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Société de transport de Montréal : sur la voie du changement

En deux ans, la Société de transport de Montréal (STM) a remporté une trentaine de prix de toute nature. Elle a notamment été sacrée meilleure société de transport collectif en Amérique du Nord, en 2010. Du jamais vu en 150 ans d’histoire…

15 février 2012
Guylaine Boucher

Pour le directeur général de la Société, Yves Devin, CRIA*, c’est la décision de mettre le développement durable et les ressources humaines au cœur de l’organisation, décision prise il y a cinq ans, qui a fait office de bougie d’allumage. Histoire de fierté.

2006. À la STM, les bonnes et les moins bonnes nouvelles s’accumulent. Tandis que d’un côté, les différents paliers de gouvernement annoncent d’importants réinvestissements dans le transport collectif, de l’autre, les résultats d’un sondage mené auprès des employés dénotent une importante démobilisation des troupes. Nouvellement nommé à la direction générale, Yves Devin fait le pari de renverser la vapeur. « En décidant de réinvestir, le gouvernement provincial et la Ville de Montréal nous ont lancé tout un défi. Nous devions augmenter notre offre de service de 16 % et, ultimement, notre achalandage de 8 %. Nous devions aussi contribuer à l’atteinte des cibles de réduction de gaz à effet de serre prévues dans le Plan d’action 2006-2012 sur les changements climatiques adopté par le gouvernement du Québec. Nous savions que, si les employés n’étaient pas avec nous, nous ne pourrions jamais remplir la commande. Avec mon équipe de direction, nous nous sommes mis au travail. Nous n’avions rien à perdre et tout à gagner. »

La planification stratégique amorcée à la même période s’impose comme la clé de voûte du processus. Développé en collaboration avec le conseil d’administration, le plan d’affaires comporte cinq priorités de développement, dont la mobilisation du personnel. « Symboliquement, une entreprise, quelle qu’elle soit, constitue un ensemble de pierres. Les ressources humaines sont le mortier qui retient ces pierres. Il était donc normal d’en faire une priorité », affirme à ce propos le directeur général, qui a lui-même fait carrière en gestion des ressources humaines.

Question de donner le ton, l’organigramme de direction est revisité et le responsable des ressources humaines fait son entrée au comité de direction. L’époque où il était relégué au rang d’administrateur de systèmes et de programmes est révolue. Dorénavant, il verra comme d’autres à l’actualisation du plan stratégique et devra en répondre devant ses pairs. Les changements qui suivront seront déterminants dans l’entreprise.

Modifier les rapports
Nommé directeur exécutif, ressources humaines et services partagés dans la foulée, Alain Brière, CRHA prend le train en marche. « À mon arrivée, dit-il, j’ai fait le tour de l’ensemble des directeurs, parce que je voulais me faire ma propre opinion du portrait des ressources humaines, de ce qui allait bien et de ce qui n’allait pas bien. Puis, je me suis assis avec mon équipe et nous avons développé un plan d’action que nous avons par la suite présenté au comité de direction. » La suite de l’histoire est maintenant connue. En quelques mois, on a réussi à éliminer bon nombre d’irritants, les problèmes les plus urgents ont été réglés et la direction des ressources humaines a gagné en crédibilité.

L’entente audacieuse conclue préalablement en matière de relations du travail a pavé la voie. Engagée dans des négociations difficiles avec ses syndicats pour le renouvellement des conventions collectives depuis 2006, la direction parvient à une entente avec le Syndicat de l’entretien de la CSN pour améliorer la performance. Suivant cette entente dite historique, les employés qui parviendront à atteindre les cibles fixées recevront une bonification liée à leur performance. « Quand les gens ont réalisé que nous étions sérieux, les résultats ont commencé à se matérialiser et la dynamique des relations de travail a changé, affirme Alain Brière. Nous travaillons davantage dans un mode de partenariat, si bien que nous pouvons maintenant parler business ensemble. »

La Société propose dès lors à chacun de ses gestionnaires un contrat de gestion sur cinq ans dans lequel on a greffé les éléments du plan stratégique et déterminé les objectifs précis à atteindre. Dès la première année, le directeur général entreprend une tournée du personnel et explique le plan en long et en large. « Au début, relate Yves Devin, nous leur disions où nous voulions aller et comment nous comptions y arriver avec leur aide. Aujourd’hui, dit-il, on leur rappelle où nous étions, en plus de leur dire où nous sommes rendus et vers où nous allons. »

Faire autrement
Par-delà les séances d’information annuelles, les employés sont aussi plus souvent invités à faire connaître leur point de vue sur les projets en cours de développement. À titre d’exemple, la Société n’a pas hésité à demander des modifications aux plans des nouvelles voitures de métro après que ses employés des services d’entretien et que ses opérateurs eurent soulevé quelques réserves. « Tous les jours, soutient Yves Devin, ces gens sont en contact avec le produit, ils savent ce qu’il faut faire pour être efficace, tout comme ce qu’il faut éviter si on ne veut pas avoir d’ennui. Il suffit de les écouter. Ils sont les mieux placés pour nous dire ce dont ils ont réellement besoin. En fin de compte, c’est le client qui en ressortira gagnant. »

Dans la même logique, au tournant de 2007, la STM a aussi entrepris une refonte en profondeur de sa rémunération. L’organisation délaisse alors l’évaluation verticale pour favoriser une évaluation horizontale. Le changement nécessite certains ajustements. Alain Brière représente le comité de direction dans le processus et d’autres collègues sont aussi appelés à se prononcer.

Le processus de dotation a également été revu de fond en comble et s’appuie également sur la consultation. Et il en va de même pour l’attribution des promotions. L’approche nécessite plus de temps, mais selon Yves Devin, « la cohésion qui ressort du processus en vaut la peine ». Dans une perspective de planification de la relève, la mobilité est aussi encouragée d’un service à l’autre de l’entreprise, chose qui, hier encore, n’était pas envisageable. Une planification minutieuse des besoins de main-d’œuvre est également réalisée et des mesures sont prises pour éviter la perte d’expertise.

Par-dessus tout, la Société a entrepris de devenir la grande championne de la reconnaissance. Terminés les messages de félicitations déposés dans le pigeonnier pour les chauffeurs d’autobus à la feuille de route parfaite depuis vingt-cinq ans! Désormais, les étoiles de la route sont conviées à un souper où l’on souligne leur excellent travail en présence de leurs conjoints et directeurs. Les activités sociales comme le party de Noël et le pique-nique estival ont aussi pris une autre dimension. « Personnellement, affirme le directeur général, je crois que ce sont souvent les gestes les plus simples qui font la différence. Quand je suis arrivé ici, j’ai demandé qu’on me fournisse un sac d’épinglettes et j’en ai remis une à chacun de mes directeurs en leur disant qu’ils pouvaient être fiers de faire partie de la STM. Je leur ai demandé de faire la même chose avec leur équipe. Je crois beaucoup à la fierté et au désir de dépassement qui vient avec. C’est la base. Et depuis cinq ans, c’est ce qui a fait la différence. » Depuis 2011, lors de la rencontre du comité de direction, les directeurs sont d’ailleurs invités à faire état des initiatives de reconnaissance mises de l’avant dans les services qui relèvent d’eux.

Pour alimenter ce sentiment, le Société a d’ailleurs mis sur pied un forum de gestion où les directeurs et les cadres sont invités à venir partager leurs bons coups et à discuter avec leurs collègues sur la manière dont ils atteignent leurs objectifs.

Des résultats qui parlent d’eux-mêmes
Chose certaine, les nombreux changements apportés à la gestion des ressources humaines portent leurs fruits. Les plus récents exercices d’évaluation en mode client-mystère mettent en effet en lumière un taux de satisfaction de la clientèle à l’égard de l’accueil du personnel de 94 %, tandis qu’un sondage annuel de satisfaction attribue une performance de 89 % au service à la clientèle de la Société. C’est une amélioration constante depuis cinq ans. Même le service de transport adapté, longtemps considéré comme problématique, récolte aujourd’hui un taux de satisfaction de 93 % chez ses utilisateurs.

À l’interne, les relations ont aussi connu une embellie certaine. L’entreprise a vu ses relations du travail s’améliorer considérablement et le taux de satisfaction des nouveaux cadres à l’égard du processus d’accueil atteint 95 %. Et que dire des économies engendrées par l’amélioration notable des résultats en matière de santé et de sécurité du travail! Pour Yves Devin, il s’agit là de véritables indicateurs en matière de ressources humaines. « Trop souvent, dit-il, on a tendance à penser que tout ce qu’il faut, c’est être le plus efficace possible en dotation, en recrutement ou en rétention. Selon moi, ce n’est pas le nombre de CV reçus et traités ni le nombre d’embauches réalisées qui comptent. C’est la qualité des gens engagés. S’ils correspondent au profil et si la clientèle est satisfaite de la prestation qu’ils offrent. Comme gestionnaire, c’est ce qui m’intéresse, parce que c’est ce qui peut générer une plus-value pour l’organisation et nous faire avancer ensemble. »

Gestionnaire en ressources humaines expérimenté, Alain Brière s’est acclimaté sans trop de peine à la STM, notamment parce qu’il a toujours pu compter sur l’appui de son directeur général, affirme-t-il. « Yves a été responsable des ressources humaines une bonne partie de sa carrière. Il sait de quoi il parle et, quand il faut convaincre, il comprend vite la portée de mes propositions. Par contre, avoue-t-il en riant, il pose aussi les bonnes questions. Ça amène un défi supplémentaire et c’est très motivant. »

De son point de vue, l’importance accordée au dossier ressources humaines par le directeur général a d’ailleurs contribué à sensibiliser les autres directeurs à ces questions. Une affirmation confirmée par le principal intéressé. « Avant, reconnaît Yves Devin, les ressources humaines n’étaient pas considérées à leur juste valeur dans l’organisation. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. Neuf fois sur dix, quand Alain souhaite mettre quelque chose de l’avant, il n’a plus besoin de m’en parler avant. Chaque fois que nous voyons une faille, nous prenons ça comme une occasion de nous améliorer. Souvent la fonction ressources humaines nous fournit les outils pour le faire, elle nous aide à prendre la bonne direction en nous réalignant sur notre plan stratégique, qui met les employés au cœur de nos activités. Les autres directeurs y croient et ça génère une cohérence qui nous permet de nous distinguer. »

La STM en chiffres…

  • 150 ans d’histoire
  • 14e entreprise en importance au Québec
  • 9200 employés, 75 % hommes, 25 % femmes
  • 4 lignes de métro, 68 stations
  • 209 lignes d’autobus
  • 405 millions de déplacements en 2011
  • 2,65 millions de déplacements en transport adapté en 2010
  • Budget annuel de 1,2 milliard de dollars

Guylaine Boucher, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 15, numéro 1, janvier/février/mars 2012.


* Yves Devin, CRIA, recevait en octobre 2011 le prix Professionnel émérite, prestigieuse distinction récompensant les réalisations exceptionnelles de membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.


Guylaine Boucher