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Le sens politique, qui peut s’en passer?

Le sens politique est une compétence essentielle à développer afin d’assurer le succès de ses projets. Les professionnels en ressources humaines qui le découvrent tôt durant leur carrière sont avantagés et ont la chance de le cultiver graduellement au bénéfice de leur positionnement professionnel et organisationnel.

3 juillet 2012
Jacqueline Codsi, CRIA

Pourtant, le sens politique est souvent traité comme un tabou, ce qui explique que plusieurs ont à son égard les mêmes réserves qu’à l’égard de la vente ou de la politique. Beaucoup de personnes qui ont un talent sur ce plan ne le mentionnent pas spontanément comme une force. Par contre, tous ceux qui soulignent les conséquences néfastes de leur faible sens politique sur leurs projets et sur leur carrière n’ont pas forcément la volonté de corriger la situation. C’est un peu comme s’ils opposaient leur approche transparente et orientée vers l’action à ce qu’ils associent à des manœuvres nébuleuses et non éthiques. Plusieurs pensent à tort que, dans un système organisationnel équitable, seules les qualités intrinsèques des projets ou des individus devraient être des facteurs de décision. 

Dans les faits, le sens politique est le complément essentiel de la compétence et de l’expertise. S’il ne les remplace pas, on constate qu’une bonne crédibilité auprès des bons alliés est un facteur de succès incontestable. Plus le projet ou la situation est complexe, plus le sens politique devient un levier incontournable.

Ce qu’est vraiment le sens politique

Le sens politique, c’est la capacité à naviguer à travers les relations formelles et informelles pour soutenir le succès de ses idées et ses projets. En d’autres mots, c’est la capacité d’influencer pour faire avancer ses projets en adaptant ses stratégies afin d’optimiser ses chances de succès à toutes les étapes.

Le sens politique implique plusieurs savoir-faire sous-jacents.

  • Le réseautage : capacité à développer et à entretenir son réseau.
  • Le décodage : art de décoder son environnement afin de mieux saisir la culture organisationnelle, les tendances des décideurs, les relations de pouvoir et les objectifs des divers intervenants.
  • L’ajustement : capacité de tenir compte des informations décodées pour ajuster ses projets et ses stratégies ou la manière d’en faire la promotion.
  • L’intelligence terrain : capacité de passer à l’action en influençant les parties prenantes et en tenant compte de leurs objectifs et de leurs intérêts selon une approche gagnant-gagnant.
  • Le courage éclairé : capacité de juger quand se rallier ou quand exprimer ses divergences tout en maintenant une relation positive.

Un prérequis important : l’intelligence émotionnelle

À la base du sens politique, il y a indéniablement un haut degré d’intelligence émotionnelle pour :

  • écouter, lire entre les lignes ce qui n’est pas inscrit formellement, mais qui s’entend et qui fait partie du savoir organisationnel informel;
  • faire preuve d’empathie afin de saisir véritablement les autres points de vue, les priorités de ses interlocuteurs ainsi que leurs objectifs et défis;
  • naviguer dans une certaine ambiguïté sans perdre ses repères et en saisissant que tout n’est pas noir ou blanc;
  • faire preuve de jugement et d’une capacité d’analyse basée tant sur des critères objectifs que sur des critères liés au facteur humain et aux relations de pouvoir;
  • communiquer avec tact et diplomatie en prévoyant l’impact sur ses interlocuteurs;
  • poser des questions ouvertes pour découvrir, clarifier et faire ressortir des besoins et des opportunités;
  • adopter une approche d’influence gagnant-gagnant en identifiant des objectifs communs qui font un lien naturel entre ses projets et ceux des membres de son réseau.

Au cœur du sens politique : l’art d’utiliser son réseau

Il ne s’agit pas simplement d’avoir beaucoup de relations sur les réseaux sociaux... Le réseautage sert à créer des relations pour bâtir sa crédibilité, tout en posant un diagnostic continu sur la situation et les forces en présence. Il ne sert donc pas uniquement à accéder à un réseau d’alliés; il s’avère essentiel pour acquérir une vision réaliste des situations complexes et des idées ou tendances en présence tout en les influençant.

En d’autres termes, il est essentiel de bâtir un réseau pour :

  • être connu et reconnu pour sa valeur ajoutée et sa crédibilité;
  • établir un bon diagnostic des forces et des intérêts en présence;
  • identifier les véritables décideurs au-delà des structures formelles;
  • faire le marketing de ses succès;
  • soutenir les projets et objectifs des autres, car le réseautage est souvent du donnant-donnant;
  • adapter ses interventions et ses stratégies en fonction de cette réalité;
  • recevoir de l’appui et des conseils en cas d’obstacles.

Le réseautage sert donc à se situer face à ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire à certains moments, en tenant compte de la culture organisationnelle et de son positionnement dans certains postes. Il est aussi très bénéfique lorsqu’il faut explorer des idées ou activer certains processus par l’entremise de ses relations.

Le sens politique : utile à tous!

Ce savoir-faire n’est pas nécessaire seulement aux dirigeants ou cadres supérieurs. Il peut s’avérer extrêmement utile au professionnel en gestion des ressources humaines dans tous les rôles qui requièrent de l’influence sans détenir d’autorité formelle. Il lui sera aussi indispensable pour accompagner ses clients gestionnaires dans divers processus de changement; en effet, ceux-ci se déroulent souvent dans des environnements complexes et ne peuvent réussir sans la collaboration d’autres services ou niveaux organisationnels.

Le gestionnaire qui souhaite assurer le succès de ses projets doit aussi démontrer un bon sens politique. Quel que soit son niveau de gestion, son succès est la plupart du temps tributaire de l’appui de divers collaborateurs. S’il a un certain nombre d’alliés, ses projets seront plus faciles à réaliser, ses réussites auront plus d’impact et, dans le cas d’une contre-performance, il aura plus d’appuis. Évidemment, plus le gestionnaire accède à des postes stratégiques, plus cet ingrédient devient incontournable!

En fait, le sens politique est essentiel à tout professionnel RH ou gestionnaire qui a à cœur l’avancement de sa carrière. En effet, à mesure qu’il gravit les échelons, ses appuis prennent de l’importance. Il doit simplement se poser les questions suivantes : comment des décideurs peuvent-ils penser à ma candidature si plusieurs ne me connaissent pas ou si ma crédibilité auprès de ceux qui me connaissent est mitigée? Comment acceptera-t-on de me donner la chance d’expérimenter des postes qui comportent de nouvelles compétences si mon réseau se limite à mes répondants directs au sein de mon champ d’expertise?

Bref, cette compétence complexe s’acquiert indéniablement, mais il s’agit d’une compétence complexe qui fait appel à beaucoup de savoir-être fondamentaux qui sont le résultat d’un long cheminement. On ne peut penser développer son sens politique sans s’interroger sur son potentiel en matière d’intelligence émotionnelle et travailler beaucoup sur ce plan.

Ce qu’il faut retenir…

Quel que soit son rôle, plus le professionnel RH navigue dans des environnements complexes et plus il réalise que le sens politique fait partie de l’expertise nécessaire pour atteindre le succès. Contrairement à des préjugés courants, il est compatible tant avec l’éthique qu’avec le courage managérial et l’orientation vers les résultats.

Le développement de son sens politique est un processus d’amélioration continue; en effet, le professionnel œuvre dans des environnements de plus en plus complexes et en perpétuel changement. Il ne peut baisser sa vigilance, car c’est une évolution de longue haleine qui se cultive un peu chaque jour.


Jacqueline Codsi, CRIA Vice-présidente, consultante, coach exécutif JC LEADER CONSEIL
Au cours de sa carrière, Jacqueline Codsi, CRIA a assumé des fonctions de direction en gestion des ressources humaines, en gestion des talents et en développement organisationnel au sein de grandes sociétés, notamment dans le milieu financier et au réseau de la santé et des services sociaux. Certifiée en gouvernance de sociétés, elle possède également une riche expérience en consultation dans les secteurs public et privé, essentiellement dans l’accompagnement d’équipes de direction, dans le cadre de démarches de gestion du changement, de planification stratégique du capital humain et de gestion/développement des talents et de la relève. Elle œuvre aussi comme chargée d’enseignement universitaire auprès de gestionnaires, comme conférencière/panéliste, tout en siégeant à divers conseils d’administration.

Source : Effectif, volume 15, numéro 3, juin/juillet/août 2012.