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La génération Y travaille au Parc!

Les professionnels de la gestion des ressources humaines font présentement face à deux défis prioritaires. Comment conférer à l’entreprise une notoriété qui la rendra attrayante auprès des chercheurs d’emploi et lui permettra de contrer les difficultés associées à la pénurie de main-d’œuvre? Comment attirer et fidéliser la génération Y? Comment instaurer et surtout maintenir un milieu de travail empreint de plaisir et épanouissant?

13 mai 2009
Yvan Dubuc

Voici le portrait d’une entreprise qui est parvenue à relever ce double défi avec brio.

Des chiffres à faire saliver d’envie!
Cette organisation, comme bien d’autres, était jusqu’à récemment aux prises avec des difficultés de recrutement. Et pour cause. Chaque saison, elle doit faire appel à des employés temporaires; elle est située en milieu rural, loin des bassins de main-d’œuvre et aucun service de transport en commun ne relie le site aux centres urbains. Elle ne peut offrir aucune sécurité d’emploi « contractuelle » et les conditions de travail et de rémunération sont jugées compétitives dans son secteur d’activité. En dépit de ces inconvénients, elle affiche désormais des résultats remarquables au chapitre de sa gestion des effectifs comme en font foi quelques indicateurs pertinents.

  • Taux de retour saisonnier : 70 %
  • Taux de roulement durant la saison : 3 %
  • Taux d’absentéisme : 0,05 %
  • Ratio candidats/poste à pourvoir : 320/100
  • Taux de retard : 1 %
  • Taux de litiges (griefs, plaintes, conflits) : 0,05 %
  • Fréquence et gravité des accidents du travail : accidents mineurs sans arrêt de travail
  • Nombre de contestations à la CSST : aucune
  • Indice de satisfaction des employés au travail (très satisfaits) : 95 %
  • Taux de participation aux manifestations festives : 85 %
  • Taux de satisfaction de la clientèle (très satisfaits) : 92 %
  • Âge moyen des employés : 18 ans

Mais de quelle entreprise s’agit-il et comment est-elle parvenue à atteindre de tels résultats?

Portrait d’un succès
Créé en 1972, le Parc Safari œuvre dans le secteur récréotouristique en offrant à sa clientèle des services d’observation d’animaux, des jeux, des plages, des spectacles d’animation, un magasin de souvenirs et plusieurs services de restauration. Sa mission : « Offrir à la clientèle une expérience exceptionnelle : gentillesse, politesse, service total et écoute. Créer un milieu de travail agréable et participatif : favoriser le changement positif, stimuler la communication et encourager le développement personnel ».

On y discerne déjà un énoncé de valeurs qui sous-tend un style de leadership axé sur la responsabilisation et le développement des personnes ainsi que sur l’importance du plaisir au travail.

Bien que certains employés y travaillent à l’année, les activités saisonnières s’étalent sur une période de vingt et une semaines, de la mi-mai à la mi-octobre. En période estivale, un effectif de trois cent cinquante employés très majoritairement composé d’étudiants de la génération Y s’affaire au service de la clientèle. Ils proviennent des communautés environnantes ou des centres urbains.

La directrice des ressources humaines en place travaille au Parc Safari depuis près de trois ans après y avoir œuvré plusieurs saisons pendant ses études. Dès l’âge de seize ans, elle a pris soin de participer à toutes les formations offertes par l’entreprise. Par la suite, elle a voulu faire partager son expérience et le fruit de ses apprentissages aux futurs employés. « Je travaillais à la boutique où personne ne voulait travailler, car le travail était réputé ennuyant. Je me demandais comment transformer le climat de travail pour le rendre plus attrayant et faire en sorte que les employés y aient du plaisir. »

La solution : des stratégies gagnantes
Elle a pris le parti de résoudre le problème d’attraction du personnel en faisant appel à ses semblables, les membres de la génération Y. S’inspirant de l’approche systémique, elle est parvenue à convaincre la haute direction de réexaminer chaque pratique de gestion des ressources humaines de façon critique, afin de reconfigurer le système conformément aux attentes et aux valeurs chères aux Y. C’est ainsi que, de la stratégie de recrutement à la formation continue en passant par la responsabilisation des employés, tout a été repensé dans une perspective d’innovation. Voici quelques solutions originales et souvent inusitées mises de l’avant.

Confier les rênes du pouvoir aux Y
Oui, les Y ont envahi l’organisation et pris possession des postes de commande. Désormais, ils occupent la majorité des postes d’encadrement. On a pris le risque de leur faire confiance et ils renvoient l’ascenseur avec brio et enthousiasme. Ceci permet aux membres des équipes de travail d’entretenir des relations d’égal à égal avec leurs jeunes patrons.

Choisir ceux avec qui on désire travailler!
On mise sur des employés performants pour en faire des agents recruteurs dans leur milieu. Au cours de l’automne, ils participent à une séance de formation qui leur rappelle la philosophie de gestion de l’organisation et les critères de sélection correspondant au profil des personnes recherchées. Ainsi, ils peuvent faire des approches, parler du Parc Safari, identifier des candidats qui semblent afficher un potentiel approprié et les inviter à s’inscrire à une séance d’embauche. La direction du Parc s’assure de pouvoir disposer d’un bassin de relève pour chaque saison successive; il en résulte que l’offre de personnel excède la demande de telle sorte qu’on se permet d’être très sélectif.

En raison de ce processus de repérage, nul besoin d’annoncer les postes à pourvoir dans les médias. On se contente de rappeler discrètement au public la date des séances d’embauche prévues à la mi-avril. Qui choisit les futures recrues? Les pairs. En effet, autour de la salle, cinq ou six évaluateurs (tous des jeunes ayant travaillé au Parc) observent le comportement de chaque candidat lors de simulations et notent leur appréciation selon huit critères de sélection.

L’organisation apprenante : une expérience d’épanouissement professionnel et personnel
L’université du Parc Safari offre aux employés une série de modules de formation sur mesure. Dès leur entrée en fonction, les nouveaux employés sont conviés à un programme d’intégration où on leur donne les renseignements usuels : la culture d’entreprise et les valeurs sous-jacentes, les attentes de la direction et les comportements attendus en ce qui a trait au service à la clientèle, les principaux processus et méthodes de travail en vigueur dans chaque service; puis, on leur assigne un parrain qui facilitera leur apprentissage par la résolution de problèmes et la correction des erreurs. En outre, de nombreux modules de courte durée leur sont proposés.

De plus, l’université propose aux candidats sélectionnés en fonction de leur potentiel et de leur rendement un programme de formation en gestion. Ce programme permet à de nombreux jeunes d’accéder à des postes de gestion.

Si les stratégies de formation occupent une place prédominante, la gestion des ressources humaines est conçue comme un véritable investissement dans les compétences du capital humain. Et cet investissement doit rapporter les dividendes escomptés. On met donc l’accent sur l’évaluation du transfert des acquis en milieu de travail au moyen du système de gestion du rendement. L’employé est responsable de démontrer, dans le cadre du processus d’évaluation, sa capacité à mettre en pratique les compétences acquises en formation…

Gestion des carrières
Oui, même si le Parc compte une majorité d’emplois saisonniers, il est possible pour les jeunes employés d’y poursuivre une carrière. À cette fin, on a multiplié les niveaux au sein de l’organisation afin de faciliter la progression des employés intéressés et qualifiés. L’employé saisonnier peut donc, dans son cheminement professionnel, passer de préposé à directeur adjoint, en passant par recruteur, tuteur, coordonnateur…

L’exercice d’évaluation du rendement des employés vise à vérifier leurs intérêts professionnels en même temps que leur potentiel à occuper un poste d’encadrement. Ensuite, les candidats prometteurs qui « ont la bougeotte » sont invités à poursuivre le programme de formation en gestion offert par l’université. Une fois diplômés (condition sine qua non), ils sont appelés à participer à un stage dans un poste de gestion sous la supervision d’un tuteur. La fin de leur stage donne lieu à un exercice d’autoévaluation en compagnie du supérieur immédiat et du tuteur. En cas de réussite, la personne est immédiatement promue.

Mobilisation
On accuse souvent les jeunes d’apathie et même de désœuvrement. Puisqu’ils ne partagent pas nécessairement les intérêts et les valeurs des générations précédentes, il faut apprendre à répondre à leurs aspirations, à toucher leurs cordes sensibles et à adapter en conséquence les stratégies de motivation et de mobilisation. Par exemple, les membres de chaque équipe choisissent eux-mêmes, en début de saison, les valeurs et les objectifs qui vont gouverner leurs comportements en conformité avec la mission. Or, ils affectionnent particulièrement les valeurs suivantes : respect, coopération, plaisir au travail, autonomie et motivation.

Responsabilisation
Les jeunes de la génération Y ont soif d’autonomie, ils veulent prendre des initiatives qui mettront à contribution leurs talents dans un milieu qui leur laisse suffisamment de marge de manœuvre. Or, la responsabilisation leur sied à merveille. Ce terme est passablement galvaudé, mais retenons qu’il s’agit d’un style de supervision et de leadership qui vise à habiliter les employés au plus bas niveau de l’organisation à prendre des décisions quant à leur travail et à en assumer les conséquences. Au Parc Safari, ils sont appelés à assumer toutes responsabilités et à prendre toutes initiatives susceptibles de contribuer à l’atteinte des objectifs opérationnels.

« Faites-en des erreurs à condition qu’elles coûtent moins de 10 000 $! Tous les membres du personnel peuvent prendre des initiatives et ils ont droit à l’erreur et je les encourage à prendre des risques si nécessaire. » Jean-Pierre Ranger, président

« On obtient beaucoup plus de nos collaborateurs en leur manifestant de la reconnaissance pour leurs bons coups et les succès remportés qu’en les blâmant ou en les culpa -bi lisant pour leurs erreurs. »

Reconnaissance
Les autorités du Parc accordent une importance primordiale aux manifestations de reconnaissance, qui peuvent émaner des clients, des pairs ou des superviseurs, afin de mousser le moral des troupes. Par exemple, les employés sont formés à vérifier la satisfaction de leurs invités à l’issue d’une transaction ou en fin de journée; or, bien souvent, les clients ravis en profitent pour les complimenter.

Des roses pour la Saint-Valentin du 14 août : tout employé est encouragé à écrire une carte de souhaits accompagnée d’une rose à l’intention d’une personne dont il apprécie le travail ou la collaboration.

La ronde des câlins : les superviseurs proposent à leurs employés de se rendre dans un autre service pour enlacer chacun des employés… qui répondent de la même façon; ce simple geste a permis de briser la glace et de créer des liens de respect et même d’amitié.

Place à la Fête
À la différence de leurs aînés peut-être, les Y valorisent le plaisir au travail. En plus du party de mi-saison et du fameux gala de fin d’année, les employés des différents services s’affairent à organiser des sorties à caractère sportif, culturel ou gastronomique. L’initiative leur revient, mais les superviseurs les encouragent en offrant un soutien logistique. Le taux de participation à ces nombreuses occasions de s’amuser ensemble est exceptionnellement élevé.

Les facteurs de succès
Les stratégies de gestion des ressources humaines ayant produit de tels résultats reposent sur des convictions et des principes directeurs précis :

  • s’ouvrir à l’innovation et favoriser l’exercice de la créativité et de l’initiative;
  • faire confiance… et inspirer confiance;
  • renforcer l’esprit d’équipe, car les Y adorent travailler en « gang »;
  • faire fi de certains préjugés sur la génération Y;
  • favoriser une attitude positive en toutes circonstances;
  • préconiser le management baladeur sur le terrain;
  • privilégier l’écoute et la consultation dans les communications;
  • faire une large place au plaisir et à la fête;
  • privilégier les occasions de manifester de la reconnaissance plutôt que de blâmer;
  • impliquer les employés dans l’amélioration continue grâce, notamment, à de brèves réunions quotidiennes.

D’aucuns pourront prétendre que la marche est haute, mais ce cas démontre que tout est possible et que c’est à la portée de tout professionnel de la gestion des ressources humaines. Il suffit de s’y mettre et de suivre le parcours…

Yvan Dubuc, CRHA, M. A., consultant

Source : Effectif, volume 12, numéro 2, avril/mai 2009.


Yvan Dubuc Retraité, auteur de livres et articles en RH