À l’aube d’une seconde pénurie de main-d’œuvre qualifiée, quelles ont été les mesures privilégiées par ces organisations innovantes? Comment les leaders en ressources humaines ont-ils réussi à conserver un juste équilibre entre les mesures restrictives et le maintien de la mobilisation des employés? Quel est le plan d’action à privilégier pour l’année 2010?
Voici quelques pistes de réponses à ces questions, basées notamment sur une étude qualitative réalisée à l’été 2009 auprès d’une vingtaine d’entreprises importantes du Québec.
Le déploiement de mesures en quatre tempsDès septembre 2008, beaucoup d’entreprises ont dû prendre des mesures afin de faire face à la crise redoutée. De façon globale, six grappes de mesures distinctes ont été implantées en suivant une cascade décisionnelle en quatre temps.
Dans un premier temps, les entreprises ont priorisé une réduction de leurs coûts d’exploitation. La très grande majorité des organisations, qu’elles aient été peu ou grandement affectées par la crise, a agi à cet effet, par prudence, mais aussi par souci de gestion responsable.
Ensuite, certaines organisations ont cherché à consolider les conditions de travail offertes aux employés. Toutefois, la majorité a déployé beaucoup d’efforts pour maintenir les conditions de travail déjà en place. Cette tendance est particulièrement vraie en ce qui concerne les régimes de retraite.
Une fois ces mesures mises en place, les entreprises se sont attardées au contrôle des coûts associés à la masse salariale. Pour ce faire, le réaménagement du temps de travail et la gestion prudente des augmentations salariales et des bonis ont été envisagés comme solutions. Parallèlement au déploiement de ces mesures, plusieurs organisations ont gardé en tête une préoccupation importante&nbs;: préserver l’intérêt des employés à haut potentiel et hautement performants en prévision de la reprise économique. Dans une stratégie de fidélisation des talents, de nombreuses mesures concernant ce groupe particulier d’employés ont donc été déployées.
En dernier lieu, certaines entreprises, plus affectées par le contexte économique, n’ont eu d’autre choix que de mettre en place des mesures visant à réduire les coûts de main-d’œuvre.
La figure 1 résume, sous forme de cascade décisionnelle, les mesures recensées auprès des entreprises rencontrées lors de l’étude.
Figue 1 - Mesures déployées pour faire face au contexte économique difficile
Au-delà des mesures : des stratégies différentesLa dernière année a permis d’observer le déploiement de différentes solutions par les entreprises. Même si certaines d’entre elles semblent avoir trouvé des solutions similaires, les raisons justifiant leurs choix et surtout la façon de les mettre en œuvre ont varié. Cette variation s’explique notamment par les paramètres qui ont été privilégiés dans les décisions : environnement interne ou externe, objectifs à court terme ou à long terme, messages organisationnels, valeurs d’entreprise, etc. En fonction de ces choix, trois stratégies prédominantes se dégagent.
Les coûts de main-d’œuvre : gérer dans la tempête
Un certain nombre d’organisations ont cherché à préserver leur avantage compétitif relativement aux coûts de main-d’œuvre. Elles souhaitaient demeurer compétitives en matière de rémunération, tout en étant raisonnables et alignées sur les pratiques du marché.
Elles ont basé leurs décisions sur l’environnement externe et favorisé des considérations à court terme. Ainsi, leurs décisions ont majoritairement été dictées par les tendances du marché et orientées par les responsables des finances; le leader RH a eu moins d’influence et, par conséquent, moins de flexibilité dans la gestion des changements apportés. De l’aveu de plusieurs, les décisions prises dans ces organisations l’ont d’abord été pour rassurer les actionnaires et non pour épargner le personnel.
Ces entreprises ont déployé des mesures d’ajustement temporaire visant essentiellement à répondre à la crise, mesures qui seront éventuellement levées lors de la reprise économique. À titre d’exemples, notons une réduction des dépenses et du budget d’augmentation salariale, un gel temporaire des salaires et des embauches, etc.
Le talent : transformer les gens et les opérationsD’autres organisations ont regardé au-delà de la crise et ont tiré profit du contexte pour apporter des changements importants à leurs façons de faire. Elles ont basé leurs décisions sur l’environnement interne et favorisé des considérations à long terme.
Par exemple, certaines de ces organisations ont profité de l’occasion pour transformer la pratique visant à contrôler les heures supplémentaires payées par un programme de rémunération incitative. Bien que de tels changements aient déjà été envisagés, le contexte économique a été un accélérateur qui a permis d’entreprendre ce virage « performance » tout en combattant les résistances qui pouvaient subsister. D’autres entreprises ont aligné les horaires de travail sur les opérations. Encore une fois, le contexte vécu au cours de la dernière année a justifié, ou à tout le moins facilité, l’implantation de ce changement.
Les mesures ont été mises de l’avant dans l’optique de vivre au-delà de la crise. En utilisant le contexte difficile comme levier, ces entreprises ont saisi l’opportunité d’apporter des changements majeurs et profonds à leurs activités, nécessaires cependant à la pérennité à long terme de l’organisation.
L’expérience employé : optimiser la marque employeurEn faisant preuve de créativité, de flexibilité, de transparence ou en favorisant la responsabilité dans leur approche, un groupe d’entreprises a réussi, malgré le contexte difficile, à se démarquer. Ces organisations ont non seulement su renforcer le lien de confiance qui existait avec leurs employés, mais elles ont également accentué leur avantage compétitif en tant qu’employeur de choix. Elles ont basé leurs décisions sur l’environnement interne et favorisé des considérations à court et moyen termes.
Bien qu’elles aient pris des mesures similaires à celles qui ont été implantées par les organisations qui ont « géré dans la tempête », ces entreprises ont pris des décisions teintées par un regard interne. L’autonomie dans les décisions a été laissée aux unités administratives qui ont eu davantage de flexibilité dans les façons de réduire les coûts. Les gestionnaires et les employés ont été impliqués dans la recherche de solutions, de sorte que les messages ont été clairs et cohérents. Ici, les tendances du marché n’ont pas uniquement été examinées pour s’y accorder, mais d’abord et avant tout pour se distinguer!
Plutôt que des gels de salaire, ces entreprises ont privilégié la réduction du temps de travail pour envoyer le message que « les temps sont durs, mais nous ne voulons pas porter atteinte à l’avenir de nos employés ».
La réceptivité des employés envers cette approche fut positive. Elle s’explique d’une part par le fait qu’ils ont pu contribuer à « l’effort de guerre » de l’employeur pour assurer la survie à long terme de l’organisation et, d’autre part, parce qu’ils ont pu profiter de ce réaménagement du temps de travail pour réaliser un souhait souvent évoqué au cours des dernières années, soit l’équilibre entre le travail et la vie personnelle.
Certaines entreprises de ce groupe possédaient un régime de retraite généreux et ont choisi de le protéger et d’en faire la promotion pendant la crise. Elles affirment que cette stratégie est apparue comme un puissant atout en matière d’attraction et de fidélisation des employés de tous les niveaux, puisque la sécurité financière à long terme a pris, dans le contexte spécifique de la dernière année, une importance plus marquée pour eux.
En prévision de la reprise économique et dans une stratégie défensive de conservation des talents, plusieurs mesures visant les employés à haut potentiel ou hautement performants ont aussi été prises par ces entreprises. Malgré la diminution du budget d’augmentations salariales, certaines organisations ont conservé une enveloppe spéciale pour ces employés. Le contexte s’y prêtant bien, d’autres ont accéléré leur programme de développement de la relève, en octroyant davantage de responsabilités à leurs jeunes leaders et en maximisant la mobilité interne. En démontrant de la flexibilité et du courage dans leur approche, ces organisations se sont positionnées favorablement, malgré le contexte, afin de préserver leurs employés-clés.
En somme, elles sont revenues au « nous » et ont pris des décisions d’abord en fonction de leur culture et de leur stratégie d’affaires.
La figure 2 illustre les trois stratégies qui se dégagent de l’analyse des mesures déployées au cours de la dernière année.
Figure 2 - Stratégies privilégiées par les organisations (voir version imprimée)
Préserver la mobilisation, une stratégie gagnanteDe façon générale, les entreprises interrogées lors de l’étude rapportent que les mesures mises de l’avant pour faire face au contexte économique difficile ont eu peu d’impact sur le climat de travail, la productivité et la mobilisation des employés.
Néanmoins, les résultats provenant de l’étude comparative de 2008 à 2009 des Employeurs de choix, menée par Hewitt & Associés, apportent une nuance intéressante à ce constat. En effet, une très forte majorité d’employeurs distinctifs, c’est-à-dire ceux qui présentaient un indice global de mobilisation de 65 % ou plus en 2008, ont maintenu, voire augmenté cet indice au cours de la dernière année. À l’inverse, les autres employeurs ont vu cet indice diminuer dans une très forte proportion en 2009.
Force est de constater que plusieurs employés ont observé les décisions prises par leur employeur et que certains, déçus des actions mises en place au cours des derniers mois, seront tentés d’ouvrir leurs horizons et de chercher un nouvel employeur lors de la reprise. Malheureusement pour les employeurs, ce sont les individus qui savent nager qui quittent le navire les premiers. C’est ici que se démarqueront favorablement les organisations ayant su préserver la mobilisation de leur main-d’œuvre.
Pour préparer la reprise… un plan d’action en trois étapesSelon toute vraisemblance, les défis qui prévalaient avant la crise referont surface lors de la reprise économique. Stimulants et intéressants, ils deviendront une autre source d’occasions à saisir pour les leaders en ressources humaines. Pour ce faire, voici un plan d’action en trois étapes.
Première étape : anticiper la reprise et ses défis
La pénurie de main-d’œuvre apportera des défis d’attraction et de fidélisation. Le changement du profil de la main-d’œuvre posera quant à lui des défis d’adaptation et de flexibilité. Les organisations les plus innovatrices ont déjà, au cours de la dernière année, fait preuve d’ingéniosité pour répondre à ces défis et surtout, pour préparer la reprise… Pour elles, le plan d’action prendra la forme de la continuité et de l’amélioration des mesures déjà entreprises en ce sens. Pour les autres, le plan d’action consistera à s’inspirer des mesures observées et à saisir l’occasion de faire preuve de créativité.
Au même titre que les cellules de crise qui ont été formées pour affronter le contexte économique difficile de la dernière année, les organisations trouveront avantage à mettre sur pied une cellule d’après-crise afin de faire face à la reprise. Cette cellule pourra notamment se pencher sur l’identification d’un projet porteur, l’élaboration des messages clés et les moyens à prendre pour remercier les employés des efforts fournis pendant la dernière année.
Troisième étape : entamer la campagne de grande séduction
Une troisième étape gagnante lors de la reprise visera la fidélisation des employés à haut potentiel et performants. Pour se distinguer, les entreprises devront, après avoir identifié ce groupe particulier d’employés, travailler en étroite collaboration avec lui. Ceci peut impliquer de les rencontrer, de les reconnaître et de les stimuler avec des projets diversifiés et un avenir prometteur.
2010 s’annonce remplie de défis et porteuse d’occasions à saisir. Il est encore temps d’agir, car c’est en temps de paix qu’on prépare la guerre… des talents.
Geneviève Cloutier, CRHA, M. Sc., conseillère principale, rémunération, et Étienne Boucher, CRHA, M. Sc., M. Ed., conseiller, développement organisationnel et rémunération, Normandin Beaudry
Source : Effectif, volume 12, numéro 5, novembre/décembre 2009.