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Le Big Data : un nouvel outil essentiel pour le partenaire d’affaires?

Le concept du Big Data a pris son envol dans le monde des ressources humaines au cours de la dernière année. Ce nouveau terme à la mode fait couler beaucoup d’encre, mais il demeure un concept abstrait, non pas dans la compréhension du phénomène, mais plutôt dans la capacité à concevoir l’ensemble des possibilités qu’il offre. Après une période de fantasme quant au potentiel du Big Data, on constate que l’enthousiasme s’estompe, cédant le pas à des attentes plus réalistes. Que peut-on vraiment faire avec ces données volumineuses en gestion des ressources humaines? Le Big Data permet-il aux partenaires d’affaires de mieux accompagner leurs clients internes? C’est ce que nous verrons dans cet article.

26 novembre 2014
Didier Dubois, CRHA et Émilie Pelletier, CRHA

Big Data : le concept
Le Big Data désigne le très grand nombre de données qui circulent actuellement sur le web. Il y a une explosion du nombre de données partagées sur le web à partir des ordinateurs, téléphones intelligents et autres. À chaque minute, You Tube reçoit 30 heures de nouvelles vidéos, Twitter reçoit 100 000 nouveaux micromessages et près de 300 000 personnes se connectent à Facebook. Les données sont également très variées. On y retrouve :

  • de l’information que l’on partage (articles ou données personnelles partagés sur le web)
  • des données quantitatives partagées par des individus ou générées par des systèmes informatiques (données financières émanant de la bourse, données provenant d’équipements industriels, etc.)
  • des éléments multimédias (ex. : photos, vidéos, etc.)
  • des données de géolocalisation (position, déplacement, vitesse, etc.)
  • des données environnementales (température, degré d’humidité, etc.)

Les prochaines années seront marquées par une circulation accrue de données concernant la santé physique et psychologique des individus. Le laboratoire de dynamique humaine du MIT travaille d’ailleurs sur des équipements permettant de mesurer les interactions sociales en entreprise. Toutes ces données permettront un jour de mieux comprendre les êtres humains en contexte organisationnel. Le partenaire d’affaires pourrait donc accompagner ses clients en utilisant la force du Big Data pour compléter ses données internes et offrir ainsi une vision plus globale et stratégique.

Les cinq attributs du Big Data
Les caractéristiques du Big Data sont non seulement le volume et la variété des données, mais aussi la vitesse à laquelle celles-ci sont collectées et traitées. Deux autres caractéristiques définissent également le concept, soit la valeur et la véracité des données.

Le Big Data permet aujourd’hui de valoriser les données disponibles. C’est pourquoi on parle de valeur. Par exemple, un recruteur qui participe à un salon de l’emploi et qui peut savoir, grâce à des données de géolocalisation, que de nombreux candidats potentiels sont dans leur véhicule à proximité de l’événement, pourrait réaliser une publicité radio pour les attirer. Il ne s’agit pas de science-fiction puisqu’on est aujourd’hui à deux pas de pouvoir réaliser ce type d’équation.

Par ailleurs, la véracité des données est une propriété qui vient fragiliser les quatre précédentes. En effet, le défi du Big Data est certes de bien analyser les données disponibles, mais également de pouvoir s’assurer que ces données sont authentiques, comparables et utiles aux fins de l’analyse que l’on mène. Par exemple, on pourrait utiliser les compétences indiquées par les individus dans leur profil LinkedIn comme critère de recherche et d’évaluation des candidatures. Cependant, peut-on comparer deux personnes possédant une compétence particulière qui sont recommandées l’une par cinq contacts et l’autre par quinze personnes, sans tenir compte de qui fait cette recommandation?

Big Data, Small Data et Little Data
Il est fondamental de comprendre ces trois concepts puisqu’ils permettent de comprendre le type de données auquel on a accès.

Si le Big Data désigne l’ensemble des données en volume disponibles pour prendre une décision éclairée, le Small Data concernerait une portion de ces données, qui serait donc plus facile à manipuler, car elles sont plus circonscrites en volume et en amplitude. Par exemple, dans la décision d’implanter une usine dans un pays ou une région, le Big Data offre un grand nombre de données pertinentes (données fiscales, disponibilité des terrains, disponibilité des employés, etc.). Par contre, dans une optique de Small Data, on pourrait considérer uniquement les données relatives à l’emploi, telles que le taux de chômage, la mobilité des travailleurs, les sphères de diplomation. En temps réel, on pourrait même évaluer la perception des communautés de travailleurs potentiels envers le secteur d’activité que l’on représente.

Le Little Data concerne quant à lui les données émanant d’un individu ou d’une organisation. Chaque organisation possède donc déjà des « petites données » qui devraient faire partie du coffre à outils du partenaire d’affaires. Par exemple, les données concernant l’absentéisme, la santé et la sécurité, le vieillissement de la main-d’œuvre composent le Little Data. Mises ensemble, ces « petites données » constituent le Big Data.

Le Big Data appliqué aux ressources humaines
Le Big Data permet aux équipes des ressources humaines de réaliser trois types d’activités : la collecte de données, l’analyse des données et la prédiction (aide à la prise de décision).

La collecte des données est l’activité la plus évidente et la mieux maîtrisée du Big Data. Il s’agit d’aller chercher les données dont on a besoin dans l’ensemble des données disponibles sur le web. Par exemple, en contexte de recrutement, on peut consolider les informations concernant un candidat potentiel à partir des données qu’il a partagé sur différents sites de réseautage social et sur des banques de CV en ligne. On parle alors d’agrégation de profils, c’est-à-dire de rebâtir un profil complet à partir de données parcellaires trouvées sur différents sites.

L’analyse des données est la seconde activité que permet le Big Data. Par exemple, au lieu de n’utiliser que ses données internes pour comprendre la situation de l’entreprise, on peut aussi utiliser des données recueillies avec le Big Data. À la collecte, on ajoute donc une analyse enrichie par des données auxquelles on n’avait pas accès préalablement. Cette dimension permet donc au partenaire d’affaires d’être mieux outillé pour assumer son rôle de conseiller stratégique.

Finalement, la prédiction est la grande promesse du Big Data, mais probablement la partie la plus inachevée du concept. De nombreuses plateformes tentent actuellement d’utiliser le Big Data pour prédire les comportements humains en entreprise. Pourrait-on prédire l’assiduité d’un employé par une analyse de volume? Plusieurs joueurs sur le marché du Big Data tentent aujourd’hui de relever ces défis. La très célèbre Harvard Business Review a d’ailleurs récemment publiée une étude démontrant qu’un algorithme pouvait s’avérer plus efficace que des recruteurs humains pour discriminer les candidats les plus performants. En fait, on devrait plutôt comprendre que le Big Data permettra aux partenaires d’affaires de consolider leur capacité à analyser les données et à concevoir des scénarios d’aide à la prise de décision pour les gestionnaires de l’organisation. Ainsi, les outils du Big Data ne remplaceront pas les partenaires d’affaires, mais leur permettront plutôt de passer à un rôle plus stratégique.

Les premières percées du Big Data
Plusieurs entreprises en démarrage ou bien établies ont déjà sauté dans l’arène pour participer à cette course menant au développement d’un outil qui maximise le Big Data en gestion des ressources humaines.

Des plateformes qui cherchent pour vous!
Plusieurs plateformes donnent d’ores et déjà des résultats très intéressants en ce qui concerne la collecte d’information. SeeMore de Monster, Broadbean de Carrer Builder ou Multisearch de Multiposting offrent déjà des solutions permettant de balayer le web pour trouver les meilleurs candidats. Des plateformes gratuites telles que Recruitin.net ou Yatedo.com permettent de réaliser des recherches booléennes pour trouver, à partir de combinaisons de mots clés, des profils de candidats intéressants.

À un autre niveau, on retrouve des plateformes qui reconstruisent littéralement des profils de candidats à partir de données provenant de différents réseaux sociaux. À l’heure actuelle, celle qui semble réussir le mieux est TalentBin.com qui appartient à Monster.

Des plateformes qui analysent pour vous!
La plupart des plateformes mentionnées offrent également de l’analyse de données. Par exemple, elles offrent la possibilité de présélectionner les meilleurs candidats en fonction des critères définis.

Entelo.com, une autre « jeune pousse », se spécialise quant à elle dans l’analyse des comportements des candidats en vue de les interpeller aussitôt qu’ils commencent à explorer le marché de l’emploi. En clair, la plateforme a développé un algorithme qui tente d’identifier un candidat passif en train de devenir actif en fonction des modifications qu’il apporte à ses profils sociaux.

Dans un autre registre, la plateforme eQuest.com, qui se spécialise dans l’affichage de postes sur plusieurs plateformes à partir d’un guichet unique, peut aujourd’hui suggérer les meilleurs sites d’affichage en fonction des profils recherchés. Même si le tout n’est probablement pas parfait, la firme profite de sa longue expérience en affichage multiple pour en tirer des leçons et en faire bénéficier les recruteurs.

Des plateformes qui aident à la prise de décision
Là où l’on a encore le plus à apprendre, c’est dans l’utilisation des données à des fins prédictives. Mais certaines initiatives semblent déjà très prometteuses. Par exemple, la jeune entreprise française Clustree.com propose une plateforme qui utilise le Big Data pour maximiser le talent dans l’entreprise. En identifiant des parcours de carrière atypique sur le web, elle propose de reproduire ces parcours avec certains employés de l’organisation. Ainsi, si plusieurs exemples de secrétaires devenues directrices du marketing sont trouvées dans le Big Data, la plateforme proposera d’analyser de plus près le profil des secrétaires lorsqu’on aura un poste de direction à pourvoir au sein de l’équipe du marketing.

La compagnie Evolv s’est également fait remarquer en détruisant des paradigmes bien ancrés dans le monde des ressources humaines. En utilisant sa plateforme d’analyse de données RH avec des données provenant du Big Data, l’entreprise a entre autres réussi à démontrer que le facteur le plus déterminant dans la performance d’un employé est… son superviseur. Bien entendu, il s’agit d’une étude et il y en a d’autres pour la contredire.

En conclusion…
À l’instar des nombreuses technologies qui ont émergé dans l’histoire des ressources humaines, on fonde beaucoup d’espoir sur le Big Data. Il faut dire que la promesse est séduisante pour le partenaire d’affaires : comprendre les employés pour permettre à l’organisation de maximiser leur talent. Il ne s’agit pas d’une panacée et les marges d’erreur sont encore importantes. Martin Lessard dans son article pour Triplex illustre bien ce propos en citant une corrélation réelle, mais tout à fait fortuite entre la baisse de l’utilisation d’Internet Explorer et la baisse du taux de criminalité aux États-Unis. Cela nous rappelle qu’en gestion des ressources humaines, la technologie n’est qu’un outil et qu’à ce jour, on ne peut pas l’utiliser aveuglément sans le jugement d’un professionnel RH pour valider les conclusions. Voilà de quoi rassurer les partenaires d’affaires!

Didier Dubois, CRHA, stratège, Marketin RH et solutions RH numérique, HRM Groupe
Émilie Pelletier, CRHA, consultante spécialisée en Marketing RH et médias sociaux, Groupe Marketing RH

Source : Effectif, volume 17, numéro 5, novembre/décembre 2014.


Didier Dubois, CRHA et Émilie Pelletier, CRHA