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L’implication syndicale : plus nécessaire que jamais

Les organisations syndicales sont souvent accusées d’être à la source des rigidités sur le marché du travail ou du manque de compétitivité des entreprises.

14 mai 2012
Louis Roy

Certains vont même jusqu’à prétendre que les syndicats sont issus d’une époque dépassée – la révolution industrielle – et que leur pertinence dans le contexte actuel est discutable. Qu’en est-il exactement?

Faire face aux changements
Au fil des ans, le contexte économique et la main-d’œuvre ont changé. C’est indéniable. Avec la libéralisation des échanges et les percées technologiques, les entreprises évoluent dans un environnement plus concurrentiel. La propriété des entreprises est mouvante et les pressions pour un rendement financier à court terme sont très présentes. Évidemment, toutes les entreprises ne logent pas à la même enseigne. La situation d’une multinationale qui domine son marché n’est pas assimilable à celle de ses propres fournisseurs, plus dépendants ou luttant pour élargir leur marché.

Les secteurs d’activité ont aussi connu d’importantes mutations. L’industrie manufacturière est soumise à des impératifs économiques différents de ceux des services publics même si ces deux secteurs vivent des restructurations importantes accompagnées d’une précarisation de l’emploi. Ce qui n’est pas sans complexifier le travail syndical.

Parallèlement, la main-d’œuvre s’est diversifiée. Ses besoins et attentes par rapport au travail ne sont plus les mêmes. Avec la progression de la scolarité et des qualifications, de nouvelles identités professionnelles se développent. Certes, l’amélioration des conditions de rémunération (salaires et avantages sociaux) demeure centrale dans un contexte où les avancées à cet égard demeurent souvent bien maigres et les reculs nombreux. Toutefois, de nouveaux enjeux prennent de plus en plus de place. Conciliation famille/travail, intégration des jeunes et des personnes issues des communautés culturelles, gestion de la diversité sont autant de dimensions qui s’imposent de plus en plus dans les milieux de travail.

S’ajoutent à ces enjeux deux défis majeurs pour les entreprises québécoises : l’amélioration de la productivité, notamment dans le secteur manufacturier où les carences en investissement et en formation en cours d’emploi sont manifestes, ainsi que l’attraction et la rétention de la main-d’œuvre dans un contexte où la population en âge de travailler se raréfie en raison de son vieillissement.

Impliquer les salariés et le syndicat
Dans ce contexte changeant, l’investissement et l’innovation organisationnelle sont essentiels au succès des entreprises ainsi qu’au développement et au maintien des emplois.

La vitalité et la pérennité des entreprises exigent une implication des salariés et de leur syndicat. Leur participation aux innovations dans l’entreprise est un gage de réussite. Cette implication doit se faire au début des processus de changements organisationnels, et non lorsque les décisions sont prises. Pour cela, il faut établir une relation de confiance et assurer la transparence économique. Sans celle-ci, il est difficile de participer pleinement aux transformations nécessaires dans les lieux de travail. C’est comme faire un chèque en blanc… et à ce jeu, plusieurs syndicats ont été échaudés au cours des années.

Heureusement, des expériences de démarches conjointes réussies existent. Malgré trois changements de propriétaire en un peu plus de dix ans (Donohue, Abitibi-Consolidated, AbitibiBowater), le syndicat des travailleurs du papier de Clermont a multiplié les interventions afin d’assurer la survie de leur usine de papier journal. Pressions pour que l’employeur investisse et modernise les machines à papier, mobilisation afin de réduire les coûts de production, implication dans l’implantation des normes ISO (9001, 9002 et 14001) sont autant de moyens qui ont été utilisés pour assurer la pérennité des activités et le maintien des emplois dans une région, Charlevoix, où les activités manufacturières sont trop rares. Ailleurs, à l’usine Bridgestone de Joliette, le syndicat est engagé depuis une dizaine d’années dans une démarche de partenariat avec l’employeur afin d’assurer l’amélioration des conditions de travail et la rentabilité des installations.

Dans le secteur public, un nombre important de syndicats travaille, conjointement avec l’employeur, à améliorer l’organisation du travail et à mettre en place des mesures de conciliation famille/travail afin de répondre aux besoins d’une main-d’œuvre majoritairement féminine, mais qui a aussi fortement rajeuni à la suite des nombreux départs à la retraite. Les syndicats ont également élargi leur champ d’intervention en faisant appel à la responsabilité sociale des entreprises. De plus en plus d’entre eux souhaitent s’engager dans des démarches concertées d’achat responsable et d’amélioration du bilan environnemental de leur entreprise.

Négocier, proposer et s’impliquer
On pourrait multiplier les exemples de ce type qui confirment ce que plusieurs recherches empiriques ont établi : la présence syndicale n’est pas un frein aux performances économiques et à la rentabilité des entreprises.

Les organisations syndicales savent que, sans investissement, sans formation, sans implication des salariés, l’avenir des emplois et le succès des entreprises sont hypothéqués. Devant l’inertie de certains employeurs, les syndicats doivent prendre l’initiative et les forcer à réagir, comme l’ont fait avec succès certains syndicats, dont celui de l’usine de papier de Clermont cité plus haut. Ils doivent les inciter à faire de la recherche et du développement, à investir pour moderniser les moyens de production, à améliorer les méthodes de travail et à protéger l’environnement. Ils doivent les pousser à chercher de nouveaux marchés et de nouveaux produits, à promouvoir la formation des travailleurs afin d’améliorer la qualité du travail et des produits, favorisant ainsi le développement durable de l’entreprise tout en bonifiant les conditions de travail.

Les syndicats doivent bien connaître la situation économique et opérationnelle de l’entreprise. Ils doivent établir leur crédibilité sur une connaissance approfondie de la situation de l’entreprise et formuler des propositions qui invitent l’employeur à planifier des changements avant que les problèmes deviennent insurmontables. Ils peuvent favoriser le passage d’une gestion à court terme à une vision à long terme.

Miser sur la représentation collective et la transparence
Contrairement à ce que laisse croire le discours antisyndical ambiant, l’absence de représentation syndicale ne réduit pas les tensions dans les milieux de travail. Les entreprises ne sont pas des « communautés harmonieuses » où les travailleurs adhèrent spontanément et de façon consensuelle aux objectifs et aux projets fixés par l’employeur. Répondre à la diversité des intérêts et des besoins est un défi auquel tant les organisations syndicales que les employeurs sont confrontés. Dans ce contexte, la négociation individuelle n’est pas un gage d’efficacité et d’équité, mais une porte ouverte à l’arbitraire. De même, la précarisation de l’emploi n’est pas synonyme d’efficacité à long terme.

Des relations patronales-syndicales qui misent sur la coopération, la transparence et la confiance permettent d’améliorer les performances des entreprises. Des études ont montré qu’une présence syndicale encourage l’implication des salariés, qu’elle fournit une voix autonome aux travailleurs, qu’elle favorise une vision à long terme du développement des entreprises plutôt qu’une gestion à court terme comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui avec le règne des actionnaires. L’action syndicale facilite la communication et permet aussi la stabilité de la main-d’œuvre et l’accès à la formation. La confiance des salariés envers leur entreprise peut aussi être accrue.

Il ne s’agit pas de nier des conflits d’intérêts fondamentaux. Mais des espaces de coopération existent : aménagement du temps de travail pour favoriser la conciliation famille/travail, amélioration de la santé et de la sécurité, accès à la formation, réorganisation du travail, respect de l’environnement. En ce sens, les syndicats peuvent jouer un rôle d’accompagnateur et aider à créer des milieux de travail qui placent véritablement le travail des salariés au centre de la performance de l’entreprise et de sa pérennité.

Un syndicat est fragilisé s’il ne parvient pas à représenter et à défendre les aspirations de l’ensemble des travailleurs, ni à améliorer les conditions de travail, ni à collaborer pour assurer la pérennité de son entreprise. C’était vrai hier, ce l’est encore plus aujourd’hui alors que le discours antisyndical a pris de l’ampleur. Cela dit, l’intervention syndicale en entreprise est indissociable d’un environnement législatif favorable. Après de multiples colloques et rapports (rapport Bernier au Québec en 2003 et rapport Arthurs au fédéral en 2006 notamment), la cause est maintenant entendue : nos lois du travail sont mal adaptées à l’évolution de l’économie, du marché du travail et de la société. Tôt ou tard, il faudra s’y attaquer. Le succès à long terme des entreprises québécoises ne doit pas reposer sur la dégradation des conditions de travail et sur la précarisation de l’emploi. Certes, les organisations syndicales doivent ajuster leurs pratiques et leurs stratégies aux réalités actuelles. Le renouvellement est nécessaire. Cela dit, la raison d’être des syndicats demeure plus pertinente que jamais.

Louis Roy, président, confédération des syndicats nationaux

Source : Effectif, volume 15, numéro 2, avril/mai 2012.


Bibliographie

Gill, C., « Union impact on the effective adoption of High Performance Work Practices », Human Resource Management Review (2008), doi :10.1016/j.hrmr.2008.08.002.

Tzannatos, Z. et T. S. Aidt. « Les syndicats et la performance microéconomique : aperçu des éléments intéressant les économistes (et les employeurs) », Revue internationale du travail, vol. 145, n° 4, 2006, p. 291-316.

Storm, S. et W. M. Naastepad. « Labor Market Regulation and Productivity Growth: Evidence for Twenty OECD Countries (1984-2004) », Industrial Relations, vol. 48, n° 4, 2009, p. 629-654.

F. Biétry. « Les syndicats français sont contre-productifs : faisons-les disparaître! », dans Critique et Management(CriM) et al., Petit bréviaire des idées reçues en management, La Découverte « Cahiers libres », 2008, p. 97-109.


Louis Roy