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Femmes et carrière : les mères sont-elles pénalisées?

Malgré les nombreux progrès effectués par les femmes sur le marché du travail, encore peu d'entre elles réussissent à grimper les échelons jusqu'aux postes d'influence dans les entreprises québécoises, bien qu'elles soient aujourd'hui plus scolarisées que les hommes. En 2013, les femmes occupaient au Québec seulement un quart de ces postes d'influence (Boulet, 2013) et moins de 20 % des sièges au sein des conseils d'administration des plus grandes sociétés (Catalyst, 2013). En outre, 40 % de ces sociétés ne comptaient aucune femme au sein de leur conseil d’administration.

6 juillet 2015
Émilie Genin, CRHA | Marie-Ève Michaudville

Plusieurs facteurs concourent à cette situation, parmi lesquels on peut mentionner les difficultés de conciliation travail-famille associées au fait d’être mère et les aspirations de carrière qui seraient moindres que celles des hommes. Pour mieux comprendre ce phénomène, une étude a été menée sur les effets de la maternité sur les aspirations de carrière des femmes diplômées universitaires. Elle a été effectuée auprès de onze professionnelles membres de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA et CRIA). L'analyse laisse voir que la maternité influence les aspirations de carrière des femmes à travers différents mécanismes qui sont l’anticipation de la maternité, l’ajustement des aspirations de carrière au moment de l'arrivée des enfants, la diminution de l'investissement temporel dans le travail et de la mobilité géographique. Ces mécanismes illustrent comment la maternité influence directement et indirectement les trajectoires de carrière.

Plusieurs femmes qui prévoient avoir des enfants orientent leurs choix de carrière vers des emplois où il est plus facile de concilier travail et famille. L'anticipation de la maternité a pour effet d’orienter les aspirations de carrière vers plus d'équilibre travail-famille et de stabilité d'emploi. Par ailleurs, le fait d’avoir de fortes ambitions pour une carrière hiérarchique a pour effet de repousser le moment de la maternité chez certaines participantes.

Les ajustements à l'arrivée des enfants
À l'arrivée des enfants, les participantes font certains ajustements. La maternité ferait évoluer leurs aspirations de carrière vers plus d'équilibre travail-famille. Certaines choisissent alors le travail autonome ou l'entrepreneuriat ou se dirigent vers une entreprise capable de satisfaire cette aspiration.

La diminution du temps consacré au travail
La plupart des participantes ayant un ou des enfants mentionnent que la maternité a pour effet de diminuer le temps consacré à leur travail, afin de mieux équilibrer travail et famille. Par conséquent, la diminution de l’investissement temporel dans le travail au moment de l’arrivée des enfants influence grandement les trajectoires de carrière des mères. Inversement, les femmes sans enfants considèrent qu'elles peuvent investir davantage de temps dans leur travail en raison de la flexibilité dont elles bénéficient.

La diminution de la mobilité géographique
Toutes les participantes ayant des enfants considèrent que les difficultés de conciliation travail-famille affectent, ou ont affecté, leur capacité à se déplacer à l'extérieur pour le travail. Puisqu'elles aspirent à plus d'équilibre au moment de l'arrivée des enfants, elles tendent à refuser les déplacements. D'ailleurs, la parentalité a souvent pour effet de diminuer la mobilité géographique des femmes, mais moins celle des hommes. De cette manière, la maternité influencerait grandement les trajectoires de carrières des femmes en diminuant leur mobilité géographique et internationale.

Les résultats de cette recherche indiquent que la maternité amènerait les femmes à revoir leurs aspirations de carrière et influencerait donc directement et indirectement les trajectoires de carrière. De plus, les aspirations de carrière agiraient à titre de médiateurs entre la maternité et les trajectoires de carrière (voir schéma ci-dessus).

Plusieurs implications découlent de ces résultats, autant pour les employeurs que pour les femmes.

Les implications pour les organisations
Dans la mesure où les aspirations de carrière des femmes auraient tendance à diminuer au moment de l’arrivée des enfants, il devient très important pour leurs employeurs de les maintenir à un niveau aussi élevé que celles de leurs homologues masculins. Pour ce faire, ils devraient tout d'abord adopter des programmes de mentorat et de parrainage. En considérant qu'il devient difficile pour les femmes de conjuguer vie professionnelle et vie personnelle, les organisations ont intérêt à miser sur le soutien par le mentorat afin d'aider la progression hiérarchique des femmes (Naschberger et al., 2012).

Un autre moyen de maintenir les aspirations de carrière des femmes à un niveau élevé est d'adopter des pratiques et une culture de gestion favorables à la conciliation travail-famille et d’inciter les femmes et les hommes à les utiliser (Naschberger et al., 2012). En effet, les horaires de travail flexibles, les congés parentaux et la présence de garderies sur les lieux de travail favorisent la progression de carrière des femmes en leur permettant de concilier des aspirations de carrière élevées et un équilibre de vie.

Pour finir, que dire aux femmes?
Tout d’abord, la littérature s’entend sur le fait qu’une grande confiance en soi est un atout important pour la progression de carrière des femmes (Lee-Gosselin, 2012). Pour développer leur confiance en elles, les femmes auraient avantage à miser sur l’enrichissement de leur capital humain. Pour ce faire, le retour aux études, la formation continue ou l'implication au sein d’un conseil d'administration sont des moyens efficaces. Ce type d'expérience enrichit les compétences, ce qui leur procure un avantage quand vient le temps de postuler un poste d’influence ou de siéger à un conseil d'administration.

Finalement, le conjoint est un partenaire essentiel à la progression de carrière des femmes. En effet, la croyance selon laquelle les hommes devraient assurer le rôle de pourvoyeur et la femme le rôle de soins aux enfants demeure toujours présente dans les couples d’aujourd'hui (Ely et al., 2014). La majorité des hommes participant à cette étude croient d'ailleurs que leur carrière est prioritaire dans leur couple, ce qui a pour effet d'influencer négativement les carrières de leurs femmes. C'est pourquoi il apparaît important pour les femmes de faire de leur conjoint un véritable partenaire dans leur carrière, notamment par un partage plus équitable des défis professionnels et des tâches familiales.

Marie-Ève Michaudville, finissante à la maîtrise, École de relations industrielles, Université de Montréal
Émilie Genin, CRHA, Ph. D., professeure adjointe, École de relations industrielles, Université de Montréal

Source : Effectif, volume 18, numéro 3, juin/juillet/août 2015.


Bibliographie

  • Boulet, M. (2013). L’accès limité des femmes aux emplois de gestion : un plafond de verre? Institut de la statistique du Québec.
  • Catalyst. (2013). Les femmes membres de conseils d’administration selon le classement Financial Post 500     
  • Ely, R. J., P. Stone et C. Ammerman (2014). “Rethink What You “Know” About High-Achieving Women”, Harvard Business Review, 92(12), 100-109.
  • Lee-Gosselin, H. (2012). « Quelques ingrédients du succès des femmes vice-présidentes d'entreprise », Effectif, 15(3), 10-15.
  • Michaudville, Marie-Ève. Les effets de la maternité sur les trajectoires de carrière des femmes diplômées au Québec  : Le rôle des aspirations de carrière, mémoire de maîtrise (relations industrielles, 2014).
  • Naschberger, C., C. Quental et C. Legrand (2012). « Le parcours de carrière des femmes cadres : pourquoi est-il si compliqué et comment le faciliter? », Gestion, 37(3), 43-50.

Émilie Genin, CRHA Professeure agrégée Université de Montréal, École de relations industrielles

Marie-Ève Michaudville Agente de projets COSMOSS Bas-Saint-Laurent