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La civilité : un moyen de prévenir les plaintes pour harcèlement

Les entreprises qui veulent miser sur la prévention et établir un climat de travail sain ont avantage à se doter d’un code de civilité.
14 mai 2012
Bernard Lacoste, CRHA | Gilles Demers

Au dire de plusieurs professionnels de la gestion des ressources humaines, le traitement des plaintes pour harcèlement constitue un réel fardeau dans leur entreprise. Par où commencer ?

Sur quels principes s’appuyer pour déterminer si une plainte est fondée ? Qu’est-ce qui constitue du harcèlement et qu’est-ce qui n’en est pas ? Et surtout, quoi faire pour éviter d’en arriver là ? La liste des préoccupations est longue.

Une des raisons pour lesquelles la gestion d’une plainte pour harcèlement peut sembler à ce point compliquée, c’est que le harcèlement est devenu, dans les entreprises, le mot « fourre-tout » pour traduire l’inconfort ressenti par certains employés et que sa forme juridique est mal connue.

Or, quand vient le temps d’agir, il est essentiel que les gestionnaires des ressources humaines soient en mesure d’établir une distinction entre le harcèlement psychologique et les comportements inadéquats ou inappropriés. Ils pourront ainsi remettre les pendules à l’heure et se fonder sur des balises claires pour prendre les bonnes décisions.

En réalité, nombre de plaintes pour harcèlement déposées depuis l’entrée en vigueur, en 2004, des nouvelles dispositions légales en matière de harcèlement psychologique, le sont par des employés victimes d’un manque de civilité. Voilà ce qui explique pourquoi seulement un faible pourcentage des plaintes pour harcèlement se rend à l’étape de l’audition.

Une autre difficulté réside dans la façon même de gérer les plaintes. En effet, plusieurs entreprises se croient, à tort, tenues par la loi d’ouvrir une enquête. Or, la Loi sur les normes du travail stipule que l’organisation qui reçoit une plainte pour harcèlement doit prendre les moyens raisonnables pour faire en sorte que la situation cesse et ne se reproduise pas. Il s’agit donc d’une obligation de moyens, c’est-à-dire une obligation d’intervenir dans de telles situations, mais non d’enquêter.

Qu’est-ce que le harcèlement ?

Avant de conclure qu’on est en présence d’un cas de harcèlement, il faut s’assurer de bien analyser la teneur de la plainte et de s’en tenir aux faits.

La Loi définit en termes clairs en quoi consiste le harcèlement. Elle stipule que le harcèlement psychologique au travail est une conduite vexatoire qui se manifeste par des comportements, des paroles ou des gestes répétés :

  • qui sont hostiles ou non désirés;
  • qui portent atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié;
  • qui rendent le milieu de travail néfaste.

Pour établir qu’il y a bel et bien harcèlement psychologique, il faut démontrer la présence de tous les éléments de cette définition. Et souvent, c’est là que l’expertise du spécialiste en gestion des ressources humaines peut être précieuse.

Que faire lors de la réception d’une plainte ?

Tout d’abord, il est essentiel de prendre le temps de bien comprendre la nature de la plainte, de s’assurer qu’elle est fondée sur des faits et non uniquement sur des émotions et des perceptions. Par exemple, une employée qui affirme que son patron « ne la lâche pas, qu’il surveille ses faits et gestes et qu’il est constamment sur son dos » doit être en mesure d’expliquer concrètement les faits qu’elle reproche à son patron en donnant des exemples précis.

Une façon de vérifier si la plainte est justifiée est de se demander si une personne raisonnable aurait ressenti les mêmes émotions si elle avait été placée dans une situation semblable. Cette notion de « personne raisonnable » est apparue dans la jurisprudence pour faciliter l’interprétation de la loi. Il faut aussi que les faits reprochés soient assez probants, puisque la personne visée par la plainte a elle aussi des droits et peut s’en prévaloir. Ainsi, une personne qui se pense victime d’une plainte de nature vexatoire pourrait à son tour porter plainte.

Dans les cas où certains des éléments associés à du harcèlement sont présents, mais que des zones d’ombre persistent, il est possible de conclure qu’on est en présence d’un comportement inadéquat. En effet, si l’entreprise conclut que la plainte n’est pas recevable, elle doit tout de même intervenir auprès du plaignant et de l’autre personne en cause pour régler la situation. Il peut s’agir d’aider les individus à rétablir leur lien de communication ou encore de clarifier les rôles et responsabilités. Mais avant tout, l’entreprise doit s’assurer de faire connaître ses attentes concernant les comportements à adopter en milieu de travail.

Qu’est-ce que l’incivilité au travail ?

Apparue dans la littérature il y a une dizaine d’années, l’incivilité au travail est souvent définie comme une conduite qui, sans être grave ou sévère, enfreint néanmoins les normes de respect qui prévalent dans un milieu de travail donné. Bien que l’intention claire de nuire ne soit pas nécessaire pour parler d’incivilité, on reconnaît d’emblée que de telles conduites témoignent à tout le moins d’un manque d’égard envers autrui.

Les entreprises qui veulent miser sur la prévention et établir un climat de travail sain pourraient donc se doter d’un code de civilité. L’expérience démontre qu’en l’absence d’un tel code, ce sont les règles tacites du groupe qui deviennent la norme.

Or, dans certains milieux, ces règles tacites peuvent amener le groupe à développer une culture où les comportements inadéquats sont normaux et où la loi du silence est de mise. Dans ce contexte, ce sont les personnes qui refusent d’adopter les comportements inadéquats qui subissent les pressions du groupe.

Le code de civilité

Le code de civilité, aussi appelé code de conduite, est un cadre de référence qu’un groupe de personnes, par exemple une entreprise ou une équipe, se donne et qui vise le bien-être de la majorité des individus.

Bref et rédigé dans un langage simple et imagé, cet outil deviendra la référence pour quiconque, gestionnaire ou collègue, souhaite rapporter un manquement aux normes de respect mutuel ou, en d’autres mots, une incivilité. On pourrait y retrouver un énoncé des valeurs communes de même qu’une liste des comportements et attitudes qui sont proscrits ou, au contraire, encouragés.

Ces principes sont à la base d’un milieu de travail sain où les rapports entre les individus sont régis par des règles communes qui désapprouvent les remarques désobligeantes, les attitudes inappropriées et les insultes. Chaque entreprise a donc le loisir de définir les comportements qui sont jugés adéquats et ceux, au contraire, qui ne seront pas tolérés.

Par ailleurs, plusieurs entreprises ajoutent la notion de civilité à leur politique sur le harcèlement. Certaines mettent même leur code de civilité en annexe à cette politique. Une telle pratique permet de rendre officielles les attentes de l’employeur quant aux comportements jugés adéquats et de simplifier la gestion des plaintes pour harcèlement.

Une question de performance

S’il est vrai que l’incivilité n’entraîne pas nécessairement des réactions de peur et de détresse chez les personnes ciblées, celles-ci n’en ressortent pas indemnes pour autant. En effet, des recherches (Pearson, Andersson et Porath, 2000) indiquent que plus de 50 % des personnes ayant subi des conduites d’incivilité rapportent avoir perdu du temps en repensant à ce qui s’était passé. Plus du quart d’entre elles ont quant à elles perdu du temps en cherchant à éviter la personne incivile, alors que 25 % ont mentionné que tant leur engagement à l’égard de l’entreprise que l’effort qu’elles investissent au travail ont décliné après qu’elles aient été la cible d’incivilité.

Qui doit « gérer » la civilité au travail ?

Il faut savoir que la civilité, c’est l’affaire de tous. Il incombe d’abord aux employeurs de fournir à leur personnel un milieu de travail sain et de se doter de règles liées à la civilité. Ces règles doivent ensuite être communiquées au personnel.

Quant aux gestionnaires, ils doivent prendre des mesures pour gérer les comportements qui dénotent un manque de civilité dans leur équipe. Par exemple, il peut s’agir d’informer un employé ayant enfreint les règles de civilité que son comportement est inacceptable en regard des règles de conduite en vigueur dans l’entreprise et, si le comportement se reproduit, de prendre les mesures nécessaires.

Enfin, les individus sont également responsables d’établir des limites dans leurs relations avec leurs collègues et leur patron, et d’intervenir au besoin. Les interventions doivent être simples et concises, comme l’illustrent les exemples suivants :

  • « Ce que tu m’as dit hier m’a blessé. Je te demanderai de ne plus t’adresser à moi de cette manière. »
  • « Quand tu as un commentaire à me faire, j’aimerais que tu le fasses en privé et non devant tout le monde. »
  • « Je sais que tu es fâché, mais je te demanderais d’éviter de sacrer ici. »
  • « Je te prie de baisser le ton lorsque, à l’avenir, tu voudras me reprocher quelque chose. »

Ces exemples paraissent simplistes? Peut-être, mais de telles interventions suffisent la plupart du temps pour faire comprendre à un collègue, à un employé ou à un patron que son comportement n’est pas tolérable. Conjuguées à l’application éclairée par les gestionnaires du code de civilité, ces interventions s’avèrent d’une réelle efficacité.

En conclusion

Les plaintes pour harcèlement méritent d’être analysées soigneusement et avec rigueur avant qu’une enquête soit entreprise. En effet, la grande majorité de ces plaintes sont en fait associées à un manque de civilité et ne constituent pas du harcèlement en tant que tel.

Les entreprises ont donc avantage à mettre en place des mécanismes visant à doter les équipes de règles de conduite afin de prévenir les plaintes pour harcèlement. Il faut faire de la civilité au travail une obligation et non une option. Il en va de la qualité du climat de travail.

Par ailleurs, il revient aux responsables des ressources humaines d’établir une distinction claire entre les notions de harcèlement et d’incivilité afin de pouvoir intervenir adéquatement et de proposer les bonnes solutions à leurs clients.

Bernard Lacoste, CRHA, vice-président principal, développement des compétences, et Gilles Demers, chef de pratique climat, civilité et harcèlement psychologique au travail, CFC Dolmen


Bernard Lacoste, CRHA vice-président principal, développement des compétences CFC Dolmen

Gilles Demers chef de pratique climat, civilité et harcèlement psychologique au travail CFC Dolmen

Source : Effectif, volume 15, numéro 2, avril/mai 2012.