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L’assignation temporaire : une mesure incontournable dont tout le monde profite!

Le nombre de lésions professionnelles est en baisse. En effet, selon le dernier rapport annuel de la CSST, le nombre annuel de lésions aurait diminué de 37 % depuis 2000, se chiffrant à quelque 91 000 lésions acceptées en 2011, et ce, malgré une augmentation de 14 % du nombre de travailleurs couverts par la CSST.

Cela dit, malgré tous les efforts de sensibilisation de la CSST et les mesures de prévention observables dans les milieux de travail, les accidents du travail font encore trop de victimes, en plus d’alourdir les charges financières des employeurs du Québec. Rappelons que, par leurs cotisations, ce sont les employeurs qui financent les coûts du régime d’indemnisation de la CSST. Lorsque le pire survient, les employeurs ont intérêt à favoriser un prompt et durable retour au travail de leurs travailleurs accidentés.

10 septembre 2012
Reine Lafond, CRIA

L’ABC de l’assignation temporaire


Le chapitre de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) portant sur la réadaptation permet à un employeur d’offrir temporairement, à un travailleur incapable d’exercer son emploi en raison d’une lésion professionnelle, une affectation à des tâches qu’il a la capacité d’exécuter. Cela permet au travailleur de maintenir un contact privilégié avec son milieu de travail, de faire œuvre utile malgré son incapacité à exécuter son travail normal et de maintenir ses habitudes de travail, éléments clés de lutte à la chronicité.

Pour être mise en place, l’assignation temporaire doit respecter trois conditions : le travailleur est raisonnablement en mesure d’accomplir le travail proposé, ce travail ne comporte pas de danger pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique compte tenu de sa lésion et il est favorable à sa réadaptation. Il est parfois ardu d’obtenir l’autorisation du médecin qui a charge du travailleur à la mise en place de l’affectation proposée.

En effet, la loi prévoit que l’employeur peut procéder à une assignation temporaire si et seulement si le médecin du travailleur est d’avis que les tâches respectent les trois conditions prescrites. En pratique, cette autorisation sera confirmée par écrit par le médecin, sur le formulaire préparé par l’employeur et remis par le travailleur lors de son rendez-vous médical. Dans le cas où l’assignation est refusée par le médecin, le travailleur demeure en arrêt de travail et touche les indemnités prévues à la loi. L’employeur ne disposera alors d’aucun recours pour contester le refus du médecin, d’où l’importance de bien préparer sa démarche et, surtout, de persévérer dans ses demandes.

Trucs et astuces pour favoriser l’autorisation
Pour favoriser le succès de la démarche d’autorisation de l’assignation temporaire, outre la remise du formulaire d’assignation au travailleur afin que celui-ci le soumette à son médecin, l’employeur peut acheminer lui-même une copie du formulaire ainsi qu’une lettre explicative au médecin, avant le rendez-vous médical. Cette démarche permettra d’offrir au médecin des informations contextuelles pertinentes, telle l’existence d’une politique d’entreprise valorisant la présence au travail sur laquelle prend appui la démarche d’assignation. Cette lettre peut faire ressortir les bénéfices et les objectifs de l’assignation temporaire. Il ne faut pas perdre de vue que ce processus n’est pas familier à tous les médecins et qu’une démarche mieux comprise n’en sera que plus convaincante.

Lorsque le médecin omet de répondre aux demandes d’assignation, ou refuse les assignations soumises, il peut être utile de revoir les informations inscrites dans le formulaire afin de s’assurer que les tâches proposées sont énoncées de façon claire. Il est illusoire de penser que les médecins mèneront systématiquement une enquête auprès de l’employeur sur le sens à donner aux énoncés contenus à la demande d’assignation. Le contexte actuel de la pratique médicale ne le permet pas. Il est donc recommandé d’éviter d’indiquer seulement « travaux légers », car une telle définition ne procure aucune indication sur la nature ou les exigences physiques des tâches que le travailleur devra accomplir. À défaut de comprendre la nature des tâches proposées, le médecin pourra refuser l’assignation ou se tourner vers les explications de son patient. Dans ce dernier cas, le résultat dépendra de l’information reçue et surtout de la motivation du travailleur à reprendre le travail.

L’assignation temporaire est un droit de l’employeur. L’expérience révèle que les intervenants perçoivent parfois la démarche d’assignation de façon réductrice, comme une simple procédure à appliquer. À trop mettre d’emphase sur la procédure, ses obstacles et la recherche de solutions pour obtenir l’autorisation du médecin, on en vient à perdre de vue le principal intéressé : le travailleur.

Sur une base empirique, le moyen le plus efficace de parvenir à mettre en place une assignation temporaire consiste à impliquer le travailleur dans la démarche, à le motiver à rester au travail et à lui faire comprendre qu’il peut être utile à l’entreprise dans l’exécution de certaines tâches, même s’il n’a pas la capacité de faire son travail habituel. Investir des efforts dans la recherche de solutions de retour au travail de concert avec le travailleur lorsque la situation est problématique entraîne souvent de meilleurs résultats que de s’évertuer à convaincre son médecin.

La mise à contribution du médecin-conseil de l’entreprise dans une intervention auprès du médecin traitant peut également s’avérer bénéfique en cas de difficulté à obtenir l’autorisation recherchée. Le médecin de l’entreprise peut partager avec le médecin du travailleur sa connaissance des exigences des tâches proposées ou analyser avec lui les aménagements possibles qui conviennent à la condition médicale du travailleur, le cas échéant.

Une obligation pour le travailleur
Selon l’article 180 de la LATMP, le travailleur doit accepter l’assignation temporaire autorisée par son médecin dès lors que l’employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages liés à l’emploi qu’il occupait au moment où est survenue sa lésion, et dont il bénéficierait s’il avait continué à l’exercer. Le travailleur peut cependant contester l’assignation autorisée par son médecin par l’entremise de la procédure de contestation prévue par la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Cette procédure étant plutôt méconnue, certains travailleurs ont tendance à vouloir se faire justice eux-mêmes et refusent, sans la contester, l’assignation temporaire autorisée. Dans un tel cas, la LATMP prévoit que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) peut, sur demande de l’employeur, suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Cette suspension, si elle est appliquée par la CSST, prévaudra jusqu’à ce que le travailleur amende sa conduite et se présente au travail, à moins qu’il ne fasse valoir une raison valable pour justifier son refus.

La suspension de l’indemnité par la CSST ne limite pas l’employeur dans l’exercice de ses droits de direction. Une mesure disciplinaire peut toujours être imposée si la situation le justifie. Il ne faut pas oublier qu’une lésion professionnelle libère simplement le travailleur de son obligation de fournir sa prestation normale de travail. L’assignation temporaire ne permet pas au travailleur de devenir son propre patron au gré de ses humeurs.

Des coûts injustes pour l’employeur
Lorsque le défaut du médecin qui a charge du travailleur à remplir les formulaires d’assignation temporaire entraîne une augmentation significative des coûts portés au dossier financier de l’employeur, la CSST peut, sur demande de ce dernier, procéder à un transfert des coûts imputés vers un ensemble d’employeurs si la situation en cause entraîne pour lui une injustice, selon les circonstances. À titre d’exemple, dans l’affaire impliquant Hvac inc., la Commission des lésions professionnelles (CLP) a déjà conclu à un manque de collaboration du médecin traitant, vu ses omissions répétées pendant plus d’un an à donner suite aux demandes d’assignation de l’employeur. La CLP a considéré, par ailleurs, qu’en ignorant les motifs ayant incité le médecin à ne pas se prononcer, l’employeur ne pouvait modifier ses demandes. Les coûts imputés pendant près d’un an ont été retirés du dossier financier de l’employeur.

Lorsque l’assignation temporaire est valablement mise en place, certaines situations peuvent l’interrompre, entraînant ainsi la reprise du versement de l’indemnité au travailleur et l’imputation de celle-ci au dossier financier de l’employeur. Les causes étrangères à la lésion professionnelle et hors du contrôle de l’employeur peuvent justifier un transfert des coûts qui en résultent vers un ensemble d’employeurs. Ainsi, des transferts de coûts ont été acceptés dans les cas où l’assignation autorisée et disponible a été rendue impossible ou a dû être interrompue pour cause d’accident non relié au travail, d’incarcération, de cure de désintoxication, de maladie personnelle, de grossesse ou de congé parental. Le même raisonnement s’applique au cas où le travailleur a remis sa démission au lieu de se soumettre à l’assignation.

Lorsque c’est l’employeur qui met fin à l’emploi d’un travailleur, il peut être possible d’obtenir un transfert de coûts dans certaines circonstances. Par exemple, si le comportement du travailleur appelle à un congédiement rendant l’assignation temporaire impossible, il serait injuste que l’employeur en assume les coûts. C’est ce que la CLP a décidé dans le cas où un travailleur a été congédié en raison de son manque d’assiduité récurrent et de ses absences fréquentes en cours d’assignation temporaire. Pour la CLP, il serait injuste que l’employeur assume les coûts d’indemnisation faisant suite au congédiement.

Une mesure incontournable
En dépit des difficultés auxquelles peut se buter tout employeur dans le cadre du processus d’assignation temporaire, cette mesure demeure un outil de gestion incontournable pour minimiser, au-delà de toute considération pécuniaire, les conséquences des lésions professionnelles. Tant pour l’employeur que pour le travailleur, les bénéfices sont indéniables, puisqu’elle favorise un prompt et durable retour au travail, et c’est le système de santé et la collectivité qui en profitent !

Me Reine Lafond, CRIA, LL.B., associée, Les avocats Le Corre & Associés, S.E.N.C.R.L.

Source : Effectif, volume 15, numéro 4, septembre/octobre 2012.


Sources jurisprudentielles

  • Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. c. A-3.001.
  • Loi sur la santé et la sécurité du travail, c. S.2-1.
  • Aramark Québec inc. et CSST, CLP376515-71-0904, 2010-01-14.
  • Canadian Tire Jonquière (magasin), CLP 370257-02-0901, 2009-10-05.
  • Claude Centre d’accueil Louis Riel et Boivin, CLP 151809-72-0012, 2001-06-28.
  • Compagnie A. et T.J., 2010 QCCLP 9001.
  • Forget (1979 inc.), 2010 QCCLP 4394.
  • Hvac inc., CLP 248420-64-0411, 2006-02-20.
  • Hydro-Québec (Gestion accidents du travail), 2009 QCCLP 7948.
  • Provigo Distribution (Division Maxi), 2012 QCCLP 878.
  • Supermarché JCJ inc., 2011 QCCLP 6466.
  • Thomson Tremblay inc., 2012 QCCLP 3720.

Reine Lafond, CRIA Avocate Groupe Le Corre & Associés Inc.