est essentiel de ne pas se limiter à la gestion de la relève; il faut viser l’ensemble des employés, incluant les bons soldats, les hauts potentiels et les hauts performants.

La gestion des talents, c’est donc l’incontournable nécessité d’orchestrer une stratégie cohérente, visant à attirer, développer et conserver l’ensemble des talents nécessaires pour réussir.

Trois clientèles devraient être visées par cette stratégie : les employés actuels qu’il faut conserver, les employés potentiels qu’on souhaite attirer et tous les gestionnaires qui, pour réaliser leur plan d’affaires, ont besoin d’employés non seulement compétents, mais aussi compatibles avec la culture organisationnelle. Ces gestionnaires sont à la fois des clients de cette stratégie et des acteurs clés qui peuvent soit constituer une clé de mobilisation et d’engagement, soit contribuer au roulement des employés et à une réputation négative tant interne qu’externe.

Le défi est complexe, car il s’agit d’adopter une approche marketing d’attraction et de rétention, face à ces employés et candidats courtisés par la compétition, tout en demeurant vigilant pour évaluer et gérer de manière rigoureuse, afin d’optimiser la performance et de réaliser le plan d’affaires.

La stratégie implique toutes les fonctions ressources humaines et ne peut se concrétiser que si elle s’appuie sur un partenariat véritable avec les gestionnaires opérationnels.

Pour évaluer la stratégie de gestion des talents : se poser les bonnes questions
1. La stratégie de gestion des talents est-elle alignée sur le plan d’affaires stratégique de l’entreprise?
  • Quelles sont les valeurs non négociables et les compétences critiques à réunir pour réaliser
    le plan d’affaires stratégique?
  • Quel est l’écart à combler avec la culture organisationnelle actuelle? Comment la stratégie permet-elle de combler cet écart en attirant et développant l’ensemble des talents nécessaires?
2. Quels sont les types de talents privilégiés dans la stratégie?
  • Comment les hauts potentiels, les hauts performants, les personnes clés et aussi les bons soldats trouvent-ils leur compte, considérant leur valeur sur le marché?

Le défi consiste à personnaliser l’offre tout en s’assurant de se coller à une culture uniforme et qui évite la compétition malsaine.

3. Le talent est-il mesuré objectivement? Une évaluation objective et équitable des talents est essentielle pour créer une culture de performance et de dépassement.
  • Est-ce qu’on se fie uniquement sur l’évaluation des supérieurs immédiats?
  • Quelles sont les données objectives sur les talents?
  • Les critères et profils de compétences sont-ils discriminants et prédisent-ils le succès en poste?

Assurez-vous d’enrichir le jugement des gestionnaires par l’accès à des outils d’évaluation qui prédisent véritablement le succès en poste.

4. La proposition de valeur ou la marque employeur contribue-t-elle à attirer les candidats compétents dont l’entreprise a besoin? Quelle est la réputation de l’entreprise dans les réseaux sociaux? La proposition qui attire de jeunes diplômés n’est probablement pas la même que celle qui convaincra des employés plus expérimentés ou de très hauts potentiels.
  • A-t-on pris le temps d’identifier la proposition de valeur?
  • Au-delà du salaire et du descriptif d’emploi, qu’est-ce que l’entreprise offre aux candidats potentiels et comment se compare-t-elle à la compétition?
  • Quelles sont les possibilités de se développer, le travail d’équipe, les opportunités de carrière?
  • Quelle place occupe l’équilibre travail/famille, la flexibilité des horaires?
  • Quelle est la « cote » de l’entreprise compte tenu de l’engouement pour le développement durable?
5. L’entreprise tient-elle sa promesse concernant l’expérience employé?

Lorsque l’expérience vécue par les nouveaux employés ne s’avère pas cohérente avec la promesse, on assiste à une dégradation de leur mobilisation et de leur engagement ainsi qu’à leur départ souvent dans les premiers mois suivant leur arrivée. Parmi les leviers de rétention les plus importants, notons : le soutien authentique des cadres, les opportunités de se développer, le sentiment de pouvoir utiliser ses forces véritables, d’être soutenu et de naviguer dans un climat de travail qui favorise la collaboration.

  • Que pensent les nouveaux employés?
  • Se sentent-ils trompés lorsqu’ils atterrissent dans l’entreprise?
6. Les dirigeants et les gestionnaires sont-ils véritablement engagés dans la stratégie de gestion des talents?
  • Sont-ils convaincus que cette stratégie est incontournable pour réaliser le plan d’affaires?
  • Ont-ils été impliqués dans son élaboration?
  • Quelles données quantitatives et qualitatives les sensibilisent à cet égard?
7. Les gestionnaires sont-ils de bons ambassadeurs et des alliés formés à la gestion des talents? Sont-ils réellement habiles à :
  • identifier le potentiel sans complaisance;
  • adopter une approche de gestionnaire-coach;
  • donner une rétroaction courageuse sans « démolir »;
  • donner de la latitude pour développer sans pour autant « brûler » le potentiel?

Peu d’organisations forment leurs gestionnaires et pourtant ces savoir-faire ne s’apprennent pas dans les livres et concourent soit à la mobilisation, soit au désengagement…

8. Quelle est la culture de l’organisation relativement à la gestion de la performance? De nombreux gestionnaires manquent de courage pour donner une rétroaction véritable et accordent des cotes complaisantes qui n’abordent pas la sous-performance. Un bon système d’évaluation n’est pas suffisant. Il est essentiel d’outiller les gestionnaires pour qu’ils adoptent une approche de gestionnaire-coach et que la culture du dépassement et du mérite retrouve toute sa crédibilité.
9. L’entreprise développe-t-elle le talent? Tout le personnel devrait avoir un plan de développement. Il n’est pas rare que des organisations favorisent uniquement le développement dans le poste actuel. Une telle politique nuit au développement d’une relève interne.
  • Au-delà des mots, quelle est l’importance réellement accordée au développement?
  • L’entreprise privilégie-t-elle uniquement les hauts potentiels?
  • Comment les bons soldats se perfectionnent-ils?
  • Quelle est la place du coaching, de la rétroaction et du développement dans l’action dans l’organisation?
  • Les gestionnaires sont-ils à l’aise pour donner de la reconnaissance et une rétroaction constructive?
10. L’organisation facilite-t-elle les mouvements de carrière? L’une des raisons de départ les plus communes est le manque de perspective de carrière.
  • L’organisation favorise-t-elle les mouvements de carrière interservices?
  • Son fonctionnement cloisonné décourage-t-il la collaboration et la mobilité interne?
  • Comment permettre à tous de se développer et d’avoir accès à des défis compatibles avec leur potentiel et leurs aspirations, sans éveiller des attentes irréalistes?
11. Comment se fait l’intégration des
nouveaux venus dans l’organisation?
  • Est-ce que l’expérience de certains nouveaux employés durant leur intégration pourrait expliquer leur départ dès la première année?
  • Ont-ils un plan d’intégration?
  • Que leur offre-t-on comme formation technique, comme soutien pour saisir rapidement la culture organisationnelle et se sentir partie intégrante du groupe?
12. Comment est géré le risque en matière de relève?
  • Le processus d’identification permet-il de reconnaître les candidats dotés du bon potentiel?
  • A-t-on recours à des outils d’évaluation avant-gardistes permettant de prédire le succès en poste et de personnaliser le plan de développement?
  • Le processus permet-il d’accélérer le développement du plein potentiel?
  • Les membres de la relève qui sont nommés sont-ils prêts? Ont-ils vraiment du succès?
  • Quelle est la proportion visée entre la nomination interne de successeurs et le recours à des candidats externes?

En conclusion
Dans un monde où la guerre des talents est devenue réalité, une stratégie efficace de gestion des talents ne s’improvise pas. Il y a certaines conditions qui assureront sont succès. Notamment, elle s’appuiera sur :

  • un partenariat véritable entre la fonction ressources humaines et des dirigeants et gestionnaires sensibilisés et convaincus du rôle essentiel d’une telle stratégie pour la réalisation de leur plan d’affaires;
  • des gestionnaires formés et engagés dans l’approche qui agissent comme des ambassadeurs et qui contribuent activement à la mobilisation et à la responsabilisation;
  • un alignement de l’ensemble des fonctions ressources humaines pour assurer la cohérence et permettre aux employés et aux candidats d’avoir une expérience satisfaisante;
  • une approche de gestion du changement pour faire évoluer graduellement la culture en place;
  • une vigie continue de la situation de façon à ajuster les façons de faire, car toute bonne stratégie doit se renouveler en fonction de toute nouvelle donne concernant le plan d’affaires, les besoins des talents et l’offre de la compétition.
Jacqueline Codsi, CRIA, M. Ps., ASC, directrice principale et coach exécutif, psychologie du travail et développement organisationnel, Leader conseil

Source : Effectif, volume 17, numéro 2, avril/mai 2014.


Jacqueline Codsi, CRIA Vice-présidente, consultante, coach exécutif JC LEADER CONSEIL
Au cours de sa carrière, Jacqueline Codsi, CRIA a assumé des fonctions de direction en gestion des ressources humaines, en gestion des talents et en développement organisationnel au sein de grandes sociétés, notamment dans le milieu financier et au réseau de la santé et des services sociaux. Certifiée en gouvernance de sociétés, elle possède également une riche expérience en consultation dans les secteurs public et privé, essentiellement dans l’accompagnement d’équipes de direction, dans le cadre de démarches de gestion du changement, de planification stratégique du capital humain et de gestion/développement des talents et de la relève. Elle œuvre aussi comme chargée d’enseignement universitaire auprès de gestionnaires, comme conférencière/panéliste, tout en siégeant à divers conseils d’administration.