Conférence – The World in 2030: Long-term Trends Affecting our Lives and Organizations
Sans être cartomancien ni devin, on peut structurer ses réflexions de prospective et chercher à prévoir plutôt qu’à prédire l’avenir.
Ainsi, d’ici 2030, quatre grandes tendances façonneront la vie des gens : les effets de la population sur l’environnement et la société, la mondialisation, la géopolitique et la gouvernance ainsi que les sciences et les technologies. Dans cet article, nous explorerons brièvement les deux premières mégatendances et leurs implications stratégiques en terme de gestion des ressources humaines.
Les effets de la populationDans les années 60, les démographes pensaient que la population mondiale allait doubler tous les trente-cinq ans. Aujourd’hui, en raison de la contraception et de la présence accrue des femmes au travail, on prévoit que la population doublera plutôt tous les soixante-sept ans. On franchira quand même la barre des sept milliards d’habitants vers la fin de 2011, puis celle des 8,5 milliards en 2030, dont 85 % vivront dans les pays en développement. En fait, la croissance sera faible, voire négative au Japon, en Europe et en Amérique du Nord, même s’il y aura 75 millions d’Américains et 4,6 millions de Canadiens de plus. Mais il y aura 230 millions d’Indiens et cent millions de Chinois de plus. Il y aura donc plus de jeunes ou plus de vieux selon l’endroit où on habitera.
Dans les pays riches, le pourcentage de la population âgée de plus de soixante-cinq ans passera de 15 % à près de 20 %. Celle de la Chine passera de 8 % à 12 %. De fait, en 2050, il y aura autant de Chinois âgés de soixante-cinq ans et plus que d’Américains au total. C’est pourquoi les Chinois s’efforcent de devenir riches avant de devenir vieux. En 2030, il y aura 246 millions de personnes âgées de quatre-vingt-cinq ans et plus, dont 60 % vivront en Asie.
L’âge du changement est donc aussi celui du changement d’âge et le taux de participation des travailleurs âgés retournera en Occident à son niveau des années 1940, soit avant l’arrivée des régimes de pension et des programmes sociaux généreux qui ont apporté « l’âge d’or de l’âge d’or ». Par exemple, en 2000, seulement 26 % des Belges et 29 % des Italiens âgés de plus de cinquante-cinq ans travaillaient.
Ce sera aussi l’ère de l’urbanisation, puisque l’essentiel de la nouvelle population mondiale vivra dans les villes ou mégapoles. Un phénomène nouveau qui aura des conséquences importantes sur l’environnement et sur les ressources. Car plus de personnes, c’est aussi plus de mains dans la jarre à biscuits et une planète qui se vide de ses ressources. Environ 40 % des meilleures terres arables ont été surexploitées, la surpêche a vidé la moitié des bancs de poissons, près d’un milliard de barils de pétrole ont été brûlés au cours des trente dernières années, plus de trente-deux millions d’acres de forêt sont détruits chaque année et quinze millions d’acres de désert apparaissent. En outre, dix-sept mille espèces animales, aquatiques et végétales répertoriées sont menacées d’extinction.
L’urbanisation, l’agriculture et le climat affectent l’accès à l’eau potable : aujourd’hui, une personne sur huit souffre du manque d’eau potable, trois millions et demi de personnes en meurent chaque année. En fait, la moitié des lits d’hôpitaux dans le monde sont occupés par des malades qui souffrent d’une condition liée à l’eau. En parallèle, la malnutrition affecte un milliard de personnes. En 2020, il faudra produire annuellement 640 millions de tonnes de grain de plus qu’en 1997 (41 % iront en Asie) et 95 millions de tonnes de poissons de plus qu’en 1995.
Nous pourrions aussi détailler les conséquences de la population sur l’énergie, notamment sur la demande en hydrocarbures. Mais nous nous en tiendrons à cette image : l’équivalent pétrolier d’une seconde Arabie saoudite ou une interdiction de conduire son véhicule deux jours par semaine en Europe et Amérique du Nord seront requis pour satisfaire les besoins des nouveaux automobilistes chinois (dont, paradoxalement, les subventions en carburant ont atteint 23 milliards de dollars américains en 2007).
Dans son best-seller The Revenge of Gaia, John Lovelock décrivait une contre-réaction naturelle de Mère Nature en réponse au mal qu’on lui inflige. Constatant les 235 000 morts et les deux cents millions de personnes déplacées à la suite des catastrophes météorologiques de l’année 2008, avec des coûts de l’ordre de 180 milliards de dollars américains, on peut commencer à croire à sa théorie d’un processus dangereux et irréversible. Avec 40 % de la calotte glacière arctique déjà fondue, des millions de tonnes de méthane prêts à s’échapper pour accélérer le réchauffement planétaire et plus de 135 millions de personnes vivant à un mètre sous le niveau de la mer, les changements climatiques deviendront-ils l’ennemi public numéro un? D’aucuns en déduiront qu’après la révolution industrielle et celle des nouvelles technologies, voici enfin venue celle de la technologie verte appliquée aux secteurs de l’énergie, du transport, du bâtiment, de l’agriculture et à la gestion des déchets.
IMPLICATIONS STRATÉGIQUES POUR LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES
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La mondialisation
La mondialisation des échanges allait bon train bien avant la découverte du Canada. Plus tard, au début du vingtième siècle, des associés de Sun Life ont quitté Montréal à destination de l’Amérique latine, de l’Afrique et de l’Asie pour ouvrir des sociétés d’assurance-vie. Une grosse malle, un paquebot et l’esprit d’aventure rendaient ces hommes parfois plus rapides à mondialiser leurs affaires qu’un jet privé ou qu’un blackberry ne le permet aux cadres d’aujourd’hui. Mais ce qui a changé, c’est la multiplicité des échanges et l’intégration économique plus intense des dernières décennies, qui ont conduit à la prospérité mondiale et mis en valeur deux variables importantes : de nouveaux joueurs et l’interdépendance économique.
De nouveaux joueurs
Lenovo, Cemex, Tata, Infosys, Vale, Ranbaxy ou Embraer, ces marques émergent de pays dits du tiers monde au temps de nos parents. Le Fonds monétaire international affirme aujourd’hui que les pays en développement vont dépasser la part des économies avancées dans le PIB mondial d’ici trois ans, passant de 30 % pendant les décennies 1980 et 1990 à 53 %. Cette effervescence tient de l’avantage démographique des pays émergents, de la modernisation de leurs économies et de la libéralisation des échanges et des marchés financiers. Et souvent aussi de leur dotation en ressources naturelles ou simplement de leur situation géographique.
Ainsi, la très grande majorité des trois cents millions de nouveaux travailleurs qui joindront la population active d’ici 2020 habitera dans ces pays. En 2020, 488 millions de nouveaux ménages auront un revenu disponible entre 5000 $ US et 15 000 $ US (dont 306 millions en Chine et Inde) et les dépenses moyennes en consommation des citoyens des pays émergents atteindront 6450 $ US (contre 28 000 $ US dans les pays du G7). En 2020, le PIB par habitant de l’ensemble BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) sera le tiers de celui du G7, malgré une population quatre fois supérieure. En 2030, les classes moyennes compteront 1,2 milliard de personnes versus 430 millions en 2000 (la Chine et l’Inde représenteront les deux tiers de cette explosion).
L’interdépendance économiqueDans ce village économique mondial, la création de valeur est rapide, mais la destruction encore plus, les contagions étant virulentes. Ainsi, une crise financière débutée en 2008 au sein de quelques institutions américaines a déclenché une crise bancaire européenne, puis contaminé les économies de la planète. Une crise de la demande et des bilans publics et les soubresauts des devises et des bourses plongent le XXIe siècle dans sa première récession mondiale. Une reprise pointe le nez, mais elle exige patience et résilience; elle sera peut-être vue avec une lunette en « 3D », déglobalisation, désendettement et déconsommation, ainsi que dans une optique d’interdépendance à long terme.
LE MONDE EN 3D | ||
Déglobalisation Mondialisation redessinée | Désendettement Finances rééquilibrées | Déconsommation Dépenses repensées |
Capitalisme d’État, interventionnisme, nouvelle réglementation et rivalité économique accrue | Pertes en capital, pertes d’emplois ou pertes d’opération | Fin du crédit facile |
Régionalisme commercial, financier et politique | Assainissement forcé des bilans personnels, des bilans des entreprises et des bilans publics | Baisse des dépenses, hausse de l’épargne |
Sécurité et diversité économiques | Limite du crédit et de la tolérance des prêteurs et payeurs de taxes | Incertitude sur le plan de l’emploi |
Commerce de proximité (en réponse aux coûts de transport et au mercantilisme) | Recherche d’une meilleure cote de crédit | Retour des prix élevés des ressources naturelles |
Découplage économique (É-U/UE/Asie) et montée d’un pôle asiatique plus autonome | Reprise moribonde et risques financiers favorisant les liquidités | « Inflation verte » |
Fragilité et nouvelles règles affectant le secteur bancaire | Anticipation d’une hausse des frais des services publics ou des taxes | |
Hausse des taux d’intérêt et des normes de crédit | Dématérialisation des besoins et frugalité volontaire | |
Rattrapage en regard des pays émergents (et en surplus de capital) | Conscientisation environnementale accrue | |
Vieillissement de la population |
IMPLICATIONS STRATÉGIQUES POUR LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES
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En poursuivant une étude similaire des deux autres mégatendances (géopolitique et gouvernance, sciences et technologies), toute direction des ressources humaines peut en venir à cerner les conséquences, les incertitudes, les risques et les opportunités auxquels une organisation devra faire face à long terme. Dans ces temps marqués par le chaos et l’imprévu, ce n’est pas parce que rien n’est certain qu’il faut n’être certain de rien. Bien menée, cette exploration de l’avenir permet une réflexion stratégique qui guidera la création d’un plan d’action proactif et de solutions appropriées en matière de gestion des ressources humaines.
Éric Noël, vice-président principal, Amérique du Nord, Oxford Analytica
Source : Effectif, volume 13, numéro 4, septembre/octobre 2010.