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Responsabiliser l’employé en vue d’un retour au travail durable

Les absences liées à un problème de santé psychologique sont en constante progression. Selon la Direction de la santé publique de Montréal-Centre, au Canada, de 30 % à 50 % des indemnisations versées par les assureurs le sont pour un problème de santé psychologique.

5 mai 2010
Karine St-Jean

Les travailleurs qui éprouvent un problème de santé psychologique s’absentent plus longtemps que ceux qui souffrent d’une maladie physique. Et l’absence d’un individu en arrêt de travail depuis trois mois pour cette raison risque fort de se prolonger au delà d’une année. En fait, 20 % de ces travailleurs ne seront pas de retour au travail à l’intérieur d’une année.

Mieux comprendre pour mieux gérer
Mais comment prévenir la chronicité et favoriser leur retour au travail rapide et durable sans brusquer ces travailleurs? Une meilleure compréhension des nombreux éléments en jeu dans les problématiques de santé psychologique est une première étape. Avec les symptômes, les facteurs expliquant la persistance du problème et de l’absence sont physiologiques, sociaux, psychologiques et fonctionnels (voir tableau ci-dessous). De façon cohérente, c’est sur cet amalgame de facteurs, et non pas uniquement sur les symptômes, que doit porter l’intervention afin de favoriser le retour à la santé et d’obtenir des résultats durables.

Une période de repos, et, parfois, la médication et la psychothérapie permettront à la plupart des travailleurs de gérer leurs symptômes et de retrouver un bien-être. Toutefois, cela est parfois insuffisant et, lorsque l’absence se prolonge, un cercle vicieux s’installe progressivement. Les symptômes et pensées négatives mènent les gens à faire de moins en moins d’activités plaisantes, valorisantes ou significatives et à éviter de plus en plus certaines activités stressantes. Leur confiance en eux, leur estime de soi et le sentiment de plaisir qu’ils éprouvent sont diminués. Cela confirme leurs perceptions négatives (je ne vaux rien, je ne pourrais jamais réussir, etc.), affecte leur motivation et détériore davantage leur humeur. Ainsi, ils seront encore moins actifs et auront moins d’énergie, de concentration et d’attention, ce qui entraîne du déconditionnement physique et cognitif. Ce cercle vicieux favorise le maintien des symptômes et la prolongation de l’absence. Plus le temps passe, plus le cercle vicieux devient difficile à briser. Comme gestionnaire, il devient alors de plus en plus malaisé d’aider ces travailleurs et un sentiment d’impuissance s’installera souvent.

En cas d’absence prolongée…
Idéalement, les interventions devraient être amorcées dans les jours suivant l’arrêt de travail. Les travailleurs ont souvent besoin de prendre quelques jours, voire quelques semaines d’un repos exempt de pression pour le retour au travail. Cependant, le maintien d’un contact visant à offrir un soutien et une écoute peut être très bénéfique, car il permet de maintenir le lien d’emploi et de s’assurer que la personne reçoit les soins dont elle a besoin pour recouvrer la santé. Cette démarche, si elle est empreinte d’un réel désir d’aider le travailleur, aura un impact positif sur sa collaboration. Elle permettra également de faire des suggestions d’interventions si son état ne s’améliore pas après quelques semaines (environ huit, mais cela varie selon les individus et les problématiques). Les signes que l’état stagne ou se détériore sont nombreux : augmentation des symptômes, isolement, absence d’activités, discours très pessimiste ou d’impuissance, affirmation que la situation ne change pas, etc. Ces signes sont un indice qu’il faut agir pour prévenir la chronicité.

Lorsque plusieurs facteurs maintiennent les symptômes, une intervention interdisciplinaire sera beaucoup plus efficace que des actions isolées. Ce type d’intervention permet d’aborder simultanément tous les éléments qui maintiennent les symptômes et d’agir en vue d’un objectif commun. Dans ce contexte, kinésiologue, ergothérapeute et psychologue interviennent ensemble auprès du travailleur et leurs interventions sont guidées par un objectif commun : le retour à la santé et au travail.

Intervention interdisciplinaire
Lors d’un programme interdisciplinaire actif, le kinésiologue proposera une série d’exercices et d’activités visant l’amélioration de la condition cardiovasculaire et musculaire. Ces exercices contribuent à améliorer le sommeil, l’énergie et l’humeur entre autres par leur effet sur le rétablissement des concentrations de neurotransmetteurs (sérotonine, dopamine, etc.) dans le cerveau. Les interventions en ergothérapie viseront, quant à elles, la reprise progressive d’une vie active, organisée et structurée. Elles permettront également le développement des capacités fonctionnelles et cognitives (mémoire, attention, concentration) au moyen de divers exercices. Lorsque le retour au travail sera envisagé, elles prépareront la personne physiquement et cognitivement au moyen de tâches spécifiques au travail. Quant aux interventions en psychologie, elles ont pour objectif d’aider la personne à s’adapter et à gérer plus efficacement sa situation. Par exemple, elle apprendra et utilisera des stratégies qui lui permettront de remettre en question ses pensées négatives. Des techniques de résolution de problèmes, d’affirmation de soi, de communication et de gestion de stress sont également enseignées. Les interventions ne visent pas une psychothérapie à long terme pour s’attaquer à l’ensemble des difficultés; elles sont centrées sur un objectif clair et concret : la gestion de la situation actuelle pour faciliter le retour au travail. Et elles sont réalisées avec l’objectif que le travailleur puisse maîtriser les outils enseignés et les réutiliser seul.

Facteurs impliqués dans la dépression et l’anxiété *
Phychologiques
  • Changements biochimiques dans le cerveau (ex. sérotonine, dopamine, noradrénaline)
  • Déconditionnement physique
  • Manque d’énergie
Psychologiques
  • Pensées négatives récurrentes
  • Perte d’estime et de confiance en soi
  • Comportements d’évitement
  • Anhédonie
Sociaux
  • Isolement
  • Peur du jugement
Cognitifs
  • Concentration, mémoire et attention altérées
  • Déconditionnement cognitif
Fonctionnels
  • Structure de vie et quotidien désorganisés
  • Diminution des activités significatives et plaisantes
* Ces facteurs ne sont pas nécessairement tous présents. Les pensées négatives ou anxieuses sont observées chez la plupart de ces travailleurs.

Des communications seront maintenues avec tous les acteurs impliqués dans le dossier tout au long des interventions et les objectifs seront communs à tous. La durée du programme est relativement courte (4 à 12 semaines) et varie selon l’intensité des symptômes. Plus les symptômes sont installés depuis longtemps, plus le cercle vicieux est bien ancré, plus le traitement sera long.

Retour au travail
Lorsque le travailleur est prêt à envisager son retour au travail, préparer cette démarche est crucial. Pour faciliter cette étape et s’assurer de la collaboration du travailleur, discuter avec lui de la réalité actuelle du travail est important (horaire, tâches, changements survenus, etc.). Également, demander à l’employé ce qu’il souhaite pour son retour au travail et ce qu’il anticipe maximisera sa collaboration. Par exemple, comment voit-il son travail? Qu’est-ce qui l’a fait chuter? Qu’est-ce qu’il changerait pour que cela ne se reproduise pas? A-t-il des inquiétudes, des besoins? À partir de ses idées, on pourra discuter et trouver un point d’entente. Cette discussion ne vise pas à promettre d’accéder à tous les désirs de l’employé, mais bien à comprendre son point de vue afin d’établir un dialogue menant à des compromis et à une entente pour son retour au travail.

Lorsqu’une date est fixée, il faut s’assurer que l’équipe de travail sait que l’employé revient, que le poste de travail est fin prêt et que ses tâches sont organisées. Ces détails faciliteront son intégration à une situation déjà très stressante. Il peut être très utile de demander à l’employé comment il aimerait être accueilli. Transmettre cette information aux membres de son équipe peut les aider à se sentir plus à l’aise lorsqu’ils rencontreront leur collègue. Il est aussi fort utile de maintenir un suivi tout au long du retour au travail pour s’assurer que tout se déroule bien. Cela facilite la mise en place rapide de solutions si des embûches surviennent et aide à prévenir une récidive.

Conclusion
La clé du succès réside dans une intervention simultanée sur l’ensemble des facteurs de maintien. Par ailleurs, pour faciliter le maintien des acquis et prévenir la récidive, il est nécessaire de responsabiliser l’employé. Ainsi, il possédera divers outils qu’il pourra réutiliser lorsque des moments plus difficiles surviendront.

Un dernier mot sur un aspect intuitif, mais rarement mis de l’avant : l’importance de demander l’opinion du travailleur et de partir de là pour trouver des solutions. Généralement, cette démarche se heurte à un peu de résistance de la part du gestionnaire de cas, quel qu’il soit. Mais cette démarche garantit la réelle collaboration du travailleur et maximise les chances de succès, succès qui signifie le retour au travail d’un employé en santé et productif.

Karine St-Jean, Ph. D., coordonnatrice d’équipe, L’équipe Entrac

Source : Effectif, volume 13, numéro 2, avril/mai 2010.


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Karine St-Jean Conseillère principale, services santé psychologique L'équipe Entrac