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Les tests de personnalité : comprendre leurs limites pour améliorer la sélection… et non y nuire!

Avant l’arrivée d’Internet, les tests de personnalité étaient rarement utilisés par d’autres que des psychologues en raison des efforts importants requis pour administrer et, surtout, corriger les tests papier-crayon. Les nouvelles technologies ont éliminé ces étapes fastidieuses...

Il y a maintenant foisonnement de tests qui sont utilisés dans des contextes de sélection. Simples, ces solutions sont souvent perçues comme complémentaires aux outils de sélection traditionnels.

2 octobre 2013
Pascal Savard, CRHA

Les distributeurs de tests font un effort de vente important auprès des professionnels en ressources humaines, qui n’ont généralement pas été formés à l’utilisation des tests psychométriques. Souvent, les distributeurs imposent un processus de certification rémunérateur, par lequel ils forment les utilisateurs à l’interprétation des rapports automatisés, sans toutefois bien expliquer les limites des outils et le rôle qu’ils devraient jouer dans le processus de sélection. En conséquence, les tests sont parfois mal utilisés et compromettent la qualité de la sélection au lieu de l’améliorer.

La validité des tests de personnalité


On dit qu’un test est valide lorsqu’il mesure bien la caractéristique qu’il cherche à mesurer. Dans la majorité des cas, les éditeurs de test de personnalité vérifient la validité de leur test en corrélant ses résultats avec ceux d’autres tests reconnus qui mesurent la même dimension. S’ils obtiennent une corrélation élevée, ils concluent que les deux tests mesurent la même chose et que leur test est donc valide.

Dans un contexte de sélection toutefois, on ne cherche pas à savoir si un test est en corrélation avec un autre, mais plutôt s’il permet de prédire la performance future d’un candidat. C’est ce qu’on appelle la validité prédictive. Des centaines d’études ont été menées à ce sujet et, en 1998, Schmidt et Hunter ont publié une recension de toutes ces études, dans laquelle ils ont calculé la corrélation moyenne entre chacun des moyens de sélection et la performance au travail. Le tableau suivant montre ces corrélations moyennes pour certains outils de sélection.

Outil Validité prédictive
Échantillon de travail 0,54
Aptitudes intellectuelles 0,51
Entrevue structurée 0,51
Test de connaissances 0,48
Entrevue non structurée 0,38
Personnalité : consciencieux 0,31
Références 0,26
Nombre d’années d’expérience 0,10
Graphologie 0,02

Ils ont trouvé que le trait de personnalité qui permet le mieux de prédire la performance, soit le fait d’être consciencieux, n’apparaît pas parmi les meilleurs outils de sélection. Même les entrevues non structurées sont plus valides que les tests de personnalité.

Décrire les traits d’une personne permet mal de prédire ses comportements
Un trait de personnalité pourrait se définir comme une propension générale à agir d’une manière donnée. La limite des tests de personnalité provient du fait que les travailleurs n’agissent pas d’une façon constante dans toutes les situations professionnelles. Ainsi, une même personne est peu consciencieuse lorsqu’elle écrit une liste d’épicerie qu’elle jette une heure plus tard, mais est très consciencieuse si elle révise un document qui sera présenté à des centaines de personnes. Une étude menée en 2011 par Huang et Ryan a démontré que, si la variation de comportements d’une personne par rapport à un trait de personnalité s’explique à 30 % par des différences entre les individus, elle est due à 70 % au fait que cette personne agit différemment selon le contexte.

Les tests de personnalité mesurent comment un individu diffère de la moyenne, mais ils ne peuvent permettre de prédire comment la personne s’adaptera à un contexte spécifique. Pourtant, en sélection, on ne cherche pas à décrire un individu en général, mais bien à prédire comment il va agir dans des contextes spécifiques qui sont critiques pour son succès en emploi. On pourrait illustrer la différence en prenant l’exemple d’un vendeur plutôt introverti, mais qui comprend qu’il doit projeter la bonne humeur et créer des liens quand il rencontre un client. Le test de personnalité montrera sa tendance générale, mais sa performance sera plutôt déterminée par sa manière d’agir dans des contextes spécifiques. Il en va de même d’un professionnel de la gestion des ressources humaines qui n’est pas particulièrement empathique, mais qui réalise qu’il doit créer un lien de confiance et faire preuve de compréhension lorsqu’un employé vient faire une plainte pour harcèlement.

Les éditeurs de tests ont donc raison de dire que les tests sont valides en ce qu’ils permettent de décrire les tendances générales d’une personne. Cela répond toutefois peu au besoin présent en matière de sélection, soit de prédire le comportement spécifique d’une personne dans des moments critiques au succès en emploi. Ces comportements dépendent non seulement de traits de personnalité, mais aussi du contexte et des apprentissages de l’individu.

Choisir un test de personnalité
Les tests de personnalité qui ont été mis sur le marché depuis l’arrivée d’Internet diffèrent passablement des outils classiques qui sont utilisés par les psychologues. Avec leurs systèmes de couleurs ou leurs références à la culture populaire, ces tests semblent souvent conçus en fonction d’une vision marketing plutôt que de qualité de la mesure. Plusieurs se réclament d’études scientifiques, mais celles-ci sont rarement publiées et on constate souvent, lorsqu’on les consulte, que leur méthodologie ou leurs résultats sont douteux.

Dans le contexte québécois, la petitesse du marché ajoute un défi supplémentaire au niveau de la normalisation des tests. Dans plusieurs cas, les tests ne disposent pas d’une norme québécoise ou canadienne-française. On devrait éviter d’utiliser une norme américaine pour interpréter des tests avec une population québécoise. On doit aussi porter attention à la qualité de la traduction, qui est parfois déficiente.

La formation en gestion des ressources humaines ou en relations industrielles n’inclut pas de cours de psychométrie qui permettrait au professionnel de juger de la valeur d’un outil ou de le comparer à d’autres. Quant aux représentants des distributeurs de tests, ils ont en grande majorité une formation en vente et n’ont ni la compétence, ni l’indépendance pour conseiller l’organisation quant au choix et à l’utilisation de l’outil qu’ils mettent de l’avant. S’ils n’ont pas les compétences requises, les professionnels en ressources humaines devraient demander conseil à un psychologue du travail qui pourra les accompagner dans l’intégration d’un test de personnalité à leur processus de dotation.

Conseils pour bien utiliser les tests de personnalité
Si les tests de personnalité ne font pas particulièrement bonne figure parmi les autres outils de sélection, leur validité n’est toutefois pas nulle et ils peuvent avoir leur utilité; ils peuvent permettre par exemple de détecter des caractéristiques de l’individu importantes pour le poste qui seraient passées inaperçues au moment de l’entrevue d’embauche.
  • Compte tenu de leur moins grande validité, les tests de personnalité devraient être un outil secondaire et subordonné à l’entrevue et aux autres outils plus valides.
     
  • Les utilisateurs doivent être attentifs à l’adéquation entre les dimensions du test et les exigences de l’emploi. Il est trop facile de surinterpréter le test pour inférer des attitudes qui ne sont pas liées aux enjeux réels du poste. Par exemple, on peut rechercher un employé adaptable parce qu’il doit composer avec un contexte ambigu, mais utiliser un test qui définit l’adaptabilité comme étant la recherche de changements. En transposant les exigences du poste en compétences, puis en dimension de personnalité, puis en interprétant les résultats d’une personne, il est facile de tirer des conclusions qui n’ont plus de lien avec les exigences initiales.
     
  • L’interprétation des tests de personnalité devrait être standardisée et non sujette à un jugement clinique global. Le système le plus courant est de type « rouge-jaune-vert » où les résultats extrêmes par rapport à des dimensions spécifiques liées au poste sont identifiés.
     
  • Conséquemment, les résultats de tests de personnalité ne devraient pas être communiqués à des décideurs qui ne maîtrisent pas l’outil ou ne comprennent pas la valeur qu’il peut avoir dans un processus de sélection, afin d’éviter les surinterprétations. On devrait se limiter à leur communiquer les conclusions pertinentes pour le poste.

Les évaluations menées par les psychologues
Il existe une confusion au sein des entreprises quant au travail réalisé par les psychologues lorsqu’ils évaluent un candidat pour émettre une opinion professionnelle. Le public semble surtout en retenir les tests de personnalité, probablement parce qu’il s’agit de l’étape où le candidat investit le plus de temps. Pourtant, il s’agit de l’outil le moins valide dont dispose le psychologue. Celui-ci investit beaucoup de temps dans l’entrevue et dans d’autres moyens tels que des simulations qui sont beaucoup plus efficaces pour prédire la performance future des candidats.

Certains clients, dans un souci d’économie, demandent aux cabinets de psychologues d’offrir des produits se rapprochant du testing. Les consultants maintiennent la même batterie de tests de personnalité, mais diminuent ou éliminent l’entrevue, qui est l’étape la plus coûteuse sur le plan professionnel. On peut se questionner sur la valeur de ces interventions, puisqu’il n’y a pas de raison de penser qu’un psychologue peut faire de meilleures prédictions sur la base d’un test de personnalité. Une entreprise qui a recours à un consultant externe pour évaluer ses candidats devrait au contraire investir dans le conseil professionnel, notamment l’entrevue et les simulations, qui sont des instruments de sélection beaucoup plus valides que les tests de personnalité.

Les tests de jugement situationnel : une solution alternative trop peu utilisée
Les tests de jugement situationnel sont des outils standardisés qui peuvent mesurer les mêmes dimensions qu’un test de personnalité, mais qui ont été développés spécifiquement pour le contexte d’une entreprise. Par exemple, alors qu’un test de personnalité permet d’évaluer si un individu tend plus ou moins à travailler en équipe, le test de jugement professionnel propose quant à lui des situations réelles reflétant les défis du travail d’équipe dans l’entreprise, où le candidat doit choisir parmi plusieurs actions celle qu’il accomplirait en fonction des circonstances. Ces outils présentent une validité prédictive beaucoup plus élevée que les tests de personnalité. Leur désavantage se situe toutefois au niveau du coût de développement qui doit être absorbé au départ. Le fait qu’ils appartiennent à l’entreprise en fait cependant des outils rentables dans les cas de sélection à grand volume, puisque l’organisation n’a pas à supporter les frais récurrents parfois élevés de licence d’utilisation des tests du marché.

Conclusion
Il est difficile d’expliquer la croissance du marché des tests de personnalité par leur utilité en sélection. Les entreprises rentabiliseraient probablement mieux leur investissement en développant les compétences des intervieweurs et en allongeant la durée des entrevues d’embauche. Les tests de personnalité ont une place dans les processus de sélection dans la mesure où les gens qui les utilisent comprennent bien leurs limites et le rôle qu’ils devraient jouer. Ils peuvent ajouter à l’information obtenue d’autres outils, mais s’ils sont mal utilisés, ils peuvent au contraire augmenter les erreurs de sélection en entraînant le rejet de bons candidats et en favorisant l’embauche des moins désirables.

Pascal Savard, CRHA, psychologue, propriétaire, Phénix Conseil

Source : Effectif, volume 16, numéro 4, septembre/octobre 2013.


Pascal Savard, CRHA