Selon Josh Bersin, président de Bersin & Associates, « le marché mondial du testing tend à croître de 15 % par année et a atteint les deux milliards dollars en 2011 ». Les évaluations de préembauche présentent d’ailleurs une réelle utilité économique, une augmentation de 30 % à 40 % dans la qualité des candidats étant observée lorsqu’on utilise ce type d’évaluation lors d’un processus de sélection de personnel.
Pas étonnant dans ce contexte que le testing en ligne gagne en popularité au sein des organisations et auprès des professionnels RH. Toutefois, il est crucial de ne pas mésestimer le déploiement d’une plateforme informatique de testing. Ce processus implique de nombreuses ressources, des collaborations multidisciplinaires et une gestion efficace de projet. Voici les principales étapes d’implantation d’un système de testing en ligne ainsi que les conditions de succès et les risques potentiels.
Les avantages du testing
Le testing en ligne comporte plusieurs avantages pour les organisations. La littérature en répertorie principalement sept.
- Optimiser les processus d’évaluation de potentiel par une réduction du temps requis pour évaluer les candidats. En simplifiant la logistique inhérente aux évaluations, on réduit le temps requis pour produire les rapports et modifier le contenu, les normes ou les seuils de passage. Il est aussi plus facile d’implanter un nouveau test. Évidemment, cela se transforme en économies financières.
- Réduire les coûts associés à l’évaluation des candidats. Grâce à l’évaluation en ligne, les salaires des administrateurs de tests sont réduits. Sans compter les gains engendrés par l’élimination des locations de salle et des frais d’entretien des ordinateurs.
- Instaurer une meilleure standardisation des processus d’évaluation, par l’élimination des manipulations multiples par plusieurs personnes, ce qui réduit également les risques d’erreur humaine.
- Favoriser l’innovation. Ce mode d’évaluation permet d’introduire de nouveaux outils de sélection comme le testing adaptatif, les tests multimédias, etc.
- Compiler plus facilement des indicateurs RH. Plusieurs indicateurs pertinents sont plus difficilement disponibles lorsque les tests sont administrés de manière traditionnelle. En éliminant la saisie manuelle des données, il est possible d’obtenir plusieurs indicateurs pertinents (exemple : durée précise de la latence de réponse par type d’item).
- Accroître le bassin de candidatures. En administrant les tests en ligne, le lieu géographique d’un candidat potentiel n’est plus un frein.
- Améliorer l’image organisationnelle et la perception des candidats. L’utilisation des technologies avant-gardistes a un effet positif pour l’organisation.
Comment s’y prendre?
Plusieurs modèles d’implantation d’un projet de ce type ont été proposés dans la littérature. Nous présentons ici le modèle intégrateur de Hallé, Renaud et Ruiz (2005). Facilement applicable à un projet d’implantation du testing en ligne, ce modèle est multidimensionnel et tient compte de certains facteurs de succès. Le processus comporte trois grandes phases, soit la préparation, l’implantation et la stabilisation, chacune définie par deux étapes plus spécifiques (voir figure 1).
Par ailleurs, l’implantation d’un projet de testing en ligne nécessite une analyse approfondie et une prise de décision cohérente à plusieurs niveaux. Ces niveaux d’analyse et de décision peuvent être regroupés en six catégories : psychométrique, informatique, juridique et déontologique, administrative, financière, sans oublier les aspects humains.
Phase de préparation
Cette phase est fondamentale à la mise en œuvre de n’importe quel projet en milieu organisationnel. On y retrouve deux étapes : l’initiation et l’adoption. Dans ces premières étapes, plusieurs aspects font l’objet d’une analyse approfondie; on s’intéresse aux impacts des processus sur les autres systèmes informatisés de gestion de personnel et plusieurs décisions sont prises en vue de préparer l’implantation du projet.
Au niveau psychométrique, on considère le choix du ou des tests, la vérification de la validation scientifique déjà réalisée, les possibilités d’adaptation de l’administration aux besoins des personnes handicapées, le type d’administration – milieu contrôlé versus milieu non contrôlé –, les méthodes offertes pour le contrôle de la tricherie, l’existence de rapports automatisés, la possibilité d’ajustement flexible des normes psychométriques et des seuils de passage, etc.
Au niveau informatique, on prend des décisions sur le choix du type de solution technologique (résidant à l’interne ou hébergée par l’éditeur), les modalités de gestion des tests, le type d’interface organisationnelle, d’interface candidat et d’interface fournisseur, le serveur pour la base de données, ses modalités de sauvegarde, les navigateurs et les systèmes d’exploitation supportés, le niveau de sécurité (protection du matériel psychométrique, stockage des données, journalisation des accès), l’impact de la déconnexion sur la gestion du temps et des réponses pour les tests (surtout ceux chronométrés), la possibilité d’arrimage avec les systèmes de gestion intégrés des ressources humaines, etc.
Au niveau juridique et déontologique, on doit vérifier la présence d’un formulaire de consentement libre et éclairé, les droits et la possibilité d’inclure un formulaire d’auto-identification, les modalités de gestion des renseignements personnels, les modalités d’accès et de conservation des données brutes, la possibilité d’obtenir un rapport interprété automatisé, etc.
Au niveau administratif, on traitera des critères du cahier des charges en cas d’appel d’offres (par exemple, facilité d’intégration à l’environnement technologique, soutien technique et type de maintenance offert, fonctionnalités disponibles, expertise du chef de projet et de son équipe, calendrier de réalisation, activités de formation et documentation, etc.). On s’intéressera également à la possibilité de convocation automatisée des candidats ainsi qu’aux droits d’utilisation des usagers (configurations pour le partage des données entre les unités, confidentialité et droits d’accès, etc.).
Au niveau humain, il faudrait réfléchir à la planification de la gestion du changement (analyse de l’impact, sensibilisation des gestionnaires, cascade de communications), à la planification de la formation des usagers (aspects techniques et meilleures pratiques), à l’impact de ce changement autant sur la clientèle et sur les candidats que sur l’image de l’entreprise.
Au niveau financier, il est essentiel de procéder à la planification des dépenses et des modalités de facturation (par unité administrative, au volume, à la pièce, etc.).
Phase d’implantation
Cette phase comprend également deux étapes : l’adaptation et l’acceptation, et dépend de la planification et des décisions prises pendant la première phase. Elle sera l’occasion d’analyser, de réviser et de documenter les processus RH de l’entreprise. Certaines politiques peuvent également être ajustées pendant cette phase. On procède alors à l’implantation et au paramétrage de la plateforme du testing en ligne ainsi qu’à la formation des usagers sur la plateforme et les meilleures pratiques en matière d’administration de tests.
La mise en route du système implique, aux niveaux informatique, administratif et juridique, l’établissement des permissions d’accès au système et la validation des procédures du système. À l’étape d’acceptation, on devrait s’assurer que la plateforme de testing est reliée aux autres systèmes de l’entreprise.
D'un point de vue psychométrique, on s’assure entre autres que les formules de correction des tests ont bien été programmées dans le système et que toutes les possibilités de réponses incluant les réponses atypiques sont acceptées et compilées.
Au niveau humain, le processus de gestion du changement devra être déployé et suivi d’une manière stricte afin d’établir si certains ajustements sont nécessaires. On ajoute la mise en œuvre du plan de communication conçu antérieurement. C’est la phase pendant laquelle il est fréquent d’observer une résistance au changement.
Phase de stabilisation
Ce risque de résistance au changement se poursuit à l’étape de routinisation de cette troisième phase, lorsque les employés pourront tenter de combiner les anciennes procédures et manières de faire avec le nouveau système, ce qui créerait des processus parallèles nuisibles. À la fin de cette étape et au début de l’étape suivante – celle d’assimilation —, les anciennes pratiques devraient être remplacées, ce qui permettra de transférer les pouvoirs de l’équipe de projet aux usagers. On met en place une révision complète du système en fonction de laquelle on apporte des corrections pour améliorer la performance. Une fois cette dernière étape complétée, on peut procéder à l’évaluation de la plateforme afin d’estimer ses bénéfices et de calculer, si possible, le rendement de l’investissement et à mettre en place un processus d’amélioration continue.
L’implantation d’un tel projet peut sembler complexe en soi. Mais une analyse attentive des aspects importants mentionnés ci-dessus ainsi que la formation d’équipes multidisciplinaires crédibles permettront certainement de profiter des avantages indéniables liés à l’utilisation d’une plateforme de testing en ligne. En offrant aux entreprises un avantage compétitif durable, cette solution est profitable tant à l’organisation qu’aux candidats et à la société en général.
Alina Nusa Stamate, Ph. D., psychologue industrielle, professeur au département d’organisation et ressources humaines, ESG UQÀM
Sabrina Poirier, Ph. D., gestionnaire de comptes principaux, EPSI
Source : Effectif, volume 18, numéro 5, novembre/décembre 2015.
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