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Gérer la perception de justice : pour fidéliser les employés

Certains experts estiment que le coût du roulement volontaire d’un employé équivaut à une fois son salaire annuel (en incluant les coûts directs et indirects). Ainsi, pour une entreprise qui a un taux de roulement de 10% et qui emploie trois cents personnes gagnant en moyenne 40 000 $, cela représente une perte annuelle de plus de un million de dollars!

20 mai 2014
Lucie Morin, CRHA

Mais pourquoi quitte-on un employeur? Une fausse croyance est répandue quant à la raison principale de départ des employés. Ainsi, environ 90 % des gestionnaires croient que le salaire est la première cause de départ. Par contre, 90 % des employés évoquent une autre raison.

La plupart des raisons mentionnées par les employés touchent la relation employeur-employé (manque de reconnaissance, de rétroaction, de confiance envers la direction). Le manque d’équité et de respect arrive aussi en tête de liste. On entend : « C’est vraiment injuste ce qui s’est passé. Je pense sérieusement à partir. »

La perception d’injustice constitue un des sentiments les plus forts que l’humain peut vivre. Peu importe le niveau hiérarchique, l’âge, le genre, plus une personne perçoit de l’injustice au travail, plus elle se désengage et a des chances de quitter volontairement son employeur. À l’inverse, plus la perception de justice est grande, plus la satisfaction et l’engagement sont élevés et plus on devient fidèle à un employeur.

Dans les faits, une gestion proactive de la justice comporte plusieurs bénéfices pour l’entreprise comme l’illustre la figure 1. L’organisation a donc avantage à faire des efforts pour gérer cette perception chez tous ses employés, peu importe leur niveau hiérarchique. Ne pas fidéliser un directeur ou un vice-président estimé fera encore plus de tort que le départ d’un employé débutant.

La gestion du sentiment de justice des employés est liée à trois aspects de la vie organisationnelle :

  • les décisions prises par l’entreprise touchant directement les employés (par exemple la détermination de la cote de rendement et du boni annuel, des horaires de travail et de vacances, des promotions);
  • les procédures utilisées pour prendre ces décisions;
  • les interactions humaines lors de la transmission de ces décisions.

Autrement dit, une personne peut développer une perception d’injustice si elle trouve que la décision prise est injuste, si elle considère qu’il y a un manquement concernant une procédure ou encore si on l’a traitée de façon peu respectueuse.

Par ailleurs, il est important de se rappeler que la perception de justice demeure, comme le mot le dit, une perception. Cela veut dire que ce qui est considéré comme juste est subjectif ou, en d’autres termes, dépend du cadre de référence de chacun. Ainsi, une situation perçue comme très équitable par un gestionnaire peut faire rager un employé et en laisser un autre indifférent.

Gérer les décisions
Une entreprise prend chaque année de nombreuses décisions touchant directement les employés. Certaines sont très sensibles, d’autres moins. Ainsi, la cote de rendement attribuée à un employé par son supérieur immédiat constitue une décision à haut risque par rapport à la perception de justice. Il arrive en effet très souvent qu’un employé considère son évaluation comme injuste.

Pour l’évaluation du rendement, un employé jugera la décision de l’entreprise, soit la cote de rendement qu’on lui a attribuée, de deux façons : il fera d’abord une comparaison entre sa contribution, tels les efforts investis et les réalisations durant la dernière année, et sa rétribution, soit le résultat de son évaluation. Il pensera : « Avec tous les efforts que j’ai investis, il me semble que je mérite une cote plus élevée. » Cette façon de faire s’applique à toutes les décisions.

Couramment, l’employé juge sa cote de rendement par rapport aux autres. Il compare alors sa contribution et sa rétribution avec celles de ses collègues dans l’organisation ou même dans d’autres entreprises. La grande mobilité externe dans certains secteurs d’activité favorise en effet la comparaison entre entreprises.

Plus une personne perçoit un déséquilibre entre sa contribution et sa rétribution, plus elle ressent de l’injustice. La réaction négative qui suivra sera proportionnelle à la force de l’injustice ressentie. En général, un employé qui se sent traité injustement désire rétablir l’équilibre. Il adopte alors des comportements contre-productifs, comme de prendre des pauses plus longues ou se déclarer malade sans vraiment l’être et même de cacher de l’information clé et de frauder l’entreprise. Plus les situations injustes s’accumulent, plus l’employé devient désengagé envers son employeur, ce qui affecte négativement sa performance et son implication. Au final, si les conditions du marché lui sont favorables, il partira.

Une entreprise a donc avantage à connaître les décisions les plus sensibles aux yeux de ses employés. Réaliser un sondage anonyme après d’un échantillon représentatif des principales catégories d’employés constitue un premier pas dans la bonne direction.

Gérer les procédures
Une personne peut aussi ressentir de l’injustice parce que la procédure utilisée pour prendre la décision n’est pas optimale. Les principaux critères qu’une personne utilise pour juger de la qualité d’une procédure sont :
  • la cohérence : cette procédure s’applique-t-elle de la même façon à tous les employés et dans toutes les situations?
  • l’objectivité : cette procédure est-elle biaisée ou sous l’influence d’intérêts personnels?
  • la précision : cette procédure repose-t-elle sur des informations pertinentes à la situation?
  • la voix : cette procédure permet-elle aux employés concernés d’exprimer leur opinion? Ce critère semble particulièrement important pour la génération Y.

Ainsi, après avoir déterminé les décisions les plus importantes aux yeux de ses employés, une entreprise devrait réaliser un diagnostic des procédures utilisées pour prendre ces décisions.

Gérer les interactions
Enfin, on est aussi sensible à la façon dont on est traité lors de décisions importantes. « Lors de mon évaluation, mon patron a agi comme si j’étais un numéro. Je n’ai vraiment pas aimé ça. Et en plus, il ne m’a fourni aucune explication. » Pour augmenter la perception de justice, les gestionnaires doivent adopter des comportements de respect envers leurs employés. Prenons l’exemple d’un client qui se plaint. Avant de porter un jugement sur la situation, le gestionnaire devrait s’informer, chercher à comprendre la version des faits auprès de l’employé concerné.

Le gestionnaire doit aussi tenir ses promesses. Plus une décision va à l’encontre de ce qui a été promis, plus le sentiment d’injustice sera grand. Mentir à ses employés, faire passer des propres intérêts en premier, être indifférent, refuser d’admettre ses erreurs font partie des comportements nuisibles au respect.

Gérer les interactions veut aussi dire optimiser le fond et la forme des informations transmises aux employés lors de décisions importantes à leurs yeux. Reprenons l’exemple de l’évaluation du rendement. Avant d’annoncer les cotes de rendement, un gestionnaire devrait avoir préparé des explications simples et claires sur les critères utilisés, la procédure, le résultat. Il devrait aussi avoir considéré la manière la plus appropriée de communiquer l’information. Dans la situation présente, une rencontre face à face d’une durée raisonnable, accordant du temps pour s’exprimer à l’employé, est de loin préférable à l’envoi d’un courriel.

Conclusion
Gérer la perception de justice des employés augmente leur fidélisation. Plusieurs initiatives peuvent être prises par l’équipe des ressources humaines en collaboration avec la direction. En voici quelques unes :
  • réaliser un sondage auprès des employés pour déterminer les trois décisions les plus importantes à leurs yeux; un sondage devrait être réalisé pour chaque catégorie importante d’employés;
  • pour chacune de ces trois décisions, réaliser un diagnostic de la procédure en place (respect des critères clés de justice); le résultat du diagnostic permettra d’identifier les zones d’actions prioritaires;
  • pour chacune de ces trois décisions, réaliser un diagnostic de la gestion de l’information : quelles sont informations actuellement transmises? Y en a-t-il assez? Sont-elles claires, pertinentes? A-t-on choisi le bon canal de communication?
  • promouvoir les comportements de respect chez les gestionnaires; cela peut être fait, entre autres, par des activités de sensibilisation et par une révision des pratiques de gestion (par exemple, optimiser le processus de sélection des gestionnaires et inclure les comportements de respect dans les critères d’évaluation des gestionnaires).

Lucie Morin, CRHA, Ph.D., professeure titulaire, ESG UQAM

Source : Effectif, volume 17, numéro 2, avril/mai 2014.


Lucie Morin, CRHA Professeure titulaire École des sciences de la gestion - Université du Québec à Montréal

Détentrice d’un doctorat de l’Université de Toronto, Lucie Morin est professeure titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Spécialisée en gestion stratégique du capital humain, elle a acquis depuis plus de 25 ans une riche expérience pratique et théorique. Avant sa carrière universitaire, Mme Morin a travaillé entre autres chez IBM Canada, le Groupe DMR et Domtar où elle a occupé le poste de directrice de la formation. Conférencière estimée, Mme Morin enseigne au MBA pour cadres et anime régulièrement des formations pour conseillers et gestionnaires en entreprise.