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L’expérience humaine de l’expatriation - Le cas de Xstrata Nickel

L’ouverture des marchés mondiaux crée des opportunités d’affaires pour les moyennes et grandes entreprises québécoises et canadiennes. Dans ce contexte, l’expatriation de la main-d’œuvre constitue une bonne stratégie de gestion pour les organisations en croissance qui veulent se positionner sur l’échiquier mondial.

13 mai 2013
Catherine Privé, CRHA, et Sonia Fillion

Des raisons stratégiques militent en faveur de l’expatriation des ressources humaines. Plusieurs entreprises ont recours à l’expatriation parce que la main-d’œuvre spécialisée est insuffisante ou inexistante dans le pays concerné. De plus, il est souvent bénéfique pour l’entreprise, indépendamment des compétences de la main-d’œuvre locale, d’expatrier des employés qui connaissent ses façons de faire, ses produits et services ainsi que la culture qu’elle souhaite inscrire dans le milieu concerné.  

Pour les entreprises, approcher, intéresser et fidéliser des candidats qui souhaitent travailler à l’étranger représentent un investissement en temps et en argent important. Plusieurs expériences se soldent par un échec... Les personnes expatriées reviennent avant d’avoir complété leur mandat, souvent pour des raisons reliées à la difficulté d’intégration de leur famille plutôt qu’au travail lui-même. Malheureusement, les entreprises commettent souvent l’erreur de réduire le processus d’expatriation à une série de procédures administratives allant du départ de l’expatrié jusqu’à son arrivée dans le pays d’accueil. Elles lui fournissent par exemple un soutien pour l’obtention du visa de travail, pour trouver un logement, etc.

Pour réussir une expérience d’expatriation...
L’employeur doit concevoir une approche globale intégrant des interventions avant, pendant et après l’expatriation, en tenant compte de l’ensemble de la cellule familiale. L’expatriation doit être vue non comme une simple expérience de travail, mais comme une expérience de vie pour toute la famille.

La phase préparatoire comporte des ateliers de formation pour l’expatrié et sa famille, dont l’objectif est de faciliter leur intégration sur les plans professionnel et personnel dans le pays d’accueil. On y aborde, en plus des connaissances sur le pays, les concepts d’intégration et de diversité culturelle afin de mettre en lumière le possible choc des cultures qui attend la famille. Ces ateliers de formation visent également à développer la connaissance de soi et de sa propre culture afin de bien comprendre son impact sur ses croyances et ses comportements et favoriser ainsi l’ouverture et l’intégration à une autre culture.

Le travailleur expatrié s’adapte souvent plus rapidement que les autres membres de sa famille au pays d’accueil. Cela s’explique en grande partie par le fait qu’il est rapidement intégré dans un milieu de travail structurant qui répond à ses besoins sociaux et d’accomplissement personnel. Plusieurs travailleurs expatriés ont vu leur rêve de travailler à l’étranger se transformer en cauchemar lorsqu’un des membres de leur famille a éprouvé des difficultés d’adaptation ou d’intégration. C’est pourquoi la formation doit prévoir, dès la phase préparatoire, l’amorce d’un projet personnel pour le conjoint ainsi que l’établissement d’une carte réseau. Grâce à celle-ci, le travailleur expatrié et sa famille peuvent identifier les personnes avec qui ils souhaitent demeurer en contact et définir un mode approprié de communication avec celles-ci.

Pendant la phase d’actualisation, dont la durée peut varier, le travailleur et sa famille bénéficient d’un accompagnement (coaching) interculturel et psychosocial. Un professionnel de la relation d’aide leur apporte un soutien en ce qui concerne les défis qu’ils ont à relever (utilisation d’une autre langue, adaptation à une nouvelle équipe de travail, acquisition de compétences techniques, etc.). Cette relation d’aide s’établit lors de rencontres face à face ou virtuelles (skype, téléphone, courriel, clavardage, etc.). Elle vise à favoriser l’expression des pensées et émotions et à identifier des moyens pour soutenir l’intégration de l’expérience. De plus, les parents reçoivent des outils concrets d’accompagnement de leurs enfants dans l’expérience d’expatriation. Bref, cet accompagnement a pour objectif de faciliter l’intégration professionnelle et personnelle du travailleur expatrié et de sa famille.

Au retour de l’expérience d’expatriation, les personnes vivent souvent une période de deuil où elles réalisent leurs pertes (réseau social, défis professionnels, opportunités de développement). Il arrive aussi que l’ancien expatrié ressente moins d’enthousiasme envers son travail, trouve les projets moins nourrissants sur le plan professionnel que ceux qu’il a réalisés lors de l’expatriation. S’ensuit pour lui une période de doute qui peut se caractériser par un questionnement sur ses intérêts et son avenir professionnel. Cette période rend l’organisation vulnérable, car à ce moment, elle risque de perdre ses ressources (souvent les plus talentueuses). Pendant cette phase, il faut faciliter le retour des expatriés. Différentes pratiques ou mesures de fidélisation peuvent être prises pour faciliter l’intégration de l’expérience au plan personnel et le réinvestissement des compétences professionnelles dans l’organisation.

Un cas probant...
Xstrata Nickel, qui est l’une des unités commerciales de produits de base du groupe Xstrata, est le quatrième producteur de nickel en importance au monde. L’entreprise possède et exploite des installations au Canada, en Australie, en République Dominicaine, au Brésil, en Norvège et bientôt en Nouvelle-Calédonie.

En effet, Xstrata Nickel, en collaboration avec la Société Minière du Sud Pacifique, construit présentement, près de Koniambo en Nouvelle-Calédonie, ce qui deviendra la plus grande mine de nickel au monde. Afin de mener à bien le projet de démarrage, des équipes sont sur place dans le but de sélectionner la main-d’œuvre nécessaire et de mobiliser ces équipes de travail pour le démarrage de la mine. Ainsi, près de trois cents expatriés provenant principalement du Canada, de la France et de la République Dominicaine apportent leur contribution à ce vaste projet. Xstrata Nickel est consciente de l’importance de soutenir sa main-d’œuvre dans la réalisation de ce projet d’envergure.

La minière a donc mandaté notre firme conseil afin d’effectuer, en août 2012, une analyse de besoins des travailleurs expatriés et de leurs familles. Cette collecte de données a permis d’identifier différents besoins des familles déjà sur place et certains problèmes éprouvés par celles-ci. À titre d’exemple, citons certaines difficultés en rapport avec l’intégration scolaire des enfants dans le système français, l’accès au logement et l’isolement ressenti.

Par la suite, une intervention de soutien spécifique auprès des familles a été proposée à la minière ; l’objectif ultime était de favoriser la rétention des travailleurs expatriés durant tout le projet, en veillant notamment à ce que toute la cellule familiale vive une expérience positive. Dans ce cas précis, certains expatriés n’avaient pas encore quitté leur pays d’origine ; ils ont donc suivi une formation préalable à leur départ. Pour les expatriés québécois, la formation a eu lieu à Montréal. À cette occasion, des travailleurs et travailleuses ainsi que leurs conjoints provenant de la Gaspésie, de l’Abitibi, du Saguenay et d’ailleurs ont participé ensemble à une journée et demie de formation. Ces familles ont ainsi pu faire connaissance, parler de leurs craintes et de leurs espoirs et, enfin, acquérir des compétences interculturelles. Pour les expatriés originaires de l’Europe et de la République Dominicaine, la formation pré-départ a été adaptée à leur réalité et a pris la forme d’un webinaire. Pour leur part, le personnel et les conjoints déjà en place dans le pays d’accueil (la Nouvelle-Calédonie) se sont vu offrir un service de soutien et d’accompagnement interculturel et psychosocial, et ce, dans les trois langues (français, anglais, espagnol). Ce service est encore offert, mais à distance, en mode virtuel, et sera en fonction pendant toute la durée du projet.

Les résultats de cette intervention sont évidents. Les personnes qui ont reçu une formation avant le départ semblent avoir des attentes plus réalistes et être plus positives, ce qui facilite leur intégration interculturelle. Outre cette formation donnée avant le départ, l’accompagnement interculturel et psychosocial des expatriés permettra de faciliter leur intégration ainsi que celle de leur famille et de réaliser les objectifs de démarrage de la mine Xstrata Nickel.

Si c’était à refaire, quelques leçons apprises…
Cette expérience avec les expatriés de la Nouvelle-Calédonie, bien qu’elle en soit à ses débuts, permet déjà de tirer quelques apprentissages pour les futurs projets.

Premièrement, une collecte de données est nécessaire pour bien saisir la réalité spécifique du projet afin d’offrir aux clients des moyens adaptés à leur situation. Cet exercice facilite entre autres la reconnaissance des besoins, des craintes et des préoccupations spécifiques de la main-d’œuvre expatriée et des familles ainsi que de ceux de l’entreprise. Cette connaissance permet de préparer un plan global d’intervention cohérent, adapté et sur mesure qui tient compte de l’ensemble des enjeux du projet et de l’organisation.

Deuxièmement, une connaissance adéquate de la culture d’origine et de la culture d’accueil est essentielle afin de bien saisir la distance culturelle et d’évaluer le choc vécu par les expatriés et leur famille. Les formateurs et les coachs doivent s’imprégner de cette réalité afin d’assurer un accompagnement juste et approprié.

Troisièmement, une organisation technologique efficace constitue une condition facilitante pour l’accès aux travailleurs expatriés, puisque plusieurs interventions se réalisent en mode virtuel (skype, courriel, etc.). La fluidité des échanges entre les travailleurs et les coachs est en effet nécessaire pour favoriser l’établissement d’une relation significative de qualité. Pour terminer, la synergie entre le chargé de projet de la firme-conseil et celui de l’entreprise est extrêmement importante, car c’est elle qui permet de conduire le projet de façon judicieuse.

Conclusion
La stratégie d’expatriation représente une avenue porteuse pour les entreprises québécoises en croissance. En effet, plusieurs organisations situées en région éloignée aux prises avec des difficultés d’attraction et de fidélisation du personnel s’intéressent à ce modèle de travail. Depuis quelques années, plusieurs d’entre elles ont développé un modèle d’organisation du travail par rotation bimensuelle (fly-in/fly-out). Ces nouvelles réalités de la planification de la main-d’œuvre impliquent une organisation de vie familiale et professionnelle particulière. Bref, afin d’attirer et de fidéliser des travailleurs dans les régions éloignées, les entreprises devront implanter de nouvelles façons de faire, adaptées à ce contexte particulier de la main-d’œuvre de demain.

Catherine Privé, CRHA, MAP, présidente, et Sonia Fillion, M. Éd., directrice, Alia Conseil

Source : Effectif, volume 16, numéro 2, avril/mai 2013.


Catherine Privé, CRHA, et Sonia Fillion