Pour sa part, monsieur Irrité revient progressivement au travail et exige de ne plus faire certaines tâches qu’il juge risquées pour sa blessure à l’épaule (malgré les aménagements faits et l’absence de restriction médicale). Généralement très colérique, il accuse son supérieur de conspirer contre lui pour le forcer à faire ces tâches «dangereuses». En le voyant s’approcher d’un pas déterminé, le supérieur sent sa tension monter. Il serre les dents, prêt à une nouvelle «attaque».
Il arrive que la gestion d’un dossier d’invalidité et le retour au travail d’un employé soient complexifiés par les attentes ou les besoins démesurés de l’individu, par son attitude et ses comportements ou par ses perceptions qui semblent contreproductives ou rigides. Conserver une relation saine et productive avec cet employé pour favoriser son retour au travail peut être laborieux puisque ces situations engendrent chez le gestionnaire une panoplie d’émotions, allant de l’impuissance à la colère, en passant par la pitié, le découragement et la frustration. Ces situations lui font souvent réaliser ses limites et celles de l’organisation. Dans ces cas, maintenir ou rétablir une relation bénéfique exige de l’humilité, de la patience et une collaboration entre l’employé et le gestionnaire. Ce dernier devra aussi être fin stratège, car il lui faudra assumer la responsabilité de changer sa façon de faire pour amener l’employé à modifier la sienne.
Voici cinq trucs qui aideront le gestionnaire à gérer ces dossiers sans y laisser son énergie, voire sa santé.
Dynamique qui se répète? Faire table rase pour repartir sur une bonne base.La gestion de ces dossiers exigeants est parfois caractérisée par des patterns qui se répètent. Par exemple, peu importe comment on aborde madame Martyr, elle finit toujours par se poser en victime, alors que les rencontres avec monsieur Irrité se soldent systématiquement par de la colère et des accusations. Chaque fois, malgré ses bonnes intentions, le supérieur prend madame Martyr en charge et se justifie devant les accusations de monsieur Irrité. Cela se produit parce que l’attitude ou le comportement de l’employé, lorsqu’il est en relation avec lui, l’amène à réagir d’une certaine façon. Cela crée une dynamique qui maintient le pattern. Lorsque cette situation survient, le gestionnaire doit agir de façon stratégique :
- prendre du recul et faire le bilan de ses rencontres passées avec l’employé pour identifier les façons de faire qui le déstabilisent ainsi que ses réactions à celles-ci;
- planifier comment réagir différemment la prochaine fois pour éviter de retomber dans le même piège;
- lors de la rencontre suivante, identifier la dynamique et proposer à l’employé de repartir sur une base différente : s’entendre avec lui sur la destination finale, soit l’objectif de la démarche, ainsi que sur les nouvelles façons de faire.
Cela implique que le gestionnaire autant que l’employé fassent l’effort conscient de remettre le compteur à zéro, de mettre de côté leurs frustrations et leurs jugements pour travailler ensemble à atteindre la destination finale. En un mot, il faut éviter de répéter les mêmes dynamiques infructueuses et changer ses comportements.
Établir les règles du jeu, la partie sera plus facile.Ces règles du jeu sont, d’une part, les exigences du contexte organisationnel (auxquelles le travailleur a consenti en acceptant son contrat de travail, faut-il le rappeler) et, d’autre part, les limites et pratiques à respecter pour maintenir un climat de travail sain et respectueux. Ces règles doivent être connues de l’employé puisqu’il devra composer avec elles. Il ne faut pas hésiter à définir avec lui les limites et les possibilités d’accommodement, les attentes de l’entreprise (en termes de prestation et de performance) et les responsabilités respectives dans la résolution de la situation. Spécifier, si nécessaire, les comportements attendus et ceux qui sont inacceptables ainsi que les conséquences du manquement à ces règles de respect. Bien que cela puisse sembler enfantin, il est nécessaire de préciser les conséquences lorsque des employés, comme monsieur Irrité, brisent les règles sociales. Pour que cette stratégie ait un réel impact, le gestionnaire doit toutefois s’assurer d’appliquer systématiquement les conséquences. Si la problématique réside plutôt dans les attentes irréalistes de l’employé, il faut revenir aussi souvent que nécessaire au cadre administratif ou organisationnel et aux responsabilités respectives. Il faudra sans doute préciser plus d’une fois ces règles du jeu, mais cela permettra de guider les actions et de responsabiliser chacun des joueurs!
Ranger les gants de boxe et sortir ses gants de construction!
Il peut être tentant, pour le supérieur, de vouloir convaincre l’employé que son point de vue est peu réaliste ou erroné et, par le fait même, de chercher à lui faire adopter le sien. Cette démarche est bien souvent un combat perdu d’avance pour le gestionnaire, et ce, même s’il a raison! L’argumentation aura souvent l’effet inverse, puisqu’elle amènera chacun à s’ancrer davantage dans son propre point de vue… Tensions et impasses suivront. Dans cette situation, le supérieur doit :
- reconnaître le point de vue de l’employé; sans être nécessairement d’accord, dire simplement ce qu’il comprend de son point de vue; ne pas hésiter surtout à souligner les idées partagées;
- apporter son point de vue et présenter les responsabilités de chacun : le supérieur peut soutenir l’employé et créer un contexte favorable, mais l’employé devra activement contribuer à mettre les solutions en place;
- demander l’aide de l’employé afin d’identifier des objectifs ou des actions pour résoudre l’impasse ou atteindre la destination; ces actions devront être orientées vers le futur.
Les solutions ne doivent pas viser à identifier qui a tort ou raison ou ce qui aurait pu être fait avant. Elles doivent permettre d’identifier ce qui sera fait à partir de maintenant pour régler la situation en respectant les règles du jeu.
Ne pas se laisser gérer par ses émotions…Ce type de situations peut faire éprouver impuissance, frustration, pitié, colère, découragement. Il est facile de laisser ses émotions influencer ses décisions, son jugement et ses réactions. Le gestionnaire devrait prendre régulièrement le pouls de son état émotionnel, que ce soit en observant ses sensations physiques (nœud dans l’estomac, tension dans les épaules, gorge serrée, etc.), ses comportements (procrastiner, confronter, éviter, etc.) ou ses émotions, et constater leur impact sur ses réactions. Il devrait prendre du recul pour donner du sens à ces émotions et réactions selon la situation. Et enfin, planifier une stratégie, qui pourra reposer sur les outils précédemment mentionnés, pour gérer la situation différemment. L’important est d’être suffisamment conscient de ses réactions émotionnelles pour ne pas être géré par celles-ci.
Respecter ses limites, sans se prendre pour un super-héros.
Il est normal que certaines personnalités ou situations fassent réagir une personne, lui fassent perdre ses moyens. Chacun a ses limites et ses cordes sensibles. Outre l’inconfort que créent ces situations, elles rendent moins efficaces, car souvent le gestionnaire ne dispose pas des bons outils pour les gérer. Il lui faut donc être suffisamment humble pour reconnaître ses limites et rechercher du soutien et de l’information sur la façon de composer avec la situation. Pour obtenir une perspective et des outils différents, il ne doit pas hésiter à solliciter l’opinion de collègues et à utiliser leurs forces et habiletés. Une perspective externe est souvent aidante.
Dans une relation difficile avec un employé en invalidité ou en retour au travail, il faut se rappeler que les solutions résident dans l’application d’un cadre clair et dans l’implication consciente de l’employé et du gestionnaire dans la démarche vers une destination commune. Une saine gestion de ses émotions et une conscience de la dynamique pour éviter les pièges et la confrontation seront également des aides précieuses. On doit se montrer ouvert à l'identification de compromis et au changement de ses façons de faire! Être stratégique pour obtenir une meilleure collaboration du travailleur et faciliter son retour au travail. Parfois, cela ne sera pas possible. Dans ces moments, le gestionnaire aura néanmoins fait la démonstration de son réel désir d’aider et aura mis en place un processus humain et juste. Son énergie sera alors investie efficacement pour obtenir la résolution, administrative ou autre, du dossier.
EXEMPLES CLINIQUES | ||
Madame Martyr | Monsieur Irrité | |
Situation | Se dit victime de la mesquinerie de ses collègues, pleure beaucoup et met les solutions en échec. Un sentiment d’impuissance porte le gestionnaire à la prendre en charge. | Craint de se blesser, est agressif, accuse le gestionnaire de conspirer contre lui et est emporté avec ses collègues, qui s’occupent alors de ses tâches. Le gestionnaire se surprend à se justifier devant lui. |
Faire table rase | Désamorcer pleurs et victimisation en reconnaissant la souffrance de l’employée et souligner l’importance accordée à son bien-être. Solliciter sa collaboration pour que les discussions futures soient orientées vers des solutions pour rétablir un climat respectueux avec ses collègues et assurer sa prestation de travail. Prévenir que les rencontres futures seront recadrées en ce sens. | Désamorcer la colère en identifiant la dynamique des rencontres et son désir de l’aider. Proposer une nouvelle façon de faire : parler de solutions qui l’aideront à se sentir davantage en sécurité. S’entendre ensuite sur les règles des rencontres (respect, ouverture et mode solution). Cesser la rencontre aussitôt qu’elle ne respecte plus les règles. |
Établir les règles du jeu | Clarifier ses responsabilités (ex. : assurer un cadre de travail sain) et celles de l’employée (ex. : obtenir de l’aide pour gérer ses émotions et relations) ainsi que les limites (ex. : on ne peut changer l’équipe ni isoler l’employée). | Clarifier ses responsabilités (ex. : offrir un environnement de travail sécuritaire) et celles de l’employé (ex. : ouverture aux solutions et proactivité) ainsi que les règles d’accommodement en vigueur. Indiquer son ouverture à faire des compromis à l’intérieur de ce cadre. |
Solutions orientées vers le futur | Valider l’importance d’un climat sain. Solutions pour rétablir la relation : rencontre de médiation, mécanisme de rétroaction, aide du PAE pour gérer ses émotions, etc. | Reconnaître les craintes de l’employé de se blesser. Présenter l’information sur l’évaluation de poste notamment. Identifier un objectif commun : veiller à ce qu’il puisse travailler sans se blesser. Solutions envisagées : reprise progressive des tâches, soutien temporaire d’un collègue, coaching sur des techniques de travail sécuritaire. |
Daniel Morin, CRHA, directeur services en entreprise, et Karine St-Jean, Ph. D., psychologue, conseillère principale réadaptation, L'équipe Entrac
Source : Effectif, volume 15, numéro 4, septembre/octobre 2012.