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Les bons contributeurs : tenus pour acquis?

Ces dernières années, de nombreux articles, recherches et conférences ont porté sur l’identification des employés à haut potentiel, ces candidats à la relève. Il a aussi été question à maintes reprises des meilleures stratégies et des programmes destinés à soutenir leur développement et même à l’accélérer, assurant ainsi la continuité des postes critiques au sein de l’organisation.

30 avril 2008
Jean-Philippe Naud, CRHA

Il est souvent facile d’oublier les autres employés, surtout les bons contributeurs qui ne font pas partie du groupe des hauts potentiels et du bassin de relève, mais qui sont, au jour le jour, des piliers solides de l’organisation. Parfois relégués dans l’ombre des hauts potentiels, leur importance est cruciale pour le développement, le succès et même la survie de l’organisation. Qui sont-ils et quelles sont les stratégies à mettre en œuvre afin de favoriser leur développement et de les aider à jouer adéquatement leur rôle?

Qui est le bon contributeur?
Le bon contributeur est un employé qui satisfait aux exigences de son poste, qui démontre les comportements souhaités et qui affiche une attitude positive envers son travail et l’organisation, sans nécessairement posséder et démontrer dans l’immédiat les capacités requises pour se démarquer du groupe. Les bons contributeurs se trouvent à tous les niveaux de l’organisation, aux postes tant stratégiques qu’opérationnels, et ce qui les définit est leur désir d’accomplir un travail de qualité.

Cet individu apprécié de son gestionnaire et de son équipe peut passer inaperçu dans une organisation axée sur la performance et les résultats, alors qu’en fait il est un pilier de l’entreprise. Au moment où on se questionne sur les moyens à prendre pour identifier et développer la relève, favoriser l’épanouissement du potentiel des ressources les plus performantes et gérer les employés difficiles, il semble qu’on ne prenne pas suffisamment de recul pour se préoccuper de ces piliers organisationnels, trop souvent tenus pour acquis.

Pourquoi en est-il ainsi? Ce constat peut en partie s’expliquer par le fait que, dans une culture de performance, régie par des impératifs de résultats, il est très intéressant de soutenir les individus fortement mobilisés et capables de dépasser les attentes. Pour leur part, les individus qui ne répondent pas aux attentes sont très visibles sur l’écran radar des gestionnaires ainsi qu’aux yeux des autres membres de l’équipe, commandant ainsi une action rapide. Par ailleurs, parmi les bons contributeurs se trouvent souvent des personnes qui ne prennent pas le temps de se mettre en valeur, qui attendent que l’entreprise prenne leur progression en main et qui ne comprennent pas pourquoi d’autres, dont l’apport n’est parfois pas aussi important que le leur, avancent si vite dans l’organisation.

Deux contributions essentielles et complémentaires
La contribution combinée des hauts potentiels identifiés comme candidats à la relève et de ces bons contributeurs est non seulement capitale, mais aussi très positive pour l’organisation; en fait, elle permet d’assurer une stabilité concernant les enjeux actuels et une capacité à atteindre efficacement les objectifs d’affaires; grâce à leur apport, l’organisation peut se préparer à affronter les défis de demain. Alors que les bons contributeurs qui représentent un bassin privilégié de compétences et de talents internes assurent une stabilité et une performance de qualité à tous les niveaux de l’organisation, les hauts potentiels nourrissent quant à eux le bassin de relève et aident l’organisation à se démarquer, à se différencier.

La crainte des écarts
Pour un certain nombre d’organisations, la crainte de créer des écarts et une perception d’iniquité peut être source de préoccupation lorsque vient le temps de parler du développement de ses bons contributeurs et de ses hauts potentiels. En fait, se demandent plusieurs dirigeants, comment les traiter équitablement alors que leur rythme de développement n’est pas le même, comment éviter de créer un environnement trop élitiste? Clarifions donc les mots… Comme le terme équitable ne signifie pas égal, une entreprise est tout à fait justifiée de privilégier le développement de certains employés qui favoriseront en retour la progression de l’organisation et la pérennité du talent à des postes critiques. Les problèmes surgissent non pas parce que le perfectionnement et l’épanouissement des hauts potentiels sont trop fortement soutenus par l’organisation, mais plutôt parce que l’actualisation des compétences des bons contributeurs n’est pas suffisamment appuyée.

Comment favoriser l’actualisation des compétences du bon contributeur?
Il existe des moyens à mettre de l’avant afin de favoriser l’apport et le développement des bons contributeurs, en gardant toujours à l’esprit la possibilité de découvrir des habiletés insoupçonnées ou un talent caché.

Comme le gestionnaire joue un rôle central dans le développement du bon contributeur, les comportements de gestion à adopter au quotidien vont au-delà des bonnes pratiques managériales et s’inscrivent dans un savoir-être de gestion. L’influence du gestionnaire peut donc être décuplée à partir du moment où il intègre certains leviers clés, dont l’intérêt de l’employé pour son travail et la confiance, à ses stratégies de développement.

Respecter l’intérêt
Avant de conclure qu’un bon contributeur ne performe pas au-delà des attentes et que son potentiel ne s’épanouit pas de manière optimale parce qu’il ne possède tout simplement pas les capacités, il est pertinent de se questionner sur son intérêt à l’égard du rôle et des responsabilités qui lui sont confiés. Lorsque son intérêt pour ses tâches est mitigé, il est bien difficile à un employé de satisfaire les attentes et de se dépasser. Le gestionnaire doit impérativement apprendre à mieux connaître son personnel afin de pouvoir non seulement arrimer compétences et exigences, mais aussi intégrer les intérêts professionnels dans l’équation. L’employé concerné doit aussi être sensibilisé à ce constat et le gestionnaire gagne à faire preuve de transparence en lui demandant ouvertement s’il aime son travail. N’oublions pas qu’à trop vouloir pousser quelqu’un vers le haut sans respecter ses intérêts et son rythme, on peut l’amener à son niveau d’incompétence. Et cela peut arriver si certaines mesures de transition et de développement ne sont pas mises en place. Également, on pense trop souvent que le cheminement professionnel se fait obligatoirement par une progression hiérarchique. Mais ce n’est pas la solution unique, bien au contraire. En fait, pour ces employés bons contributeurs, l’actualisation des compétences semble une avenue qui mérite une attention particulière.

Il pourrait aussi arriver qu’un bon contributeur soit parfaitement à l’aise et heureux dans le rôle qu’il accomplit et qu’il décide en toute connaissance de cause de s’en tenir à celui-ci. Bien que cela puisse soulever des questions, il est approprié de respecter ce choix pour autant que l’individu continue à se développer selon les exigences du poste qu’il occupe. Il est alors possible de nourrir sa mobilisation en lui demandant par exemple de partager ses compétences avec d’autres et d’agir à titre d’agent multiplicateur. Il peut aussi s’avérer très mobilisant de lui faire jouer le rôle d’expert dans les domaines maîtrisés des connaissances et des expertises favorisant ainsi le partage et le codéveloppement. Le fait de l’impliquer dans des projets spéciaux, idéalement à haute visibilité mais toujours en ligne avec ses capacités constitue aussi une avenue à explorer.

Nourrir la confiance
La confiance manifestée à l’égard du bon contributeur constitue également un levier extraordinaire sur lequel le gestionnaire doit miser afin de l’appuyer dans son développement. C’est Gœthe qui a dit un jour : « Traitez les gens comme s’ils étaient ce qu’ils devraient être et vous les aiderez à devenir ce qu’ils sont capables d’être ». C’est dire que le gestionnaire, compte tenu du rôle qu’il est appelé à jouer auprès de ses employés, peut exercer une influence très grande sur ceux-ci par l’entremise de ses comportement et attitudes. Par exemple, quand un gestionnaire croit que son employé est capable de se dépasser et qu’il lui démontre sa confiance sur ce plan, il encourage l’individu à le faire. Ainsi, il pourra prendre certains risques et instaurer un processus de délégation qui permettra à l’employé de sortir momentanément de sa zone de confort. À l’inverse, lorsque le gestionnaire doute des capacités de son employé, même s’il n’en parle pas ouvertement avec lui, il risque de l’amener à se remettre en question. Il est donc capital pour le gestionnaire de faire preuve de confiance et de se concentrer sur les aspects positifs s’il désire réellement et sincèrement appuyer son employé.

En résumé, n’oublions pas que les bons contributeurs, trop souvent oubliés au profit des hauts potentiels, sont véritablement les piliers de l’organisation, son moteur et son énergie. Sans eux, l’entreprise et ses hauts potentiels ne peuvent s’appuyer que sur une fragile fondation.

Jean-Philippe Naud, CRHA, psychologue industriel, directeur principal, Dolmen capital humain

Source : Effectif, volume 11, numéro 2, avril/mai 2008.


Jean-Philippe Naud, CRHA