Conférence – Les risques des employés en mission internationale et le devoir de protection de l'employeur
Les voyages à l’étranger font partie intégrante des activités quotidiennes d’une société internationale. Mais ces déplacements ne sont pas sans risques pour l’employeur et l’employé. La relation d’employeur à employé comporte un devoir de protection à la charge des employeurs, leur imposant de protéger la santé, la sûreté et la sécurité de leurs employés. Cette obligation s’applique à l’égard des employés et des personnes à charge de ces derniers lorsque ceux-ci se trouvent à l’étranger en voyage d’affaires ou en tant que personnel expatrié à court ou à long terme. Dans une étude récente, intitulée Duty of Care of Employers for Protecting International Assignees, their Dependents, and International Business Travelers, nous avons examiné le devoir de protection des employeurs appliqué aux employés en mission internationale. Cet article, qui en découle, permettra aux employeurs de prendre la pleine mesure de leur devoir de protection à l’égard des employés à mobilité internationale et de mettre cette problématique dans leur champ de vision permanent.
Le concept juridique du devoir de protection présume que les personnes physiques et les entreprises ont des obligations légales leur imposant d’agir envers autrui avec prudence et vigilance afin d’éviter tout risque de dommages prévisibles. Dans une perspective de gestion des ressources humaines, les employeurs ont à l’égard de leurs employés diverses responsabilités attachées au devoir de protection. On attend d’eux qu’ils prennent des mesures pratiques pour protéger leurs employés de tout danger raisonnablement prévisible sur le lieu de travail. Lorsque les employés traversent les frontières dans le cadre de leur travail, le devoir de protection de l’employeur inclut une gestion du risque qui va au delà des exigences habituelles qui s’imposent dans l’environnement du pays d’origine. Les personnes détachées à l’étranger, que ce soit pour une mission de courte durée ou en tant qu’expatriées à long terme, sont confrontées à des environnements qui ne leur sont pas familiers et leur exposition aux risques et aux dommages potentiels s’en trouve accrue.
L’angle juridique du devoir de protection de l’employeur
Dans plusieurs pays occidentaux se sont développées des législations et des jurisprudences qui reflètent l’augmentation de la responsabilité des employeurs au titre du devoir de protection. Les tribunaux favorisent de plus en plus les employés. Sur le plan international, les questions juridiques sont plus complexes. Faisant affaire dans différents pays, les entreprises internationales doivent respecter des lois nationales. Certains pays ont des textes législatifs plus stricts que d’autres en matière de devoir de protection de l’employeur, tels la Loi sur les homicides du Royaume-Uni et le Code du travail de la France. D’autres, les États-Unis par exemple, se reposent sur des obligations de source législative et une jurisprudence qui imposent un devoir de protection plus général. Actuellement, les pays des marchés émergents tels que la Chine, l’Inde et le Brésil ne prennent pas sérieusement en compte la question du devoir de protection de l’employeur. Ils n’ont pas encore élaboré ou appliqué une législation en matière de devoir de protection de l’employeur. Les entreprises doivent néanmoins s’en préoccuper.
Les obligations légales imposées à l’employeur comprennent habituellement :
- l’évaluation des risques inhérents à la fonction, au site et aux outils de travail;
- la prise de mesures en vue de sécuriser le site de travail;
- la mise en garde des dangers;
- la communication, la formation et l’assistance.
Une règle simple pour l’employeur consiste à aligner ses responsabilités relevant du devoir de protection sur la norme la plus exigeante, ce qui équivaut à mettre la conformité juridique au niveau de la responsabilité morale et de la responsabilité sociale d’entreprise.
Devoir de protection de l’employeur et responsabilité sociale d’entrepriseEn ce qui concerne le bien-être et le comportement des employés, la tendance actuelle dans les entreprises consiste à passer d’un objectif principal de conformité juridique à une approche plus globale en concordance avec les efforts consacrés par l’organisation à l’exercice de ses responsabilités sociétales. La responsabilité sociale, au sens large, incarne la notion de contrat social durable entre l’employeur et l’employé et leurs devoirs respectifs de protection et de loyauté. En conséquence, les entreprises prennent des mesures spécifiques, comme l’élaboration d’une approche stratégique plus globale du devoir de protection, en gérant leurs responsabilités au niveau de la direction et en ayant recours à de meilleures pratiques.
Satisfaire aux obligations du devoir de protection est un enjeu global pour les employeurs, mais ils éprouvent néanmoins des difficultés à y parvenir. Différents décideurs (membres de la direction, gérant, secrétaire général, directeur de la sécurité de l’entreprise, directeur de la gestion des risques, gestionnaire de voyages, directeur médical, directeur des assurances, directeur juridique, directeur des ressources humaines et directeur des ressources humaines internationales) partagent les responsabilités relatives au devoir de protection de l’organisation.
Cependant, leurs objectifs peuvent se contredire. Il est probable que les objectifs financiers de la direction de l’entreprise soient axés sur la réduction des coûts. Les exigences en matière de sécurité imposées par la fonction gestion du risque peuvent entraver l’atteinte des objectifs de la mission, souhaitée par les responsables hiérarchiques, ou perturber les priorités de la gestion des détachements internationaux par le service des ressources humaines. Ces divers décideurs sont par ailleurs souvent organisés en « silos fonctionnels », en contraste direct avec l’approche d’équipe intégrée exigée par le devoir de protection. Il est rare que tous ces groupes d’influence internes travaillent ensemble et de manière concertée pour répondre aux obligations de leur organisation en matière de devoir de protection. Toutefois, le vrai problème peut résider dans le manque de prise de conscience, par les dirigeants, de la pleine mesure de leur devoir de protection à l’égard des affaires internationales.
Une approche globale et stratégique du devoir de protectionComment les employeurs peuvent-ils répondre à leurs obligations juridiques et éthiques? Les interventions en matière de gestion de risque doivent s’intégrer à la stratégie d’entreprise. Les facteurs critiques de la réussite d’une telle intervention stratégique résident dans la sensibilisation, l’engagement et la responsabilisation des différentes parties prenantes dans l’entreprise. Ainsi, il est important d’identifier le contenu exact et spécifique des responsabilités des parties prenantes à l’égard du devoir de protection. Toute initiative de changement stratégique réussie doit avoir le soutien (c’est-à-dire l’engagement et les ressources) de la direction de l’entreprise. Ce soutien sera probablement obtenu si une argumentation solide relativement au rendement de l’investissement est présentée à l’appui des mesures à prendre en vue du respect du devoir de protection de l’employeur.
La direction des ressources humaines internationale exerce un rôle particulier lorsqu’il s’agit de veiller à ce qu’une entreprise s’acquitte de ses responsabilités relevant du devoir de protection à l’égard des employés. Les responsables de cette direction ont une perspective unique de l’entreprise dans son ensemble et une meilleure sensibilisation à la variété de ces risques, selon les zones géographiques concernées, et à la manière dont les lois du territoire et la culture locale peuvent contribuer à la création de risque et influencer la gestion du risque tout à la fois.
La responsabilité de communiquer avec les employés en déplacement et leurs familles en période de crise revient souvent aux gestionnaires des ressources humaines. Le service des ressources humaines joue également un rôle crucial dans la planification et la mise en œuvre de la gestion de la réponse aux urgences; il doit anticiper l’impact émotionnel que subit le personnel à l’occasion d’une crise et y répondre. Son rôle dans la gestion de crise comprend également les mesures proactives à prendre pour s’occuper rapidement d’une situation, en apportant des services de soutien à l’employé et en gérant les questions de prise de congé et de vie privée de telle manière que les interruptions de l’activité de l’entreprise soient réduites au minimum.
Enfin, les responsables hiérarchiques (dans les pays d’origine et d’accueil) qui traitent directement avec les expatriés et les voyageurs d’affaires internationaux jouent un rôle important en gérant les responsabilités de travail et en veillant au respect des politiques de la société.
La prévention et la réduction des risques encourus par les personnels expatriés relèvent de la responsabilité d’une entreprise et dépendent des efforts communs et coordonnés de ses dirigeants, responsables hiérarchiques, gestionnaires de risques et de sa direction mondiale des ressources humaines. La responsabilité de l’élaboration d’une stratégie de gestion globale des risques s’intégrant véritablement à la culture d’entreprise ne peut donc pas être déléguée ou externalisée. Responsabilité légale, fiduciaire et sociétale d’une entreprise, elle est le résultat d’une action concertée et coordonnée dans l’organisation, pour prévenir et gérer les risques encourus par les employés en détachement international.
Risques et menaces auxquels font face les employés à l’étranger
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Lisbeth Claus, professeur de gestion des ressources humaines internationales, Willamette University
Source : Effectif, volume 13, numéro 4, septembre/octobre 2010.