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Le superviseur : un intermédiaire essentiel

L’encadrement, la formation et le suivi d’un employé nouvellement promu superviseur ou contremaître ne doivent pas être pris à la légère par les organisations. L’employé nouvellement promu à cette fonction s’imagine trop souvent – et avec un excès de simplicité – que ses observations antérieures concernant son propre superviseur représentent bien ce qu’il aura à faire dans son nouvel emploi. Toutefois, il est assez rare qu’un superviseur affirme, après quelques mois, que ses tâches correspondent précisément à ce qu’il imaginait au début de sa nouvelle affectation. Voici quelques commentaires déjà entendus à cet égard :

30 avril 2008
Rhéal Desjardins, CRHA

« Au début, je me suis dit : enfin, j’ai maintenant l’autorité d’implanter mes idées, j’ai un rôle important, plus de marge de manœuvre, de liberté, d’autonomie. Mais aujourd’hui, je trouve plutôt paniquant de savoir qu’un de mes employés, que j’avais comme collègue auparavant et dont je n’appréciais pas le travail (cela n’a pas changé), peut plus facilement aujourd’hui me faire rétrograder ou congédier. »

« Au départ, je me suis dit : je suis enfin devenu le patron. Mon expérience, mes connaissances techniques et mes réalisations vont parler d’elles-mêmes, vont faire en sorte que les gens vont m’écouter. Aujourd’hui, je me sens plutôt comme un otage, j’ai l’impression de passer un examen 365 jours par année et, régulièrement, je n’ai pas la note de passage. Tout le monde dans l’équipe voit que je ne suis pas en contrôle et, quand j’ai des questions, j’ai l’impression que mon boss n’en revient pas que j’aie besoin de lui poser ces questions-là! »

Le fait que leurs superviseurs soient dans cet état d’esprit a une répercussion très importante sur les organisations, tant sur le plan des opérations que sur celui de la mobilisation, compte tenu d’un certain nombre de constats implacables. En voici quelques-uns…

  • 70 % des départs volontaires sont dus à une relation difficile avec le supérieur immédiat (sondage mondial, Towers-Perrin, 2005). Le superviseur peut donc jouer un rôle très important de stabilisateur d’emplois.
     
  • Si 70 % des idées novatrices d’une organisation proviennent des employés subalternes, il faut par contre savoir que 70 % des connaissances d’une personne sont tacites, donc cachées (Nonaka, Ikujiro, 1995). Le superviseur doit être mis à contribution dans la transformation des connaissances tacites en connaissances explicites.
     
  • La durée des cycles de recherche et développement de nouveaux produits est passée de dix-huit à douze mois entre 1998 et 2006 (Deloitte Mastering Innovation, 2007). Cette accélération des cycles demande plus de souplesse et d’agilité de la part du personnel. Ces qualités ne peuvent se développer que dans certaines conditions de stabilité et d’humeur. Le superviseur peut jouer un grand rôle sur ce plan.
     
  • Le temps moyen de remplacement d’un employé est passé de trente-sept à cinquante et un jours depuis 2004 (Corporate Executive Board, 2007).

Ces constats et bien d’autres démontrent l’importance capitale des superviseurs et la nécessité pour les services des ressources humaines de s’en soucier. Ces derniers se demandent comment se rapprocher des opérations, devenir plus stratégiques, mieux participer à l’innovation relative à l’organisation du travail, cesser d’être perçus comme des gardiens des aspects réglementaires, mieux mobiliser les employés et augmenter leur contribution. Dans plusieurs cas, l’instauration d’une collaboration étroite entre les superviseurs et le service des ressources humaines est une avenue fort intéressante.

Il va sans dire que les services des ressources humaines travaillent normalement de près avec les superviseurs, mais cette collaboration porte souvent sur les aspects réglementaires ou les dimensions reliées à la dotation ou à l’évaluation. Quoique importante, elle doit dépasser ces frontières et s’étendre jusque dans l’organisation même du travail du superviseur, jusqu’aux méthodes qu’il utilise. Pour ce faire, une relation forte devra s’établir avec les responsables des opérations, ce qui n’est pas nécessairement facile.

Mais de quelles méthodes parle-t-on?
Nous apparentons ici le concept de méthode aux meilleures pratiques de production qui permettent au superviseur de travailler, entre autres, dans le contrôle, dans le domaine du prévu, cessant ainsi d’être simplement un expert des urgences et des imprévus. Chez Toyota, on mentionne d’ailleurs que tout ou presque tout doit demeurer dans le domaine du prévu. C’est d’autant plus important que la perception de travailler de façon désorganisée, mal planifiée est une source d’insatisfaction importante pour le personnel.

Le service des ressources humaines a donc avantage à maîtriser un certain nombre de meilleures pratiques de production, ce qui lui permet de mieux encadrer le travail du superviseur, qui pourra ainsi apprendre à jouer un rôle de communicateur, de mobilisateur et surtout de stabilisateur d’emplois.

Voici quatre exemples de pratiques que les services des ressources humaines devraient maîtriser.

La cartographie des processus (process mapping) - La cartographie des processus permet la structuration d’une grille de tournées sur le plancher, qui deviennent le principal outil de communication du superviseur avec son personnel au quotidien. Le suivi par le superviseur des renseignements recueillis dans le cadre de ses tournées devient un levier de « pouvoir d’agir » potentiellement très fort pour le personnel, ce qui augmente considérablement sa mobilisation. D’où son intérêt pour un service des ressources humaines. La façon dont sont structurées les grilles de tournées sur le plancher permet aussi aux superviseurs de contribuer à l’estimation des besoins de formation de leurs employés et d’aider à transformer de façon plus organisée les connaissances tacites en connaissances explicites. De plus, lorsque le service des ressources humaines collabore à l’organisation du travail des superviseurs et qu’il connaît les meilleures pratiques de production, il peut collaborer à résoudre les problématiques de formation à certains postes en simplifiant l’exécution du travail à réaliser. Cela peut être encore plus pertinent dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Les 5 S - Les 5 S sont une méthode de travail axée sur l’ordre et la propreté du lieu de travail :

  • Supprimer (seiri)
  • Situer (seiton)
  • Scintiller (seiso)
  • Standardiser (seiketsu)
  • Suivi (shitsuke)

Un lieu de travail propre et ordonné a un impact certain sur la productivité et la motivation. Dans son livre intitulé Gemba Kaizen, Masaaki Imai explique qu’en règle générale, l’instauration du processus 5 S réduit le potentiel de défectuosités de 50 %.

Le taux de rendement global - Le taux de rendement global, aussi appelé taux de rendement synthétique, est un indicateur servant à évaluer la performance d’un équipement ou d’un secteur de travail. Cet indicateur sert à évaluer la performance sous l’angle de trois caractéristiques distinctes, soit la disponibilité, l’efficacité et le taux de qualité produit. Exprimé en pourcentage, il permet de cibler les actions d’amélioration les plus stratégiques et donc d’observer plus adéquatement, et dans un cadre réel, la méthodologie et les capacités de résolution de problème et de priorisation du superviseur. Ce dernier peut ainsi améliorer son rôle de planificateur.

Le processus kaizen - Le mot kaizen est formé des deux mots japonais kai et zen qui signifient respectivement modifier et améliorer. Normalement, le processus de type kaizen implique environ quatre à cinq personnes et il est mis sur pied dans une perspective d’amélioration continue ou dans un contexte de résolution d’un problème nécessitant une approche de groupe rigoureuse. L’intérêt du service des ressources humaines à l’égard du processus kaizen repose sur le fait que les superviseurs, une fois formés, peuvent devenir des facilitateurs ou des animateurs de kaizen très utiles; qui plus est, le kaizen peut véhiculer les valeurs de respect, de développement de l’autonomie et d’amélioration si chères aux organisations.

Quels que soient les outils utilisés, chacun d’entre eux offre une opportunité de collaboration entre le service des ressources humaines et le superviseur et leur donne donc la possibilité de contribuer davantage à l’augmentation de la performance des employés.

Il y a encore d’autres méthodes de travail de type meilleures pratiques de production à partir desquelles le service des ressources humaines peut coopérer avec les superviseurs. Pour nous, il est évident qu’un intermédiaire très important permettant au service des ressources humaines d’être plus stratégique, de jouer un rôle mieux intégré sur les plans de la gestion, de la fidélisation et de la mobilisation de la main-d’œuvre est le superviseur. Dans ce contexte, il en va autant de l’intérêt du service des opérations que du service des ressources humaines de trouver des moyens de collaborer très étroitement, car les résultats sont surprenants.

Rhéal Desjardins, CRHA, conseiller, Desjardins Aide conseil en ressources humaines inc.

Source : Effectif, volume 11, numéro 2, avril/mai 2008.


Rhéal Desjardins, CRHA