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Sept façons de déclencher une révolution

Dans le centre de planification de la stratégie de Ford, on peut lire ceci : « La culture ne fait qu’une bouchée de la stratégie. » Lorsqu’on pense aux entreprises à la fine pointe, Ford n’est peut-être pas celle qui nous vient à l’esprit, mais cette citation est frappante : la culture organisationnelle peut faire ou défaire la capacité d’induire le changement. La leçon : la culture est importante. Elle détermine la réussite de toutes les organisations, de la petite entreprise en démarrage à la grande multinationale connue.

[ In English 7 Ways to Spark a Revolution ]

13 octobre 2010
Jeremy Gutsche

Conférence – Exploiting Chaos – How to Spark Innovation and Create a Culture of Revolution

Comment réinventer les organisations pour donner vie à de nouvelles idées, favoriser l’imagination créatrice et amener les équipes au « prochain échelon »? Pour mettre en marche le moteur de la créativité, voici sept pensées sur la façon de déclencher une révolution.

1) Ne pas laisser le singe entraver le changement
Un jour, il y a longtemps, on a placé cinq singes menaçants ensemble dans une cage. Dans cette cage se trouvait une échelle qui permettait d’atteindre un régime de bananes bien mûres. Un puissant tuyau d’arrosage était relié à l’échelle.

Lorsqu’un premier singe est monté à l’échelle pour prendre une banane, la cage a été inondée. Un deuxième singe, curieux, a fait une autre tentative. Il a grimpé à l’échelle à toute vitesse, pressé de saisir la délicieuse friandise, déclenchant à son tour une douche qui a inondé la cage. Il est alors apparu clairement aux singes que si l’un d’eux tentait d’atteindre les bananes, ils allaient tous être trempés jusqu’aux os.

Chaque fois qu’un des cinq singes de la cage était remplacé par un nouveau singe, le nouveau venu se précipitait immédiatement vers le fruit tentant, mais le groupe le jetait au sol avant même qu’il touche au deuxième barreau. Ce manège se répétait chaque fois qu’un nouveau singe était amené dans la cage.

Plus tard, on a enlevé le tuyau d’arrosage, mais rien n’y fit, les singes avaient appris la leçon : il ne fallait pas tenter de prendre une banane. Les uns après les autres, les singes ont été remplacés jusqu’à ce qu’il ne reste plus dans la cage aucun des cinq singes d’origine. Le même comportement s’est maintenu. Pourquoi? Parce que c’est ainsi que nous faisons les choses ici.

La leçon : les vieilles méthodes et les idées arrêtées sont les ennemis de l’adaptation.

2) Comprendre que le temps de changer, c’est maintenant
Le chaos est l’incertitude créée par l’inconnu, la récession et des étincelles de possibilités. Il incite les entreprises à battre en retraite… mais pas toujours. Disney, CNN, MTV, Hyatt, Burger King, FedEx, Microsoft, Apple, Gillette, AT&T, Texas Instruments, 20th Century Fox, IBM, Merck, Hershey’s, IHOP, Eli Lilly, Coors, Bristol-Myers, Sun, Amgen, The Jim Henson Company, LexisNexis, Autodesk, Adobe, Symantec, Electronic Arts, Fortune, GE et Hewlett-Packard : ces entreprises emblématiques ont toutes été fondées en période de récession.

Cela s’explique par le fait qu’en période de changement, les gens continuent d’acheter, mais qu’ils savent de quoi ils ont besoin. Bref, des changements profonds et une simple évolution donnent naissance à une nouvelle série de besoins. Identifier ces besoins ouvre la voie à un succès remarquable.

Par exemple, pendant la Crise de 1929, le chômage a atteint 25 %, 15 000 banques ont fait faillite et Wall Street n’avait pas le côté séduisant qu’on lui connaît. Quatre difficiles mois après le début de la Crise, Henry R. Luce lançait le coûteux magazine Fortune. Chaque numéro coûtait 1 $, soit plus que ce que coûtait un chaud et utile chandail. Moment mal choisi, en apparence. Huit ans plus tard, Fortune comptait 460 000 abonnés. En 1937, le magazine déclarait un profit annuel de 500 000 $. Compte tenu de l’inflation, ce montant correspond à plus de 700 millions en dollars d’aujourd’hui. De quoi acheter de nombreux chandails.

Le professeur Andrew J. Razeghi, de l’École de gestion Kellogg de l’Université Northwestern, IL, offre cette explication : « Fortune a connu le succès pour les mêmes raisons exactement que tous les nouveaux produits célèbres : la revue contribuait à améliorer de façon particulière et pertinente la vie des clients. » Fortune était bien plus qu’une publication. Le magazine permettait de jeter un coup d’œil dans les salles du conseil des entreprises qui avaient survécu; Fortune était une réponse.

La leçon : les occasions existent même en période de chaos.

3) Savoir ce qu’on veut être
  • Si on est puissant, il faut agir humblement : libérer la réflexion entrepreneuriale, investir dans les entreprises qui dérangent et trouver des façons de défaire les structures. Surtout, craindre les nouveaux venus plus petits.
  • Si on est plus petit, il faut agir avec force : voler les clients des grandes entreprises, créer des partenariats qui ajoutent de l’envergure, exploiter sa compréhension supérieure du client. Profiter des entreprises existantes qui évoluent lentement.
4) Modifier la perspective de l’organisation pour déclencher une révolution
En 1993, IBM a été entraînée dans une dépression, perdant des milliards de dollars en un mois. La faillite semblait imminente. C’est à ce moment que Louis Gerstner est entré en scène. Le nouveau directeur général a réalisé que la clé du changement résidait dans la culture : « Si j’avais eu la possibilité de ne pas attaquer de plein fouet la culture d’IBM, je ne l’aurais probablement pas fait. Il est très difficile de changer les attitudes et les comportements de centaines de milliers de personnes. [Pourtant], j’ai pu constater avec le temps que, chez IBM, cette culture n’est pas seulement un aspect de l’entreprise, c’est l’entreprise. »

Louis Gerstner a notamment transformé la culture d’IBM en modifiant le jargon et les rituels. Il a observé qu’« on peut comprendre beaucoup de choses au sujet d’une organisation par son choix de mots… Je choisis moi-même mes mots très soigneusement ».

Il a organisé un atelier avec 420 dirigeants de l’entreprise. Il a présenté un tableau sur lequel était inscrit le jargon de l’entreprise, classé en fonction des mots bannis et des autres mots possibles. Pour inciter au changement, il a lu une citation de Larry Ellison, directeur général d’Oracle, l’un des plus importants concurrents d’IBM : « IBM ? Nous ne pensons même plus à cette entreprise. Ce n’est pas qu’elle est morte, mais elle n’est simplement plus pertinente. »

Dans les six années qui ont suivi, IBM est devenue une machine à profits. La valeur de ses actions a plus que décuplé. Sa transformation a été présentée comme le plus important redressement de l’histoire des affaires.

La leçon : en réinventant la perspective, on favorise et on façonne le changement.

5) Gagner comme si on y était habitué et perdre comme si on y prenait plaisir
Nous sommes instinctivement portés à louanger la réussite et à punir l’échec. Dans les entreprises, cette attitude se manifeste dans les évaluations du rendement, les conversations de couloir et la dynamique de groupe. Elle a pour effet involontaire de rendre les gens réticents au changement.

Si ceux qui s’efforcent sans y parvenir de se frayer un chemin dans un nouveau secteur ne jouissent d’aucune estime, quelle personne intelligente pourrait bien vouloir se joindre à eux?

Si on veut m’encourager à inventer la découverte capitale, je dois me sentir protégé. J’ai besoin de savoir qu’il vaut mieux que j’essaie de nouvelles idées quitte à échouer, plutôt que d’accepter des projets qui ne comportent aucun risque.

La leçon : célébrer l’échec permet de libérer la créativité.

6) Visualiser le désastre et les occasions
Les conducteurs de Formule 1, les lutteurs professionnels et les astronautes utilisent tous cet outil incroyablement puissant : la visualisation. Chacun peut s’imaginer en train de pratiquer le ski de compétition, un sport où la descente à 110 kilomètres-heure sur une pente glacée oblige à continuellement agir et réagir.

Filer à une vitesse qui glace le sang… Avec des skis aux carres affûtées comme une lame, franchir une porte après l’autre, espérant grignoter quelques fractions de seconde au temps de ses rivaux. Gagner de plus en plus de vitesse, le cœur battant et le paysage commençant à s’estomper. Prendre les virages de plus en plus serrés, repoussant les limites de sa propre sécurité. À cette vitesse, une chute serait fatale. Mais être déterminé, car il n’y aura pas d’autre occasion comme celle-là.

À un moment donné, perdre l’équilibre, car on va trop vite pour agir avec une sage prudence. Mais lorsque l’inattendu se produit, savoir comment réagir parce qu’on a descendu cette pente une douzaine de fois dans sa tête. On a vu chaque porte, chaque bosse et chaque virage en épingle à cheveux. On a visuellement imaginé sa réaction à chaque situation possible. En ski de compétition, la visualisation n’est pas facultative. Elle entraîne l’esprit à réagir à des situations imprévues.

On peut faire un parallèle saisissant entre le ski de compétition et l’innovation en période de chaos. Dans les deux cas, l’individu doit emprunter un parcours non familier à une vitesse inconfortable. Il fera des erreurs, mais le résultat dépendra de sa réaction.

  • Le chaos présente des risques et des occasions au moment le moins opportun.
  • Des projets vont échouer de façon inattendue.
  • Des personnes vont partir au moment où on a le plus besoin d’elles.
  • Des gens de talent offriront leurs services à un moment où on ne pourra pas les engager.
  • Des concurrents vont chanceler.
  • De nouveaux clients vont se présenter.

Comment réagir aux demandes urgentes qui se présentent à la fois en période de désastre et de possibilités? Comment réagir aux changements soudains dans les besoins des clients?

La leçon : les équipes qui imaginent leur réaction aux situations imprévues sont plus susceptibles de traverser avec succès les périodes d’incertitude.

7) Ne pas célébrer l’atteinte du sommet, célébrer plutôt l’ascension
La marque culte Patagonia est la création d’une entreprise d’articles de plein air qui a une conscience. Dans leur catalogue de 1974, les cofondateurs Yvon Chouinard et Tom Frost ont publié un essai surprenant qui laissait entendre que les gens devraient acheter un moins grand nombre de leurs produits. Plus précisément, ils demandaient aux randonneurs de transporter moins d’équipement pour réduire leur empreinte sur l’environnement. Ce n’est pas le genre de conseils que l’on attend d’une entreprise axée sur le profit.

Le texte comportait une affirmation qui constituait une réflexion sur la culture de l'entreprise : « C’est le type d’ascension, et non l’atteinte du sommet, qui est la mesure de la réussite personnelle. »

Des années plus tard, la philosophie d’Yvon Chouinard à l’égard de la randonnée allait devenir une métaphore pour le style de gestion adopté par Patagonia. Lors de la récession de 1991, des emprunts excessifs ont forcé l’entreprise à mettre à pied 20 % des employés. Cette situation a profondément affecté Yvon Chouinard. Depuis, il a limité la croissance de l’entreprise et ses emprunts, mettant plutôt l’accent sur le type d’ascension de Patagonia. Malgré les contraintes, Patagonia est devenue une marque convoitée.

La leçon : en célébrant le parcours, on entretient le moral et la passion.

Conclusion
Des entreprises remarquables ont réussi malgré le chaos, parce que les périodes de changement créent des occasions. Pour exploiter ces occasions, la culture organisationnelle joue un rôle prépondérant, qui fait de maintenant le moment non pas simplement de changer, mais de déclencher une révolution.

Jeremy Gutsche, directeur général, TrendHunter.com

Traduit par Danièle Veillette, traductrice agréée.

Source : Effectif, volume 13, numéro 4, septembre/octobre 2010.


Jeremy Gutsche