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Renaud-Bray : des livres et des hommes

Fin novembre, rue Saint-Denis à Montréal. Dans la succursale animée de la librairie Renaud-Bray, l’effervescence d’avant les fêtes se fait déjà sentir. Pour l’entreprise, c’est la période la plus achalandée de l’année. Pour répondre à la demande, près de mille employés sont à pied d’œuvre, pour la plupart dans les vingt-neuf succursales et au centre de distribution pour les ventes en ligne.

28 février 2013
Guylaine Boucher

Une grande équipe sans laquelle rien ne serait possible, admet Blaise Renaud, président-directeur général qui a pris la relève de l’entreprise fondée par son père, Pierre Renaud. Visite dans les coulisses du plus important réseau de librairies francophones en Amérique.

« Pendant longtemps, chez Renaud-Bray, les ressources humaines ont été gérées un peu comme un mal nécessaire, comme un service qui voyait essentiellement à gérer la paie, les congés et le recrutement, sans plus, affirme d’emblée Blaise Renaud. Dès mon arrivée comme PDG, j’ai voulu favoriser une vision RH plus stratégique, plus axée sur le management. »

L’objectif poursuivi est clair : engagée dans un important plan de développement, l’entreprise souhaite plus que jamais mobiliser ses troupes et soutenir l’innovation. Pour donner forme au changement, une bonne partie du comité de direction a été renouvelée en 2011. Le directeur des ressources humaines, Dominic Proulx, CRIA, fait partie des nouveaux venus. Les défis qui l’attendaient alors étaient de taille. La grève de 2005 avait laissé des traces et une certaine distance s’était installée entre la direction et les employés. « Trop longtemps, la communication aux employés s’est ­effectuée à travers les instances syndicales. Il fallait, dit monsieur Proulx, rétablir de toute urgence les canaux de communication avec les employés, entre autres pour qu’ils comprennent ce qu’est Renaud-Bray et surtout ce que l’entreprise veut devenir. »

Visites de succursales, formation des gestionnaires, coaching, nouveaux outils d’information, plusieurs canaux de communication ont été utilisés. L’équipe des ressources humaines, composée d’une dizaine de personnes, a aussi investi différentes fonctions dans l’entreprise pendant un temps, question de prendre le pouls du terrain. « Occuper durant quelques jours le poste des gens en succursale ou encore en entrepôt, voir concrètement en quoi consiste le travail, c’est très éclairant, affirme Dominic Proulx. Cela permet non seulement de créer des liens, mais aussi de faire comprendre aux gens que nous nous intéressons à ce qu’ils font et à ce qu’ils vivent au quotidien. » Encore aujourd’hui, tous les employés du service des ressources humaines sont invités à se prêter au jeu en allant donner un coup de main en succursale durant la période de pointe de décembre, à raison d’une journée par semaine en moyenne. En fait, le PDG lui-même met la main à la pâte.

Des processus revus et améliorés
En plus de la reconstruction des canaux de communication avec les employés, la direction des ressources humaines a revu ses processus de fond en comble. Que ce soit la gestion des avantages sociaux, la santé et la sécurité du travail ou la politique de rémunération, pratiquement aucun secteur d’activité n’a été épargné. De nouveaux processus ont aussi été implantés, dont l’appréciation du rendement de l’ensemble des employés. Une nouveauté finement planifiée et organisée avant d’être déployée, au dire du directeur des ressources humaines. Tous les gestionnaires ont été rencontrés et formés sur le processus et une rétroaction a ensuite été effectuée pour ajuster le tir, si nécessaire. Un succès d’équipe qui fait la fierté de Dominic Proulx et qu’il n’hésite pas à qualifier de plus grande réussite de l’année 2011. Le processus ainsi que les outils feraient certainement la fierté de bien des services des ressources humaines, selon lui.

Pour les employés et les syndicats en place, habitués à une gestion très différente, le changement a été majeur. « Les six premiers mois ont été difficiles, reconnaît d’ailleurs le directeur des ressources humaines. Pour atténuer la dichotomie patronale/syndicale, j’ai fait en sorte d’équiper nos gestionnaires afin qu’ils s’adressent d’abord aux employés et ensuite aux représentants syndicaux plutôt qu’aux conseillers des centrales qui les représentent. Nous avons discuté “business”, présenté des faits raisonnés et il n’y a pas eu de chicane inutile. Chaque fois, résume Dominic Proulx, le mot d’ordre était le même : simplifier les choses. C’est que rien ne sert de rendre les choses trop complexes. Il faut demeurer agiles et pouvoir s’ajuster rapidement pour être en mesure de demeurer compétitifs. »

Du point de vue de Blaise Renaud, ce nouvel alignement correspond aussi très bien à la philosophie de gestion générale de l’entreprise. « Il est impossible pour nous de nous asseoir sur notre concept. Dans le contexte économique actuel, les entreprises qui survivent sont celles qui savent innover. La mobilisation du personnel et son engagement dans des projets sont des moyens d’y arriver. Le défi est d’autant plus grand que, contrairement à d’autres magasins de détail, nous n’avons pas de modèle unique de mise en marché. Aucune de nos succursales n’est semblable. Elles n’ont pas la même superficie, ne sont pas organisées de la même manière, n’offrent pas les mêmes produits, les mêmes heures d’ouverture. Nous adaptons notre offre en fonction de la clientèle qui fréquente le magasin, pour qu’elle s’y sente chez elle. »

Écrire l’avenir
Deux ans se sont écoulés depuis l’important changement de cap amorcé par l’entreprise. Au strict plan économique, la recette semble porter ses fruits. En 2012 seulement, quatre nouvelles succursales se sont ajoutées. Le chiffre d’affaires est lui aussi en hausse, particulièrement du côté des ventes en ligne qui sont passées de 6,5 millions en 2010 à 8,5 millions au cours de la dernière année. Même s’il s’inquiète de la morosité économique ambiante, Blaise Renaud affirme d’ailleurs qu’il maintient ses objectifs de croissance pour les prochaines années.

En matière de gestion des ressources humaines, les douze prochains mois seront toutefois cruciaux. C’est effectivement en 2013 que sera entamée la nouvelle ronde de négociations avec cinq des huit unités d’accréditation en place, qui représentent la majorité des employés. Selon Dominic Proulx, qui possède de nombreuses années d’expérience en relations du travail, « les enjeux sont importants ». Les conventions collectives, qui ont atteint à son avis une certaine maturité depuis leur introduction au tournant des années 2000, ont elles aussi besoin d’un petit rafraîchissement. « Habituellement, dans le monde du commerce de détail, la courbe de la masse salariale doit s’ajuster à la courbe du chiffre d’affaires de l’entreprise. Ce n’est pas exactement le cas chez nous et nous aimerions trouver avec les syndicats une façon d’assurer un meilleur contrôle des coûts dans ce domaine, afin d’assurer la pérennité de l’entreprise à long terme et le maintien de dizaines d’emplois. » La gestion des horaires de travail figurera aussi au cœur des discussions. C’est qu’à ce sujet également, l’employeur avoue être en quête d’une plus grande flexibilité afin d’avoir le même avantage concurrentiel que ses compétiteurs.

Une nécessité par les temps qui courent, d’après Blaise Renaud. « Avec l’avènement du numérique notamment, l’industrie du livre change beaucoup et les habitudes de consommation également. Il faut continuer de se différencier avec des espaces nouveaux, uniques et avec des produits exclusifs. Pour y arriver, affirme-t-il en guise de conclusion, nous devons nous montrer attentifs aux moindres détails. La succursale de Victoriaville peut difficilement être gérée comme celles de Brossard ou de la rue Saint-Denis à Montréal, entre autres parce qu’elles ne desservent pas les mêmes types de clientèle. La gestion des ressources humaines chez Renaud-Bray ne peut pas se faire comme dans une usine. Le respect de la culture est primordial. Nous y travaillons tous les jours. »

Renaud-Bray en chiffres
  • 29 succursales
  • Environ 1 000 employés, selon les saisons
  • 8 unités d’accréditation
  • Un chiffre d’affaires annuel de 130 millions de dollars, dont 8,5 millions de ventes en ligne

Guylaine Boucher, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 16, numéro 1, janvier/février/mars 2013.


Guylaine Boucher