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Pour un retour au travail sans dérapage…

Les maladies reliées à la santé mentale ont augmenté de façon importante au cours des dernières années. Les entreprises doivent maintenant composer avec cette nouvelle réalité qui crée de nombreux problèmes, notamment une augmentation du taux d’absentéisme, ce qui affecte la productivité et la profitabilité des entreprises.

28 avril 2008
Linda Bernier, CRIA | Marie-Josée Sigouin, CRIA

Les absences en raison de maladies reliées à la santé mentale, qu’elles soient de nature personnelle ou professionnelle, sont généralement de longue durée et parfois récurrentes. C’est pourquoi la prévention et la gestion des invalidités reliées à la santé mentale doivent constituer une priorité pour toutes les entreprises.

Dans ce contexte, tout employeur doit suivre l’évolution du dossier d’un employé absent, d’abord auprès de celui-ci; il doit le faire aussi auprès de l’assureur, si l’employé a demandé des prestations d’assurance invalidité, ou de l’argent de la CSST, s’il a fait une réclamation pour lésion professionnelle.

Particulièrement si l’employé est absent à cause d’un problème de santé mentale d’origine personnelle, il est utile de bien planifier son retour au travail afin de s’assurer qu’il ne dérapera pas. L’enjeu n’est pas d’obtenir qu’il revienne au travail le plus rapidement possible, mais bien de s’assurer d’éviter les rechutes.

Pour atteindre cet objectif, l’employeur ne doit pas attendre passivement que tout redevienne « comme avant ». Il doit être proactif afin de s’assurer que le retour au travail se fasse de façon satisfaisante tant pour l’employé concerné que pour son supérieur et ses collègues de travail.

Garder un contact avec l’employé pendant son absence, en prenant régulièrement de ses nouvelles par exemple, peut favoriser son retour au travail; en effet, cette démarche peut aider à maintenir le lien de confiance et le sentiment d’appartenance. Si l’employé absent se sent soutenu, particulièrement lorsque le milieu de travail est à l’origine de son problème de santé mentale, son inquiétude face à son milieu de travail peut s’atténuer. La prudence s’impose toutefois concernant le choix de la personne désignée pour garder ce contact et les questions qu’elle pourrait poser à l’employé absent. Il ne faudrait pas qu’une bonne intention se transforme en accusation pour harcèlement psychologique!

Planifier le retour au travail
Que le retour au travail se fasse de façon progressive ou non, la planification de cette réintégration est essentielle. Il est alors important d’éviter la surcharge de travail et de s’assurer que l’employé peut s’adresser rapidement à une personne en cas de problème (supérieur, collègue, programme d’aide aux employés, etc.).

L’implication du supérieur immédiat est essentielle. Or, il arrive fréquemment que le responsable du service des ressources humaines ou du service de santé refuse de donner aux gestionnaires des informations confidentielles sur les employés, en invoquant notamment le fait que la loi interdit de transmettre des renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée. Comment un gestionnaire peut-il faciliter la réintégration d’un employé s’il ne connaît même pas la nature de l’invalidité qui a causé son absence pendant plusieurs mois?

Selon l’article 20 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, un gestionnaire peut avoir accès aux informations nécessaires à l’exercice de ses fonctions, et ce, même si le consentement de l’employé concerné n’a pas été préalablement obtenu. En conséquence, un gestionnaire peut avoir accès aux renseignements personnels pertinents contenus au dossier d’un employé afin de prendre une décision éclairée. Par exemple, lors de la réintégration d’un employé absent depuis plus d’un an, il peut être nécessaire pour le supérieur immédiat de cette personne de savoir que le problème de santé mentale qui a entraîné cette absence était relié au travail.

L’obligation d’accommodement
Suite à une absence pour une maladie reliée à la santé mentale, il arrive que la recommandation de retour au travail comporte certaines restrictions permanentes ou temporaires. Or, dans un cas comme dans l’autre, un employeur a l’obligation d’accorder un accommodement à l’employé.

En effet, l’employé est alors protégé par les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne qui interdisent la discrimination fondée sur le handicap; à cet effet, les maladies de nature psychologique et les dépendances ont été considérées à maintes reprises par les tribunaux comme un handicap.

L’employeur doit donc faire de réels efforts afin de trouver un accommodement pour l’employé qui demande sa réintégration, en explorant les différentes avenues possibles. Toutefois, il n’a jamais l’obligation de créer un poste sur mesure afin de permettre à l’employé de continuer à travailler dans l’entreprise. L’employé, son syndicat le cas échéant et les collègues de travail ont également l’obligation de collaborer à la recherche d’un accommodement. Il faut préciser que l’employé doit lui aussi faire des compromis, ce qui pourra signifier, dans certaines circonstances, un changement de statut, d’horaire et même de salaire.

L’obligation d’accommodement de l’employeur cesse en présence de contrainte excessive. Plusieurs facteurs peuvent constituer une contrainte excessive (coût financier, atteinte à la sécurité, atteinte aux droits des autres employés, etc.) et ils varient généralement en fonction de la nature et de la taille de l’entreprise. Les tribunaux exigent beaucoup plus d’imagination, d’innovation et d’efforts de la part d’une grande organisation que d’une PME.

L’expertise médicale
Une demande de réintégration à la suite d’une invalidité de nature personnelle peut être accompagnée de restrictions médicales ou tout simplement soulever des doutes chez l’employeur quant à la capacité de l’employé de fournir une prestation normale de travail, par exemple quand celui-ci a un lourd dossier d’absentéisme.

Lorsqu’un employé demande à être réintégré dans ses fonctions après une longue absence, l’employeur peut exiger qu’il se soumette à une expertise médicale avant d’autoriser son retour au travail. Cette requête, qui permet de vérifier et de préciser la nature des restrictions, peut être justifiée par plusieurs motifs :

  • la convention collective le prévoit;
  • la période d’absence a été très longue;
  • il s’agit, par exemple, de la troisième période d’absence de longue durée pour le même motif;
  • le certificat médical remis est imprécis ou les informations médicales données par l’employé sont contradictoires;
  • l’employé est soudainement apte au travail la veille du jour où il aura épuisé ses prestations d’assurance salaire.

Cette expertise médicale peut aussi permettre à l’employeur de vérifier s’il peut accorder un accommodement à l’employé, au cas où des restrictions médicales empêcheraient ce dernier d’exercer les fonctions rattachées à son poste ou s’il était incapable de fournir une prestation normale de travail.

Lorsque des motifs raisonnables permettent de croire qu’un employé n’est pas apte à reprendre ses tâches, l’employeur peut refuser de le réintégrer tant et aussi longtemps qu’il ne se sera pas présenté devant l’expert choisi, lequel devrait être un psychiatre lorsqu’un problème de santé mentale est diagnostiqué.

Finalement, dans certains cas, avant de demander une expertise médicale, il peut être plus rapide et économique de s’adresser au médecin traitant de l’employé, particulièrement lorsque ce dernier a remis un certificat médical laconique recommandant sa réintégration à certaines conditions, par exemple « ne peut travailler le lundi ou le vendredi » ou « doit éviter le stress » ou « ne peut plus exécuter certaines tâches ». Avant de tenter de trouver un accommodement, l’employeur devrait s’adresser au médecin traitant afin de s’assurer que celui-ci avait en main la description de tâches de l’employé lors de l’émission des restrictions et de lui demander des précisions concernant les raisons médicales objectives justifiant ces restrictions. Cette demande de précisions peut, dans certains cas, inciter le médecin traitant à revoir les restrictions, particulièrement lorsqu’elles ont été formulées sur la foi des représentations de l’employé. Toutefois, l’employeur doit préalablement obtenir le consentement de son employé avant de s’adresser au médecin traitant.

Le retour progressif au travail
Lorsque l’absence est reliée à un problème de santé mentale, il arrive fréquemment que le médecin traitant ou, le cas échéant, la compagnie d’assurances recommande un retour progressif au travail. Souvent, cette forme de réintégration accélère le retour au travail à temps plein et diminue les risques de rechute.

Le retour progressif au travail peut se traduire tant par une progression des heures et journées de travail que par une gradation des tâches à accomplir. Il n’est sûrement pas recommandé de submerger de travail un employé qui s’est absenté pour un problème de santé mentale dès sa première journée de travail!

Mais attention! Un employeur n’est pas tenu d’accepter intégralement un retour progressif au travail, particulièrement lorsque les modalités d’application lui paraissent discutables ou difficiles à respecter. Il est important de réaliser que, bien souvent, ce retour progressif est recommandé en tenant compte des désirs de l’employé et non de sa condition médicale. Un retour progressif étalé sur une longue période de temps ou interdisant le travail de nuit ou la fin de semaine pourrait soulever des doutes quant aux motifs médicaux justifiant cette demande.

En matière de santé mentale, les tribunaux ont reconnu à plus d’une reprise qu’un retour progressif au travail ou à temps partiel constitue une mesure d’accommodement raisonnable qui n’impose pas de contrainte excessive à l’employeur. L’élimination des tâches stressantes ou la modification de l’horaire de travail peuvent également constituer des accommodements qui permettent à un employé de fournir une prestation normale de travail.

En terminant, il est important de se rappeler que, malgré les préjugés qui persistent en matière de santé mentale, la majorité des employés qui s’absentent pour ce type de maladie sont de bonne foi et ne cherchent pas à bénéficier de vacances supplémentaires aux frais de leur employeur. Dans une époque où il est de plus en plus difficile de recruter et de conserver les bons employés, les pratiques de gestion concernant le retour au travail des employés pourront certainement avoir un impact sur le taux de roulement dans les organisations.

Marie-Josée Sigouin, CRIA, avocate, et Linda Bernier, CRIA, recherchiste, Les Avocats Le Corre & Associés

Source : Effectif, volume 11, numéro 2, avril/mai 2008.


Linda Bernier, CRIA Recherchiste Groupe Le Corre & Associés

Marie-Josée Sigouin, CRIA Avocate Groupe Le Corre & Associés Inc.